Alerte nationale sur les logements mis en chantier. Bousculé par une crise de la demande qui dépend de la politique monétaire européenne, le marché français de la construction ne pourra pas répondre aux besoins de ces prochaines années, selon les données exclusives obtenues auprès d’Adéquation.
Premier indicateur inquiétant : la durée moyenne entre la date de l’autorisation et celle du démarrage du chantier est passée de 14 mois en 2022 à 17 en 2023, selon la société de conseil, qui a analysé les programmes de plus 5 logements de bailleurs sociaux ou de promoteurs immobiliers. Avant la pandémie, il fallait compter entre 12 (2018) et 13 mois (2019).
« Triple manifestation de la crise »
« Nous sommes au final dans une triple manifestation de la crise qui touche aujourd’hui la construction neuve, observe Olivier Conus, directeur des partenariats. Le nombre de projets a diminué significativement, il y a moins de logements autorisés, moins de projets qui sortent ; en proportion, il y a davantage de logements autorisés dont le chantier ne démarrera jamais, faute d’équilibre économique et de commercialisation satisfaisante ; les projets voient leur exécution s’allonger sensiblement, ce qui repousse leur livraison effective, que ce soit pour des futurs propriétaires ou des locataires. »
La crise de l’offre, malgré le nouveau « choc » promis cette semaine par Gabriel Attal après celui d’Emmanuel Macron en 2017 qui n’a jamais eu lieu, va donc s’accentuer. « Les années 2024 et 2025 sont déjà écrites en termes de volume de livraisons, dont la baisse va se prolonger, en conséquence de la crise que traverse la filière dans les montages des programmes, les bulles de vente ou sur les chantiers », anticipe Olivier Conus. La situation est inquiétante aussi bien pour les ménages qui peinent à se loger que pour la filière qui réduit déjà ses effectifs.
Des banques plus exigeantes
Autre signal négatif : la part des opérations dont la mise en chantier a eu lieu la même année que l’autorisation ne cesse de refluer. Selon les estimations d’Adéquation, celle-ci est passée de 31% en 2021 à 21% en 2022 puis 14% en 2023. Un niveau bien inférieur à 2020 (23%), année marquée par les confinements, l’arrêt des chantiers et les reports. En 2019, c’est-à-dire avant la pandémie, les crises des matériaux et de l’énergie et enfin à l’époque de l’argent gratuit, cette part s’élevait à 28%.
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Olivier Conus voit plusieurs explications : « Des commercialisations plus lentes, d’où des niveaux de pré-commercialisation nécessaires pour démarrer les chantiers qui arrivent plus tardivement. En parallèle, les banques réclament un taux de pré-commercialisation plus élevé, de 50% aujourd’hui contre 30% il y a 18 mois, avant de délivrer la Garantie financière d’achèvement des travaux (GFA). Enfin, les difficultés liées à la construction elle-même, comme l’insuffisance de main d’œuvre ou de matériaux ou encore les coûts trop élevés des appels d’offres qui remettent en cause l’équilibre des opérations, n’aident pas. »
287 100 logements commencés en 2023
Un peu de mise en perspective, maintenant. « Historiquement, 17 à 20% des logements autorisés ne sont jamais commencés », rappelle-t-il. En effet, la volonté d’un opérateur peut se heurter à la réalité du marché, qui conduit à abandonner ou refondre le projet, donc à repousser la mise en chantier. Exemple : un nouveau permis est demandé pour une opération nouvelle en résidence gérée plutôt qu’en logement ordinaire. A ces programmes qui disparaissent pour des raisons politiques, techniques et/ou économiques, « certaines opérations peuvent aussi être impactées par la caducité du permis, au bout de trois ans », souligne-t-il.
Entre 2019 et 2021, près de 55% des opérations autorisées qui ont effectivement démarrées avaient été mises en chantier l’année suivante de la délivrance du permis. Environ 30% de ces programmes avaient été lancés la même année que l’autorisation, 11% sur l’année n+2 et 4% sur l’année n+3. Adéquation n’est pas en mesure de se prononcer sur les exercices 2022 et 2023, faute de données consolidées avec une exhaustivité décroissante sur les derniers trimestres de l’an dernier.
Avec 287 100 logements commencés en 2023, soit une chute annuelle de 22%, la France est passée sous le seuil des 302 000 mises en chantierrecommandé par le Secrétariat à la planification écologique rattaché à Matignon. Une première depuis la crise des années 90.