Les travaux sur des immeubles réalisés aux abords des monuments historiques sont soumis, entre autres, aux dispositions du Code du patrimoine. Lequel organise une protection particulière (art. L. 621-30 et suivants).
Ainsi, en l'absence de périmètre délimité par l'administration, la préservation au titre des abords des monuments historiques s'applique à tout immeuble situé à moins de 500 mètres du monument et qui est dans une situation de covisibilité avec celui-ci. Ce dernier critère - qui doit être apprécié par l'architecte des bâtiments de France (ABF) dès que le bâtiment est situé à moins de 500 mètres du monument (, mentionné dans les tables du recueil Lebon) - est rempli si le bien est visible depuis le monument ou en même temps que lui.
Le critère de covisibilité précisé
Le Code du patrimoine reste assez vague sur la manière d'apprécier la covisibilité, et notamment sur les caractéristiques du point à partir duquel cette condition s'apprécie. Pour les bâtiments visibles depuis le monument, le Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion d'indiquer que cette condition « s'apprécie à partir de tout point [du monument] normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage » (, mentionné aux Tables).
Covisibilité à plus de 500 m. Dans un arrêt de juin (, mentionné aux Tables), la Haute juridiction élargit un peu plus ce critère lorsque la covisibilité est constatée depuis un point tiers au monument. Elle réaffirme tout d'abord que ce lieu (en l'espèce le point d'une promenade) doit être « accessible au public ». Et que ce point n'a pas à être inclus dans le périmètre de 500 mètres, venant ainsi contredire certaines décisions des juridictions du fond ( ; ).
Cette position est logique, le texte ne prévoyant pas une telle condition. Elle se déduit également de l'objet du texte, dont l'ambition est de protéger l'environnement qui participe à la mise en valeur du monument.
« Œil nu ». Mais le Conseil d'Etat précise aussi que les deux bâtiments doivent être simultanément visibles à « l'œil nu », sans utiliser d'appareil photographique muni d'un zoom ou de drone. Cette visibilité à l'œil nu ne peut être qu'appréciée de manière approximative, la preuve, en cas de contentieux, de la co-visibilité ne se faisant que par la production de photographies.
L'office du juge de cassation précisé dans le cadre d'un référé
Par ailleurs, l'arrêt du 5 juin apporte également d'intéressantes précisions sur le plan du contentieux. Lorsqu'une autorisation d'urbanisme a été suspendue par une ordonnance du juge des référés saisi sur le fondement de l', deux moyens classiques peuvent permettre de remettre en cause les effets de cette ordonnance.
Pourvoi en cassation. La première voie consiste à faire un pourvoi contre l'ordonnance (, ou CJA). Mais il existe plusieurs freins. D'une part, il faut non seulement démontrer l'existence d'une erreur de droit, mais aussi qu'aucun des motifs sur lesquels le juge des référés s'est fondé n'est de nature à justifier la suspension de la décision. A défaut, le pourvoi sera rejeté. D'autre part, plusieurs mois peuvent s'écouler avant que le Conseil d'Etat ne se prononce. Enfin, si un permis modificatif est intervenu entre l'ordonnance de référé et le moment où le Conseil d'Etat statue, cela est sans incidence sur la solution du litige () et ne permettra pas d'annuler la première ordonnance ni de lever la suspension du permis.
Modification des mesures de référé. La seconde voie consiste à demander au juge des référés de modifier les me-sures qu'il avait lui-même ordonnées ou d'y mettre fin (). Il pourra alors lever la suspension de l'autorisation, si un permis modificatif de régularisation a été délivré. Cette possibilité est d'autant plus importante que, en matière de référé, le juge ne peut pas faire application de l'. Pour rappel, cet article autorise le juge du fond à surseoir à statuer pour permettre au bénéficiaire de régulariser l'autorisation contestée (, mentionné aux Tables).
Ces deux voies peuvent être exercées en même temps, et il arrive que le juge des référés lève la suspension du permis avant que le pourvoi n'ait abouti. Dans ce cas, le pourvoi contre la première ordonnance perd de son objet et il n'y a plus lieu de statuer (, mentionné aux Tables).
Régularisation partielle et maintien de la suspension. Dans l'arrêt du 5 juin 2020, la situation était différente. Le maire avait délivré un permis de construire et un permis modificatif, qui ont fait l'objet d'une suspension en référé fondée sur l'absence d'accord de l'ABF et sur l'absence de servitude de passage au profit du terrain. L'ordonnance prononçant la suspension a fait l'objet d'un pourvoi.
Entre-temps, le juge des référés, après la délivrance d'un nouveau permis modificatif, a été saisi sur le fondement de l'. Mais, tout en estimant que le permis avait bien été régularisé s'agissant de la servitude de passage, le juge a maintenu la suspension parce que l'autre motif de suspension (accord de l'ABF) n'avait pas été purgé.
Le Code du patrimoine reste assez vague sur la manière d'apprécier la situation de covisibilité
Le Conseil d'Etat devait donc se prononcer sur les conséquences de cette seconde ordonnance de référé sur le pourvoi contre la première ordonnance.
Et a jugé que : « La censure du premier motif [accord de l'ABF] retenu par le juge des référés dans son ordonnance du 11 juin 2019 suffit à entraîner l'annulation de cette ordonnance, sans qu'il y ait lieu, pour le juge de cassation, de se prononcer sur le bien-fondé des moyens du pourvoi dirigés contre le second motif retenu par le juge des référés. »
Autrement dit, la censure par le Conseil d'Etat d'un seul des deux motifs d'illégalité retenus par le juge des référés saisi sur le fondement de l' (en l'espèce, l'absence d'accord de l'ABF) suffit à annuler sa première ordonnance. Il n'y a en quelque sorte « plus lieu à statuer » sur le second moyen.
Quid du contrôle du juge de cassation ? Cette solution pose la question du contrôle, par le juge de cassation, de la mesure de régularisation validée par le juge des référés saisi sur le fondement de cet article L. 521-4. En effet, lorsqu'un requérant demande au juge des référés de lever sa suspension, à la suite d'un permis modificatif, et que le juge rejette la demande parce que l'un des motifs n'a pas été régularisé, les parties en défense - qui s'opposent à la suspension - ne pourront pas se pourvoir en cassation car, juridiquement, l'intérêt à se pourvoir s'apprécie par rapport au dispositif et non par rapport aux motifs (CE, 29 avril 1960, Bovier-Lapierre, Recueil p. 287).
L'arrêt du 5 juin 2020 aurait dès lors mérité d'être plus explicite sur l'existence d'un contrôle de la régularisation du second motif lorsque le Conseil d'Etat réexamine l'affaire sur le fondement de l'. En tout état de cause, les mesures prises en référé n'étant que provisoires, il appartiendra au juge du fond de vérifier in fine si le permis a bien été régularisé.