Le CNR n’a pas livré ses conclusions qu’Emmanuel Macron estime, dans une interview à Challenges le 11 mai, qu’il "faut une conférence des parties", face à la "crise multifactorielle du logement". "Ce n’est pas au cœur de la crise qu’il faut déposer le moteur et le refaire", poursuit le chef de l’État. "Macron annonce la tenue d’une 'conférence des parties' sur le logement, et le CNR, c’était donc quoi ?", s’étrangle la Confédération nationale du logement (CNL) du Val-de-Marne sur son compte Twitter.
Le ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein, devait présenter le 9 mai les propositions retenues du CNR logement, qu’il avait lancé le 28 novembre. Un événement reporté à une date ultérieure, a indiqué son cabinet vendredi 5 mai, invoquant un déplacement du ministre à La Réunion avec Élisabeth Borne cette semaine. Mais Matignon nie tout lien de causalité entre la visite en outre-mer et le report du CNR logement à une date "très prochaine".
"Il faut absolument des arbitrages pour une politique globale du logement, et non une liste de mesures non articulées les unes avec les autres, sinon cela coûtera plus cher. Si le report des conclusions du CNR logement nous permet de mettre véritablement en route une politique globale du logement bien articulée, l’objectif sera atteint", répond Véronique Bédague, PDG de Nexity et co-animatrice du CNR logement au côté de Christophe Robert, délégué général de la FAP, lors d’un entretien à AEF info le 11 mai.
"Des surdépenses publiques"
Cinq jours plus tôt, Olivier Salleron, président de la FFB, avait lui aussi estimé que ce report du CNR logement devait "être mis à profit par le gouvernement pour définir une ambition forte et claire, des mesures chiffrées, un calendrier rapide, des moyens réels, un électrochoc contre cette grave crise du logement neuf".
Une crise dont "le président de la République a conscience, et c’est une vraie avancée", note Véronique Bédague, à la lecture de l’interview du chef de l’État. Qui entend notamment "regarder comment développer beaucoup plus de logements locatifs intermédiaires pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là". "Si le statut du bailleur privé [proposé par les groupes de travail du CNR logement (lire sur AEF info)] n’était pas retenu par le gouvernement, on pourrait envisager d’encourager l’investissement des institutionnels et particuliers dans le logement intermédiaire", approuve Véronique Bédague.
Certes, "il serait utile d’avoir davantage de logements intermédiaires", convient sur Twitter Manuel Domergue. "Mais pas au détriment des logements sociaux car c’est là que se trouve la vraie crise du logement", prévient de son côté le directeur des études de la FAP, rappelant que 2,3 millions de ménages attendent un logement social.
À lire aussi
Au-delà de la hausse des taux, avec pour corollaire un moindre accès au crédit et "des maires […] qui ne veulent plus construire", Emmanuel Macron attribue la crise du logement "à un système de surdépenses publiques, pour de l’inefficacité collective". Le logement est "un secteur où on finance l’offre, l’investissement et la demande. Malgré tout, on produit moins, et c’est plutôt plus cher qu’ailleurs. Cette économie mixte n’est pas efficace. La vérité, c’est qu’on a beaucoup d’aides et qu’on a créé un paradis pour les investisseurs immobiliers", développe le président de la République.
Une sortie qui fait écho aux propos de Gabriel Attal dans Le Monde du 8 mai : dans le cadre de la revue des dépenses publiques engagée par le gouvernement en début d’année, "on peut faire des économies sur le travail et le logement", a déclaré le ministre des Comptes publics.
Investisseur immobilier, "ce n’est pas un métier de rentier"
Reste que les aides au logement ont été ramenées de 41,7 milliards d’euros en 2016, avant que débute le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, à 38 milliards en 2021, d’après le Compte du logement. Parallèlement, les prélèvements fiscaux relatifs au logement sont passés de 70,6 milliards d’euros en 2016 à 90,5 milliards en 2021. "Il faut plutôt réfléchir à l’articulation dépenses – prélèvements liés au logement", juge Véronique Bédague.
À lire aussi
Quant au "paradis pour les investisseurs immobiliers", "à 2 % en moyenne, l’investissement immobilier est aujourd’hui moins rentable que d’autres", rétorque Véronique Bédague. Elle en veut pour preuve le livret A, rémunéré à 3 %, et les obligations d’entreprise, qui rapportent entre 5 et 6 %. Des placements qui présentent en outre peu de risques, alors que "l’investisseur immobilier, lui, est confronté aux problématiques de gestion et de vacance locatives, entre autres", souligne la dirigeante. "Ce n’est pas un métier de rentier", insiste-t-elle. Au contraire, "il faut réhabiliter l’acte d’investir dans le logement". D’où la proposition des groupes de travail du CNR de créer un véritable statut du bailleur privé. À voir quel sera l’arbitrage de Bercy sur le sujet.
Bercy qui avait en revanche fini par accepter la mensualisation temporaire du calcul du taux de l’usure, demandée par la FPI et les courtiers afin de faciliter l’accès au crédit immobilier. Cela "a fluidifié le marché", reconnaît Véronique Bédague. Tout en prévenant que "ce sujet sera derrière nous d’ici quelques mois car les taux n’ont pas vocation à aller à 8 %, ça n’aurait aucun sens. L’évolution des marchés américains et européens laisse penser que nous commençons à entrer dans une décélération de l’inflation".
"L’État doit définir une politique du logement"
Autre mesure prise par le gouvernement face à la crise de l’offre et de la demande de logement, la mobilisation de la CDC. Nexity sera-t-il candidat au plan de soutien de 3,5 milliards d’euros à la filière de la promotion annoncé mercredi par CDC Habitat ? "Cela dépendra des prix d’acquisition des logements et des taux de rémunération des avances de fonds, sur lesquels nous n’avons pas d’informations", répond sa PDG. Qui nourrit au passage un "vrai regret : il n’y a plus d’achats de la Caisse en zones détendues. Or il y a des Français qui veulent y habiter !"
Mais, face à la crise du logement, "le premier vrai pas à faire, c’est, comme le préconise le groupe de travail du CNR animé par Serge Contat et Cédric Van Styvandael (lire sur AEF info), que l’État assume son rôle, qui est de définir une politique du logement. Il y a urgence", estime Véronique Bédague.
La "conférence des parties", voulue par Emmanuel Macron selon qui "on ne peut tout attendre de la réforme gouvernementale", Véronique Bédague "ne sait pas ce que c’est". C’est donc "l’État qui doit déterminer les besoins et déployer de grands paradigmes d’intervention comme le Logement d’abord. Et assurer la péréquation du logement entre les territoires. Cela passera par une marge de manœuvre plus grande des autorités organisatrices de l’habitat, et par les moyens qui vont avec, pour déployer une vraie politique de l’habitat."
Le "Top 6" des promoteurs détient 46 % du marché
Premier promoteur immobilier de France, Nexity a clos les trois premiers mois de l’année 2023 sur une baisse de 19 % du nombre de réservations de logements en France, sur un an, à 2 811 lots. Alors que les ventes au détail ont chuté de 33 %, la remontée rapide des taux compliquant l’accès des ménages au crédit immobilier, les ventes en bloc ont crû de 2 %. Cela grâce aux partenariats que le groupe a noués avec des investisseurs institutionnels et des bailleurs privés.
S’il est trop tôt pour juger des effets de la crise du logement sur la situation financière des plus petits promoteurs français, toujours est-il que la part de marché des six premiers d’entre eux a augmenté de huit points entre 2019 et 2022, à 46 %. C’est "la première fois que Nexity observe une telle accélération dans la concentration du marché."