Retour à l’échelle du parc. Alors que les jurys des précédentes éditions des Victoires du Paysage avaient attribué leur grand prix à des transformations urbaines à Saint-Etienne, Nîmes, Nice ou Nantes, la neuvième édition de la compétition biennaleramène les professionnels du végétal vers leur activité la plus traditionnelle.
L’apparence d’un retour aux sources dissimule un savoir-faire peu visible, mais en pleine effervescence : sous la surface du Parc des ateliers d’Arles, lauréat du grand prix du jury 2024, Bas Smets a prescrit une authenticité du travail du sol, exécuté par Guintoli et Genre, respectivement chargés des terrassements et des espaces verts.
Pas question de géotextiles cache-misère : sur les 11 hectares décapés au XIXème siècle pour les besoins de la logistique ferroviaire, la robustesse de l’écosystème recréé de toutes pièces repose sur trois couches pédologiques qui reproduisent les horizons naturels de la région d’Arles.
Sur ce substrat, Bas Smets retrouve la grande échelle du paysage : le parc des ateliers condense les prairies de la Crau, les collines des Alpilles et les milieux humides de la Camargue. En provenance de ces trois entités séparées par la nature, 140 variétés de graines se réunissent sur le site… En plus de celles du coquelicot, seule fleur identifiée sur l’ancienne friche par Maja Hoffmann, fondatrice de la fondation éponyme, avant qu’elle ne passe commande à Bas Smets.
L’écho d’Arles à Vélizy
La démonstration de la capacité des femmes et des hommes à construire ou à retrouver des sols fertiles, là où les générations précédentes les avaient dissimulés, compactés ou détruits, fait partie des messages forts du pléthorique palmarès de la neuvième édition des Victoires. 44 lauréats en ont émergé, le 11 décembre dans le cadre prestigieux choisi par Valhor, association interprofessionnelle du paysage, de l’horticulture et de la fleuristerie : la salle Wagram, non loin de l’arc de Triomphe.

@Valhor. Vélizy (Hauts-de-Seine) remporte une victoire d'or en catégorie quartier de logements sociaux, suite à l'intervention de l'agence de paysage Urbicus qui a ramené la pleine terre après démolition de 2 ha de la dalle du quartier Louvois.
Prototype de morceau de ville nouvelle des Trente glorieuses, la Zac Louvois de Vélizy (Hauts-de-Seine) amène un écho francilien au parc des Ateliers d’Arles : le maire Pascal Thévenot a choisi de démolir la dalle de 20 000 m² construite dans les années 1960 et 1970. Il remporte une victoire d’or dans la catégorie Aménagement et requalification de quartier de logements sociaux. Grâce à l’agence de paysage Urbicus, le sol urbain retrouve une continuité avec celui de la forêt voisine.
Merci aux lombrics
Dans la famille des anthroposols, l’or a récompensé les jardins de Pré Gaudry, à Lyon : un espace de 2500 m2, à proximité d’un collège et d’une école de commerce. Livré en 2022 à la métropole par Ilex Paysage, le champion de la catégorie Espace public urbain village et ville de plus de 10 000 habitants a pris la place d’une ancienne usine.
La régénération d’un sol stérilisé et compacté a rendu possible la plantation de 174 arbres, après l’inoculation de lombrics et de bactéries, selon un protocole mis en place avec l’Institut national de recherche en agronomie et environnement (Inrae).
L’arrivée des cours d’écoles, dans le palmarès, confirme la place majeure de la reconquête d’emprises stérilisées, dans le travail des professionnels du paysage. Sous la maîtrise d’œuvre de Slap, le programme lillois des cours jardins remporte la catégorie Jardins, devant le nouveau lieu de vie de l’école de Triel-sur-Seine (concepteur : Xavier de Chirac) et l’îlot vert du collège Pompidou de Courbevoie (Damée Vallet Associés).

@Desbordes-Valmore. Lille décroche une Victoire d'or en catégorie jardin pour les cours d'école végétalisées par Slap
Associé à un impressionnant nombre d’équipes lauréates, le pépiniériste Daniel Soupe fait partie des locomotives du savoir-faire français dans la fabrication de sols fertiles à l’aide de mycorhizes (champignons) ou de bactéries. L’entrepreneur de Chatillon-sur-Chalaronne (Ain) a créé une filiale dédiée : Sinnoveg, acronyme de Société d’innovation végétale.
Leadership d’id Verde
Autre vainqueur multi-catégorie dissimulé dans les fiches techniques des projets lauréats, le groupe id Verde apparaît à 12 reprises parmi les entreprises de travaux paysagers, très loin devant ses compétiteurs nationaux Pinson (un prix), Spie-Batignolles Paysage (encore mentionné sous le nom de Vallois avec deux prix) ou Terideal (deux prix). La domination du leader touche toutes les tailles d’opération, depuis le centre-bourg de Saint-Gildas des Bois (Loire-Atlantique, prix spécial Petites villes de demain) jusqu’à la Zac Louvois de Vélizy.
Promis à des cérémonies locales au cours des mois à venir, les 44 vainqueurs pèseront de tout leur poids dans le débat public. Elu le mois dernier à la présidence de Valhor, Florent Moreau résume leur message politique : « Levier indispensable de la planification écologique et de la stratégie nationale bas carbone, notre filière se bat pour la souveraineté végétale de la France », proclame-t-il.
Excellence française
Secrétaire général de l’interprofession et président du jury, le paysagiste Michel Audouy voit dans le palmarès un reflet de « l’excellence française dans l’ingénierie du paysage ». Il identifie quatre thèmes récurrents dans les œuvres primées : l’eau, la rénovation urbaine, la climatisation de la ville et la valorisation de la nature. Les anthroposols ajoutent un cinquième axe à l’appui de sa conviction : « Le paysage apporte les bonnes réponses aux incertitudes de notre époque. »
Pour porter ce message dans ses déclinaisons locales, nationales et mondiales, la filière hexagonale tourne désormais son regard vers Nantes : pour la première fois, la France y accueillera le congrès mondial de la fédération internationale des architectes paysagistes, sous le haut patronage du président de la République, du 10 au 12 septembre prochain. En entérinant cette notion d’architecte paysagiste lors de ses échanges avec l’interprofession, Emmanuel Macron a ranimé un vieux débat national. Les coulisses de la cérémonie du 11 décembre en ont abondamment frémi.