L’architecte des bâtiments de France (ABF) doit-il donner son accord aux permis de construire portant sur des immeubles situés dans le champ de visibilité d’un édifice protégé, même si ce dernier est privé et non ouvert au public ? Oui, a répondu la Haute juridiction dans une décision du 16 juin 2025.
Des particuliers ont contesté un permis de construire valant permis de démolir accordé à une société pour la réalisation d'un ensemble immobilier de 57 logements destinés aux seniors et personnes à mobilité réduite, d'un local médical et d'un parking. Ils estimaient l’autorisation irrégulière car délivrée sans l’accord préalable de l'ABF. Pour mémoire, cet accord est nécessaire, notamment « lorsqu'en l'absence de périmètre délimité existe une visibilité entre le projet et un édifice, distant de moins de cinq cents mètres, classé ou inscrit au titre des monuments historiques » (art. L. 621-30-II ; L. 621-32 et L. 632-2 du Code du patrimoine). Ce qui était le cas du projet litigieux.
« Propriété privée qui ne se visite pas »
Le tribunal a rejeté leur requête en se fondant sur l’absence de visibilité entre le monument classé et le projet. « Les nombreuses photographies prises, notamment, depuis la terrasse de la propriété des requérants ou depuis le terrain d'assiette du projet, ne sauraient être prises en compte, même lorsqu'elles sont prises dans le cadre d'un constat d'huissier » puisqu’il s’agit d’une « propriété privée qui ne se visite pas », ont relevé les juges.
Erreur de droit
Les particuliers se pourvoient en cassation devant le Conseil d’Etat qui leur donne raison et censure le jugement pour « erreur de droit ». La Haute juridiction rappelle une jurisprudence de 2020 selon laquelle ne peuvent être délivrés qu'avec l'accord de l'ABF les permis de construire portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de 500 mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s'ils sont visibles à l'œil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de 500 mètres entourant l'édifice en cause » (CE, 5 juin 2020, n° 431994, mentionné aux Tables du recueil Lebon).
Et précise ensuite, conformément à une jurisprudence de 2016 cette fois, que la visibilité d’un immeuble doit s’apprécier « à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage ». Peu importe, finalement, que l’édifice soit une propriété privée non ouverte au public.