Décryptage

Les terres excavées peuvent enfin perdre leur statut de déchet

Attendu depuis fort longtemps, un arrêté publié au « JO » du 27 juin fixe les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement.

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L'arrêté fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et les sédiments est publié au "JO" du 27 juin 2021.

En France, les déchets de BTP représentent plus de 200 millions de tonnes par an, dont 70 % de terres et 30 % de gravats. Lorsqu’ils sont déplacés « hors site », ces terres ou gravats deviennent des déchets. Cela va de pair avec des contraintes juridiques (responsabilité du producteur, traçabilité, interdiction pour le propriétaire du site receveur de recevoir une contrepartie financière – sauf exceptions), fiscales (TGAP), une image négative – celle du déchet, et un certain coût de gestion.

Pour mémoire, par « hors site », il faut comprendre en dehors de l’emprise foncière d’une ICPE. Le site, quant à lui, correspond à « l’emprise foncière, constituée de parcelles proches, comprise dans le périmètre d’une opération d’aménagement ou de génie civil ou sur laquelle sera réalisée une opération de construction faisant l’objet d’un même permis d’aménagement ou faisant l’objet d’un même permis de construire » (note du ministère de la Transition écologique sur la nomenclature des installations de gestion et de traitement de déchets, 10 décembre 2020).

Cette qualité de déchet des terres excavées (TEX) n’est plus une fatalité. A l’instar de nombreux autres déchets trouvant leur place dans une économie circulaire (bois d’emballage, déchets graisseux et huiles alimentaires, déchets de produits chimiques et prochainement les déchets de papier et carton triés), les terres excavées et les sédiments ont désormais, depuis la parution, le 27 juin, de l’arrêté du 4 juin 2021, leurs critères techniques pour redevenir des produits… qui restent réglementés !

Ce texte est l’aboutissement de longues discussions puisque l’on parle de la sortie de statue de déchets (SSD) pour les TEX depuis 2014. Les discussions achoppaient à l’époque sur les analyses à réaliser et les conditions de stockage des déchets. L’arrêté du 4 juin 2021 a fait l’objet d’une consultation publique au printemps 2019 avant d’être publié deux ans plus tard…

Critères cumulatifs

Rappelons que  l’article L. 541-4-3 du Code de l’environnement pose quatre critères cumulatifs pour voir un déchet sortir de ce statut après avoir subi une opération de valorisation, notamment de recyclage ou de préparation :

- la substance ou l’objet est utilisé à des fins spécifiques ;

- il existe une demande pour une telle substance ou objet ou elle répond à un marché ;

- la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ;

- son utilisation n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

L’arrêté du 4 juin 2021 pose quant à lui cinq conditions, essentiellement pour répondre à cette dernière exigence législative.

Déchets concernés

Première condition, les déchets doivent tout d’abord appartenir à l’une des catégories suivantes : terres et cailloux contenant des substances dangereuses ou non, boues de dragage contenant des substances dangereuses ou non, terres et pierres. Les ballasts de voies de chemin de fers, envisagés dans une version intermédiaire de l’arrêté, n’ont pas été retenus.

Deuxième condition, ils ne pourront être mis en œuvre sur un site receveur que si :

- la préservation de la ressource en eau et des écosystèmes présents au droit du site receveur est assurée ;

- les terres excavées et sédiments sont compatibles avec l'usage futur du site receveur sur le plan sanitaire ;

- la qualité des sols du site receveur est maintenue, lorsque cela est prévu par les guides de référence.

Répondre aux exigences fixées dans les guides

Sur ce point, le texte précise que les terres excavées et sédiments devront répondre aux « exigences définies par les guides publiés sur le site officiel du ministère chargé de l’environnement ». Il s’agit des guides suivants :

- acceptabilité de matériaux alternatifs en techniques routières – Évaluation environnementale (Cerema -ex-Setra, 2011) ;

- valorisation hors site des terres excavées issues de sites et sols potentiellement pollués dans des projets d’aménagement (DGPR, 2020) ;

- valorisation hors site des terres excavées non issues de sites et sols pollués dans des projets d’aménagement (DGPR, 2020).

Notre expérience montre que cela ne va pas sans difficulté lorsque les guides, qui deviennent ainsi opposables, posent des conditions de principe trop rigides. Par exemple, les deux derniers guides interdisent la valorisation des TEX sur un site receveur si les substances polluantes caractérisées au sein des TEX présentent des teneurs supérieures ou égales à celles du site receveur. C’est la condition de l’équivalence avec le fond pédo-géochimique.

Lorsque des terres excavées, celles du Grand Paris par exemple, présentent naturellement des teneurs en éléments métalliques supérieures à celle du site receveur, cela fait obstacle à la valorisation – et maintenant à la SSD – alors même que le site receveur peut être très pollué sur d’autres paramètres comme les hydrocarbures et alors même que les métaux présents naturellement dans les TEX sont peu mobilisables par lixiviation, donc sans impact sur le site receveur et l’environnement. A cet égard, il semble opportun, pour faciliter la valorisation et la SSD des TEX, de se remémorer le paradigme français qui veut que l’on apprécie la qualité environnementale d’un sol au cas par cas, en fonction d’un usage donné et d’un risque résiduel acceptable.

Pas de guide, pas de SSD

Par ailleurs, s’il n’existe pas de guide technique officiel, la SSD est tout simplement exclue. C’est regrettable lorsque les conditions de fond, en particulier l’absence « d’effet global nocif pour l’environnement ou la santé humaine », ne posent pas de difficultés. 

Troisième condition posée par l’arrêté du 4 juin : un contrat de cession doit avoir été signé entre la personne ayant préparé les déchets en vue de la SSD et l’aménageur, contrat relativement bien cadré par l’arrêté mais qui devra être rédigé avec soin.

Manuel qualité

Quatrième condition, la personne réalisant la préparation des déchets devra appliquer un système de gestion de la qualité couvrant les processus de contrôle des critères de sortie du statut de déchet (cf. arrêté du 19 juin 2015 relatif au système de gestion de la qualité mentionné à l’article D. 541-12-14 du Code de l’environnement). Rappelons à cet égard l’importance du « manuel qualité » qui comprend notamment l’ensemble des procédures de contrôle, les procédures de retour d’information auprès du producteur des déchets valorisés, l’enregistrement des résultats des contrôles, le système de numérotation des lots de TEX et la formation du personnel concerné par la SSD.

Enfin, cinquième et dernière condition posée par l'arrêté, la personne réalisant la préparation en vue de la SSD devra :

- préparer une attestation de conformité, à transmettre à l’utilisateur de chaque lot de TEX ;

- garantir la traçabilité de chaque lot de TEX et conserver les documents correspondant pendant dix ans (voir aussi décret n° 2021-321 du 25 mars 2021 relatif à la traçabilité des déchets, des terres excavées et des sédiments) ;

- mettre en œuvre les procédures d’auto-contrôle à l’admission et à la sortie des matériaux ;

- faire valider la préparation en vue de la SSD pour un organisme tiers, accrédité pour délivrer la certification EN ISO 14001.

Pour mémoire, depuis un décret n° 2021-380 du 1er avril 2021 relatif à la sortie du statut de déchet, la SSD peut se faire hors ICPE ou  Iota (installation autorisée au titre de la loi sur l’eau). Cela reste néanmoins, au vu de ce qui précède, une opération lourde qui ne se justifie que si elle présente un intérêt économique avéré.

Arrêté du 4 juin 2021 fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l'objet d'une préparation en vue d'une utilisation en génie civil ou en aménagement

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