« Pendant que certains élus locaux râlent bruyamment à Paris, de nombreux autres changent leur territoire en profondeur et à bas bruit ». Directrice de la fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (Scot), Stella Gass donne le ton de la cérémonie du 3 décembre à l’hôtel Roquelaure où siège le ministère de la Transition écologique : héros du jour, la paysagiste et la collectivité lauréats du grand prix national du paysage 2024 servent d’emblème à une troupe déterminée et modeste, associant la communauté professionnelle des paysagistes concepteurs à des milliers d’élus locaux.
La valeur du quotidien
« Je pense au Scot des rives du Rhône ou à celui du pays du Mans pour la biodiversité, aux Vosges centrales pour son plan paysage centré sur l’énergie, au Scot du pays Charolais-Brionnais, à l’aire métropolitaine de Bordeaux ou au Centre Ardèche pour leur trajectoire vers le zéro artificialisation nette », égrène Stella Gass. A l’entendre, tous les planificateurs locaux peuvent se reconnaître dans le travail de longue haleine salué par le jury du grand-prix national du paysage 2024, et incarné par deux personnes : Anne-Cécile Jacquot et Henri Hasser, respectivement maître d’œuvre et maître d’ouvrage du plan de paysage du syndicat mixte du Scot de l’agglomération messine (Scotam).
La valeur de la démarche tient au caractère non exceptionnel des paysages concernés : « A part les blessures territoriales héritées des guerres, de l’industrie ou des zones commerciales, nous n’avions pas de points communs, en 2017, quand nous avons répondu à l’appel à projets national pour les plans de paysage », se souvient le président du Scotam Henri Hasser, représentant d’un territoire qui couvre 224 communes et 420 000 habitants. « Sans grandiloquence, la démarche donne de la valeur à des paysages modestes à partir de notions simples : le rapport à l’eau, au sol, aux arbres et aux reliefs qui guident la manière d’habiter », embraye Anne-Cécile Jacquot, cofondatrice de l’agence de paysage Omnibus.
Une machine à poser les bonnes questions
Pour l’Etat qui accompagne la gestation des plans par une aide forfaitaire comprise entre 30 000 et 60 000 euros et trois ans de soutien technique, cette valeur tient à leur caractère non opposable : « Ce statut facilite la libération de la parole. La démarche fonctionne comme une machine à se poser les bonnes questions et comme un couteau suisse pour élaborer les projets futurs », apprécie Marc Hoeltzel, directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement du Grand Est.
La liberté et la part de subjectivité n’empêchent pas les prolongements opérationnels, comme le montre le Scotam, avec son plan de paysage décidé à l’occasion de la révision du Scot. L’urbanisme réglementaire cadre aussi l’horizon de la communauté de communes du bocage bourbonnais (Allier), un des 14 nouveaux lauréats de l’appel à projets annuel du ministère de la Transition écologique pour les plans de paysage : « Nous nous donnons deux ans-et-demi pour finaliser le Scot dont nous avons décidé le principe voici deux ans », confirme son président Jean-Marc Dumont. Les 27 communes totalisant 14 000 habitants projettent leur avenir dans le bocage, perçu comme un levier agricole, touristique et d’adaptation au changement climatique.

©Bertrand Folléa. Accompagnée par le paysagiste Bertrand Folléa, la communauté de communes du bocage bourbonnais parie sur la pérennité de l'agriculture bocagère, comme levier économique, touristique et d'adaptation climatique.
Colorations thématiques
Révélée juste avant la remise officielle du grand prix national, la promotion 2024 de l’appel à projets annuel confirme aussi l’intérêt des plans de paysage colorés par une thématique : sept lauréats suivent cette voie, dont quatre dans le domaine de la biodiversité et trois dans celui de l’énergie, grâce à un soutien et un suivi de l’Office français de la biodiversité (OFB) et de l’Agence de la Transition écologique (Ademe).
Certes, l’idée peut surprendre, comme le reconnaît Kathleen Monod, coordonnatrice Aménagement du territoire à l’OFB : « Pourquoi afficher une spécificité dans un exercice de planification paysagère, qui se veut intégrateur ? » Le succès des premières expériences ont poussé à l’approfondissement, dans l’idée de « pousser le curseur de la biodiversité ».
Appropriation énergétique
Pour faciliter l’appropriation y compris auprès d’un public peu enclin à comptabiliser des chauves-souris, l’OFB ne s’interdit pas de sortir des sentiers battus : « A travers des pratiques artistiques, le paysage permet de détechniciser la biodiversité, comme nous l’expérimentons en Haute-Corse, dans la vallée d’Asco », développe Kathleen Monod.
L’adhésion publique motive également le partenariat de l’Ademe. « L’intégration paysagère des énergies renouvelables et leur appropriation par les citoyens conditionnent l’atteinte des objectifs français de décarbonation », argumente son chef de service Electricité renouvelable Stefan Louillat. Sous le titre « Réussir la transition énergétique par le paysage », une récente brochure de l’agence étaye ce point de vue en s’appuyant sur sept retours d’expérience. « Les plans donnent souvent aux élus les arguments pour négocier avec les développeurs », poursuit Stefan Louillat.

Sept retours d'expérience alimentent la récente brochure de l'Ademe sur la planification énergétique locale par le paysage
Le défi du temps long
Malgré l’encouragement institutionnel donné par le grand prix national, les professionnels buttent sur cette question : comment étendre et pérenniser l’élan ? « Pourquoi ne voit-on pas les agences de l’eau, en plus de l’OFB et de l’Ademe ? Le paysage entretient des liens évidents avec l’eau, qu’il y en ait trop ou pas assez », souligne Jean-Pierre Thibault, président du collectif des paysages de l’après-pétrole. Pour répondre au défi du temps long, cette association recommande la structuration d’un réseau national des plans de paysage.
Adressée au ministère de la Transition écologique, une autre suggestion émane de la paysagiste lauréate du grand prix : « J’ai vu malheureusement des plans de paysage finir dans des placards, faute de moyens pour les mettre en œuvre. Pour éviter cela, je suggère que vos appels à projets puissent aussi concerner l’accompagnement des plans d’action », propose Anne-Cécile Jacquot.