Prescription quinquennale ou décennale ?C’est cette question qu’a tranchée le Conseil d’Etat dans une décision rendue fin 2024 (CE, 20 décembre 2024, n° 475416, mentionné au recueil Lebon). Un maître d’ouvrage avait engagé la responsabilité de son cocontractant, titulaire d’un marché public de travaux portant sur la construction d’une centrale photovoltaïque. Il souhaitait obtenir la réparation de son préjudice, causé par l’absence de raccordement au réseau de l’installation.
Après avoir été débouté en première instance, il se voit accorder une indemnisation par la cour administrative d’appel (CAA). L’entreprise titulaire du marché va alors se pourvoir devant le Conseil d’Etat, contestant notamment le point de départ de la prescription quinquennale retenu par la CAA.
Délai de droit commun ou délai spécial ?
La Haute juridiction va toutefois soulever d’office un moyen selon lequel la prescription applicable à l’action du maître d’ouvrage contre le titulaire du marché n’est pas la quinquennale mais la décennale. Pour mémoire, la première, qui est celle de droit commun, trouve sa source dans l’article 2224 du Code civil prévoyant que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La seconde provient de l’article 1792-4-3 du même code qui dispose que « les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs […] se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ».
En cas de réception, la prescription décennale s'applique
Le Conseil d’Etat en déduit que la centrale photovoltaïque ayant été effectivement réceptionnée, la prescription décennale est alors la « seule applicable » et donc que la CAA a commis une erreur de droit en jugeant que l’action du maître d’ouvrage était régie par la prescription quinquennale. Il considère en effet que « l’action du maître d’ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs se prescrit par dix ans à compter de la date d’effet de la réception, que les travaux aient été réceptionnés sans réserve, avec réserves […], ou sous réserve de l’exécution concluante d’épreuves ou de l’exécution de prestations ».
Avec réserves, sous réserve, peu importe
En l’espèce, la réception de l’installation avait été prononcée en 2013, sous la réserve de son raccordement au réseau électrique. Une condition qui est toutefois sans incidence sur le délai de prescription décennale, estime le Conseil d’Etat. Cette décision s’inscrit dans la lignée de celle rendue quelques jours auparavant (CE, 13 décembre 2024, n° 489720, mentionné au Recueil) : il avait été jugé que la réception des travaux, qu’elle soit assortie de réserves ou prononcée sous réserve, fait courir le délai de la garantie de parfait achèvement.
La réception « sous réserve » reporte le délai d'établissement du DGD
A signaler que la distinction entre les différentes réceptions – sans réserve, avec réserves en cas de malfaçons ou sous réserve en cas de non-façons – a tout de même son importance. Elle est notamment opérante s’agissant de l’établissement du décompte général et définitif (DGD). Si la réception est prononcée avec réserves alors le point de départ de l’établissement du DGD est la date de notification de la décision de réception des travaux. Si elle est prononcée sous réserve alors le délai pour établir le DGD ne débute qu’à compter de l’exécution définitive des travaux réservés (CE, 8 décembre 2020, n°437983, mentionné au recueil Lebon et CE, 1er juin 2023, n°469268, mentionné au recueil Lebon).
CE, 20 décembre 2024, n° 475416, mentionné au Recueil