Entretien

Paysagistes concepteurs : « Il y a un alignement des planètes pour la profession »

De plus en plus sollicités pour les projets urbains, les professionnels français accueillent en congrès, à Nantes, leurs confrères du monde entier pour parler de l'évolution de leur métier.

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Paysagistes concepteurs : « Il y a un alignement des planètes pour la profession »
Henri Bava, président de la Fédération française du paysage.

La Fédération française du paysage organise, du 10 au 12 septembre à Nantes (Loire-Atlantique), le congrès mondial de l’International Federation of Landscape Architects (IFLA) où sont attendus plus d’un millier de concepteurs en provenance d’une soixantaine de pays.

Dans quel contexte se tient-il ?

Le changement climatique planétaire nous place au cœur de l’enjeu crucial de l’adaptation, d’une résilience nouvelle des villes et des territoires qui nécessitent des transformations profondes, systémiques. L’architecte paysagiste, appelé paysagiste concepteur en France, se situe à la croisée des sciences du vivant et de l’aménagement. Il est donc particulièrement préparé pour relever ce défi qui consiste à repenser l’urbanisme en rafraîchissant les villes. A travers des solutions basées sur la nature, nous proposons une écologie appliquée aussi bien à l’échelle de la cité qu’à celle du grand territoire. Ce congrès, qui regroupe des praticiens, des chercheurs et des maîtres d’ouvrage, sera l’occasion d’échanger sur les bonnes pratiques et les réflexions issues de différentes parties du monde. Il s’articulera autour de trois thèmes : le vivant en ville, la transition écologique des territoires et le rôle clé de l’architecte paysagiste dans ces transformations.

« L’architecte paysagiste est particulièrement préparé pour relever ce défi qui consiste à repenser l’urbanisme en rafraîchissant les villes. »

En France, comment se porte votre profession ?

Il y a un alignement des planètes. Il existe en effet désormais un quasi-consensus sur la nécessité de faire appel aux paysagistes en aménagement. C’est une spécificité française qui pourrait essaimer dans le reste du monde. Charles Waldheim, professeur à Harvard qui interviendra en ouverture du congrès, l’a théorisée sous le terme « Landscape Urbanism ». Lorsque j’ai démarré mon activité, il n’y avait que très peu de concours qui nous étaient ouverts. Petit à petit, la question du paysage, associée à l’environnement, s’est imposée dans l’esprit de la maîtrise d’ouvrage, mais surtout dans celui des habitants qui demandent de plus en plus d’être associés aux projets. Aujourd’hui, nous sommes donc davantage sollicités comme « urbanistes mandataires » en France que dans le reste du monde. Au vu des attentes de la population et de l’urgence climatique, cette place ne me semble pas usurpée, d’autant, bien évidemment, que nous ne travaillons jamais seuls car le paysage dans toute sa complexité n’est pas réservé aux seuls paysagistes.

L’enseignement a-t-il réussi à suivre cette évolution du métier ?

On peut même dire qu’il l’a devancée. A Versailles (Yvelines), l’école historique, l’enseignement s’est enrichi dès les années 1970 en s’éloignant de la pratique ornementale grâce à des personnalités venues de l’extérieur comme Michel Corajoud qui a relancé la question urbaine par la géographie.

L’enseignement de l’horticulture s’est alors déplacé à Angers (Maine-et-Loire). Aujourd’hui, il y a cinq écoles en France, mais je pense qu’il en faudrait davantage. Si elles dépendent toujours de différents ministères, les cursus et les pédagogies ont été depuis harmonisés, grâce à un énorme travail mené conjointement avec leurs tutelles. Désormais, le diplôme d’Etat de paysagiste (DEP) s’obtient niveau master (bac + 5) comme pour les architectes. Ce parallélisme est logique car seules ces deux professions de concepteurs sont reconnues conseils de l’Etat.

L’appellation paysagiste concepteur propre à notre pays doit-elle aussi évoluer ?

Partout dans le monde, on parle d’architecte paysagiste.

Il nous semble logique et légitime d’adopter nous aussi cette appellation, qui plus est inventée en France par Louis-Sulpice Varé (1803-1883), concepteur du bois de Boulogne, avant d’être reprise partout ailleurs. Nous sommes en discussion avec le ministère de la Culture et le Cnoa sur cette question, mais sur le terrain, architecte paysagiste s’impose déjà. Cette évolution sémantique nous paraît d’autant plus nécessaire que sur le marché français, il arrive que les entreprises de paysage avec lesquelles on travaille, utilisent également le mot concepteur associé à paysagiste. Cela brouille la compréhension, alors même que la frontière est très nette, notamment dans le cadre des marchés publics. Le second problème porte sur l’international car le terme anglais « landscape architect » est universel, sauf en France.

L’appellation française de paysagiste concepteur correspond à « landscape designer » qui équivaut à un bac + 3, ce qui entraîne pour nous, Français, une distorsion de compétitivité en notre défaveur. Cela pose également un problème d’attractivité pour nos écoles qui recrutent plus difficilement des étudiants étrangers car le DEP oriente vers ce titre mal compris de paysagiste concepteur.

Après Istanbul en 2024 et avant Hong Kong en 2026, le choix de Nantes comme ville d’accueil peut surprendre…

Dans un premier temps, il a aussi surpris nos confrères étrangers, d’autant que la France n’avait pas accueilli le congrès de l’IFLA depuis 1987, à Paris. Mais il nous a semblé intéressant de sortir des grandes capitales et de s’intéresser à des métropoles plus petites. Le choix s’est porté sur Nantes pour la confiance donnée très tôt aux paysagistes dans les projets urbains. On pense notamment à Alexandre Chemetoff et son plan-guide pour l’île de Nantes qui a placé l’existant comme fondement et a développé le site à partir de ses qualités propres. Une démarche qui a inspiré de nombreux concepteurs. Depuis, Nantes s’est renouvelée par le paysage.

Mandature après mandature, cette ville a misé sur la nature au point de s’engager maintenant dans la bifurcation écologique. Cela méritait d’être mis en valeur.

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