Interview

MGPE avec tiers-financement : "Il va falloir négocier avec les banques pour conserver une partie de la rémunération sans cession Dailly", Yann Simonnet, avocat

Après la publication du décret du 3 octobre, le dispositif permettant le tiers-financement des marchés publics globaux de performance énergétique est prêt à l'usage. Toutefois, les opérateurs se posent des questions quant à la mise en œuvre du financement de tels contrats, compte tenu notamment de la pratique bancaire consistant à exiger des cessions Dailly acceptées par les maîtres d'ouvrage. Explications de Yann Simonnet, avocat associé, Cheysson Marchadier & Associés, société d’avocats.

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Yann Simonnet, avocat associé, Cheysson Marchadier & Associés

Quel premier regard portez-vous sur le marché global de performance énergétique (MGPE) avec tiers-financement récemment créé ?

C’est un outil sans nul doute utile, qui a déjà fait ses preuves pour les opérateurs privés. Dans un MGPE classique, les modalités d’exécution financière sont comparables à celles de n’importe quel marché public, avec le versement d’avances, d’acomptes, puis du solde des travaux à la fin du chantier. On bascule ensuite dans la phase exploitation-maintenance, avec une nouvelle rémunération sous la forme de loyers. Dans le MGPE avec tiers-financement, l’idée est d’avoir un seul prix, comme dans le marché de partenariat, intégrant à la fois les investissements et l’exploitation-maintenance. Le paiement débute à la livraison des ouvrages, puis est lissé sur toute la durée du marché. Nos clients qui interviennent habituellement dans des contrats de performance énergétique manifestent leur intérêt pour ce montage, mais s’interrogent sur la mise en place des financements pour ce type de marchés.

Le maître d’ouvrage cédé ne pourra imputer sur le loyer versé dans les mains de la banque les pénalités qu’il souhaiterait appliquer à son cocontractant.

D’où naît cette difficulté relative au financement ?

Si le montage repose sur ce lissage du prix, avec un début de versement à la fin des travaux, c’est pour garder le titulaire en risque sur la durée du marché. Il faut un montant annuel assez important pour pouvoir imputer sur sa rémunération les éventuelles pénalités - ou toute autre sanction financière - en cas de non-atteinte des performances contractuellement prévues. Le titulaire va donc devoir préfinancer entièrement le coût des travaux, et le plus souvent il est probable qu’il le fera grâce à de la dette bancaire, comme en marchés de partenariat. Il commencera à rembourser son emprunt à la fin des travaux, grâce à la rémunération qu’il recevra du maître d’ouvrage. Or la pratique constatée dans les marchés de partenariat, c’est que la banque demande des garanties, en général une cession Dailly acceptée par le maître d’ouvrage. Un tel montage financier peut sembler incompatible avec le but évoqué ci-dessus, à savoir permettre l’imputation sur la rémunération du cocontractant privé de sanctions financières en cas de sous-performance.

Comment fonctionne la cession Dailly ?

C’est une cession de créances à un tiers. Les banques, cessionnaire de la créance, exigent en pratique dans ce type de montage une acceptation de la cession Dailly par le maître d’ouvrage : la conséquence de cette acceptation est que, non seulement ce dernier devra accepter de verser la rémunération directement la banque mais, surtout il ne pourra opposer à cette dernière les exceptions fondées sur ses rapports avec le titulaire du marché. Ainsi, concrètement, le maître d’ouvrage cédé ne pourra imputer sur le loyer versé dans les mains de la banque les pénalités qu’il souhaiterait appliquer à son cocontractant. C’est pour éviter cet écueil, et maintenir le partenaire privé en risque, que le législateur a introduit en 2010 dans le Code monétaire et financier une limitation des cessions Dailly acceptées à 80 % du montant d’un marché de partenariat (art. L. 313-29-2, NDLR). Rien de tel n’existe pour l’instant dans la loi du 30 mars 2023 créant le MGPE avec tiers-financement.

Comment concilier cession Dailly et MGPE avec tiers-financement ?

Il va falloir s’inspirer du Code monétaire et financier, négocier avec les banques pour conserver une partie de la rémunération sans cession Dailly. Le pourcentage dépendra de l’objet du marché, des performances recherchées, de la part de mise en risque que l’acheteur public veut conserver, du caractère forfaitaire ou au réel des pénalités. Cette question peut être abordée lors de la négociation ou du dialogue compétitif, sur la base des offres que les candidats auront formulées.

Certaines grosses entreprises pourront aussi financer des opérations sur leurs fonds propres.

Faudrait-il changer la réglementation sur ce point ?

Les acteurs peuvent se débrouiller avec les textes actuels s’ils sont vigilants. Une disposition telle que celle du Code monétaire et financier aurait l’avantage de sécuriser les collectivités, mais il est sans doute compliqué de modifier le code alors que le dispositif du MGPE avec tiers-financement n’est que temporaire. Il suffira donc de fortement s’en inspirer. A défaut, cela pourrait freiner le développement des MGPE à paiement différé, ou concourir à un fort renchérissement de leur coût.

D’autres modes de financement sont-ils envisageables ?

Oui, il sera possible par exemple d’obtenir des financements sans cession Dailly, mais le coût du financement sera fatalement plus important car le risque sera accru pour le prêteur. Certaines grosses entreprises pourront aussi financer des opérations sur leurs fonds propres. Ce type de financement (« corporate ») est sans doute plus adapté pour de petits projets. Là où le financement dit « de projet » évoqué plus haut se prête davantage à de grosses opérations, ou de petits projets mutualisés – lesquels ne seront pas toujours aisés à mettre en place, surtout concernant la phase exploitation.

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