Comment le gouvernement veut réduire les délais contentieux pour les mégabassines

Le projet de loi « d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture » entend accélérer la prise de décision des juridictions en cas de contentieux contre des projets de retenues d’eau et d’installations d’élevage. Des dispositions que le Conseil d’Etat n’approuve pas en raison tant de leur complexité que des risques de constitutionnalité que les dispositions envisagées seraient susceptibles de présenter « au regard notamment du principe d’égalité devant la justice ».

Réservé aux abonnés
retenue d'eau
L'exécutif veut accélérer les délais de recours contentieux pour les projets d'ouvrages hydrauliques agricoles et les élevages.

Sécuriser le cadre d’exercice de l’activité agricole est l’un des trois leviers sur lequel l’exécutif entend agir dans le cadre du projet de loi « d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». Parmi les mesures proposées, le gouvernement mise - comme pour chaque projet de loi impactant l’urbanisme et l’environnement -, sur l’accélération des procédures contentieuses des projets d’ouvrages hydrauliques agricoles – comme les mégabassines – et des installations d’élevage.

Souveraineté alimentaire

« Ces projets et installations, qui concourent à la souveraineté alimentaire, font l’objet de contentieux de plus en plus fréquents, et les recours successifs sur les différentes décisions administratives nécessaires compromettent leur réalisation en raison d’un allongement excessif des procédures contentieuses », explique l’exposé des motifs. Réduire les délais de traitement du contentieux est donc un enjeu central pour le gouvernement puisqu’il permet aux porteurs de projet, « de savoir rapidement si celui-ci est autorisé ou doit être adapté ou abandonné ».

A cette fin, l’article 15 du projet de loi - présenté début avril en Conseil des ministres -, ajoute un chapitre spécifique pour « le contentieux de certaines décisions en matière agricole » dans  le Code de justice administrative (art. L. 77-15-1 et s.). La liste des décisions individuelles concernées nécessaires à la réalisation du projet (permis de construire, autorisation environnementale, dérogation espèces protégées, autorisation au titre du Code du patrimoine, défrichement…) est énumérée.

Régularisation ou sursis à statuer

Afin de ne pas mettre en péril des projets autorisés par des décisions entachées de vices régularisables, le texte prévoit tout d’abord que le juge administratif doit limiter, « lorsque cela lui est possible », la portée de ses annulations aux phases ou parties de décisions affectées d’un vice de légalité et demander à l’administration de reprendre l’instruction sur ce point, ou de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe pour permettre la régularisation des vices. Cette mesure s’inspire des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement.

Référé suspension

Autre mesure envisagée : la restriction du référé suspension sur le modèle de l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme relatif aux recours contre les autorisations de construire. Les demandes ne pourront pas être introduites après la date à laquelle les moyens invoqués devant le juge saisi en premier ressort ont été « cristallisés ». La condition d’urgence en cas de saisine du juge du référé-suspension sera présumée, et le juge devra statuer dans un délai d’un mois.

Suspension de la validité de toutes les autorisations nécessaires au projet

Enfin, véritable innovation du projet de loi, le texte prévoit qu’en cas de recours, sont suspendues « tant la durée de validité de l’autorisation accordée par la décision attaquée que celle des autres autorisations nécessaires à la réalisation du projet, jusqu’à l’intervention de la décision juridictionnelle définitive au fond ». Cette disposition a pour but d’éviter la caducité de ces autorisations du fait des recours.

Peu de difficultés concernant le contentieux

Saisi pour avis le 23 février, le Conseil d’Etat rappelle de manière générale que « les dérogations au régime contentieux de droit commun ne peuvent être admises que si elles sont fondées sur des critères objectifs, en rapport direct et proportionné avec le but poursuivi, et si elles assurent des garanties égales aux justiciables ». Si la réalisation des projets visés par le texte répond bien aux objectifs d’intérêt général de garantir la souveraineté alimentaire de la France (art. 1er du projet de loi), « l’intérêt de projets tels que les stockages d’eau ne peut s’apprécier vraiment qu’au cas par cas, […] compte tenu des répercussions des changements climatiques propres à chaque territoire et de la nécessité de concilier les différents usages de la ressource », pointe la Haute juridiction.

En outre, l’étude d’impact « très insuffisamment motivée » s’agissant de cet article 15 ne fait pas apparaître de difficultés particulières en ce qui concerne le contentieux de ces projets, notamment en termes de délais de jugement ou de complexité, et se borne à anticiper une hausse du nombre des recours. Le recensement effectué par le Conseil d’État révèle de son côté que « les projets visés ne représentent qu’une part extrêmement limitée des affaires en cours d’instruction devant les tribunaux administratifs ».

Complication et allongement des procédures

Autre point noir du texte : « la variété des décisions susceptibles d’être concernées ne peut qu’accroître les difficultés pour déterminer si les règles particulières prévues par le projet de loi sont ou non applicables ». Aucune évaluation n’a été menée « quant à l’intérêt qu’il y aurait à les appliquer au-delà du champ des autorisations d’urbanisme et des autorisations environnementales ». Le Conseil d’Etat rappelle que ces dernières sont « déjà soumises à des règles contentieuses spéciales poursuivant le même objectif, avec lesquelles les nouvelles règles envisagées se recoupent largement sans pour autant se confondre ». Les pouvoirs de régularisation du juge appliqués à une pluralité de décisions successives, pourraient même être « sources de complication et d’allongement des procédures ».

Le Conseil d’Etat regrette par ailleurs que « les conséquences de la suspension automatique de la durée de validité de toutes les décisions relatives à un même projet n’apparaissent pas clairement », celles-ci pouvant ainsi être elles-mêmes sources d’incertitudes et de contestations. Et que l’efficacité de la disposition sur le référé-suspension « qui porte atteinte au droit au recours », n’a pas été établie.

Lisibilité des règles applicables

Finalement, « la multiplication de règles contentieuses spéciales ne peut que nuire à la lisibilité d’ensemble des règles applicables au contentieux administratif qui, à rebours des objectifs recherchés de simplification et de clarté de la norme, se complexifie au détriment de l’égalité entre les citoyens et de la bonne administration de la justice, sans pour autant aboutir à une véritable accélération des procédures contentieuses ». Dès lors, ces dispositions « sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice ».

La conférence des présidents de l'Assemblée nationale s’est opposée à l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi, estimant que les règles fixées par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution avaient été méconnues. Le gouvernement ne partageant pas cette appréciation, il a saisi le Conseil constitutionnel le 12 avril conformément à l’article 39 de la Constitution. Les Sages disposent de 8 jours pour se prononcer.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !