L’école des Boutours en 2017, le centre de loisirs Jacques-Chirac en 2020, l’école Simone-Veil en 2021, l’accueil de loisirs Mermoz le mois dernier et bientôt les écoles Jean-Mermoz et Bois-Perrier à la prochaine rentrée… Les projets de construction ou de rénovation de bâtiments scolaires, exemplaires sur le plan environnemental, fleurissent à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.
Mais quel est donc le secret de cette commune ? Aux premières loges, la direction recherche et innovation territoriale de la ville. Son objectif : alimenter la réflexion autour des territoires résilients afin de produire des éléments théoriques et d’expérimentation.
« J’ai monté cette direction il y a maintenant près de quinze ans », se remémore Emmanuel Pezrès, son directeur, qui est aussi docteur en architecture. « Je suis entré dans la fonction publique avec en tête la question pressante du changement climatique, et comment continuer à vivre sans détruire notre écosystème voire même l’enrichir. Mon envie était de participer à la protection du bien commun. Le service public, à l'échelle de la commune, était devenu le lieu où agir », raconte-t-il.
Répondre au besoin du Plan écoles
Pour mener à bien son ambition, cette direction, qui émane des services techniques, a fait le choix de reprendre la main sur l'une des compétences obligatoires de la ville : celle de subvenir au besoin d’équipements scolaires. Elle s’inscrit ainsi dans le cadre du Plan écoles de la commune. « Etabli dans sa première version dès 2010, il vise à répondre à la pénurie d’équipements de qualité pour accueillir les enfants d’une population toujours plus grande », explique Sabah Bakir, adjoint au maire chargé du patrimoine communal et du Plan écoles.
« Chaque école est conçue comme un exemple d’aménagement en réponse aux problèmes climatiques, énergétiques et environnementaux en général, explique Emmanuel Pezrès. Le confort d’été, les économies d’énergie, la ventilation naturelle, l’utilisation de matériaux issus de la photosynthèse sont autant de problématiques traitées pour réaliser d’excellentes écoconstructions. »
Maîtrise d’œuvre interne
La direction s’est ainsi constituée comme une agence de maîtrise d’œuvre, interne à la mairie. Elle se structure selon les nécessités de la ville. « Avec ma directrice adjointe, nous sommes deux en interne. Nous constituons ensuite nos équipes projets d’architectes et d’ingénieurs qui sont des contractuels », raconte Emmanuel Pezrès.
Il confie ainsi ne plus avoir recours aux services de bureaux d’études extérieurs. « En tant que service de la fonction publique, nous n’avons pas à rechercher les mêmes bénéfices que le privé, ce qui nous permet de mener plus facilement nos recherches appliquées ».
Un laboratoire de recherche
C’est d’ailleurs comme un laboratoire de recherche que le directeur préfère considérer son service, passant d’abord par la recherche théorique et la validation de prototype avant la construction.
Prenons le cas concret de la mise en œuvre de bottes de paille porteuses à l’école maternelle des Boutours. « Jusque-là, la paille était largement employée entre des montants de bois, bien souvent des bois industriels issus de grandes forêts de résineux plantés en mono spécifique qui acidifient les sols et détruisent la nature. Pour aller plus loin, nous souhaitions donc limiter le recours au bois, en travaillant sur une paille porteuse. Paille qui ne devait pas être traitée par des désherbants comme le glyphosate mais qui devait être issue de l’agroforesterie, afin d’enrichir les écosystèmes plutôt que de les détruire », détaille Emmanuel Pezrès.
A partir de ce cahier des charges ambitieux, les équipes ont réalisé une série de tests et de calculs en interne, ainsi qu’auprès de laboratoires spécifiques. Pour vérifier les capacités portantes de la paille, un prototype de 4m d’envergure a été chargé de sac de sable afin d’observer le tassement de la paille, et déterminer son état limite ultime et en service. La résistance au feu de sa structure a été observée au Cerib, dans son énorme four Prométhée. « Cette façon de fonctionner en interne nous permet de réaliser nos projets rapidement. Sur l’école des Boutours, nous avons mis huit mois à l’étudier puis un an à la construire », indique le directeur.
Subventions originales
Afin de mener à bien ses recherches et ses innovations, la direction de la ville de Rosny-sous-Bois bénéficie de subventions institutionnelles de la part de la région et de la métropole, mais aussi d’autres financements plus originaux pour une commune. En témoignent les deux enveloppes de l’Agence de la transition écologique (Ademe). L’une justement relative à la paille comme élément structurel dans les établissements recevant du public (ERP), l’autre sur la ventilation naturelle avec récupération de chaleur. « L’Ademe était d’ailleurs surprise qu’une ville candidate avec ce type de projet de recherche », confie Charlotte Picard, directrice adjointe et architecte chargée de mission au sein du service. Le service bénéficie enfin de larges aides à la rénovation des écoles. Pour exemple, le centre de loisirs Jacques-Chirac a reçu en tout une enveloppe de 3 millions d’euros sur un montant d’opérations de 5,8 millions d’euros.
Actuellement, la ville de Rosny-sous-Bois fait partie du projet régional Construire au Futur, habiter le futur, lauréat de l’appel à projets national « Territoires d’innovation », lancé en 2019 dans le cadre du Programme d’investissements d'avenir. La direction travaille aussi à un appel à projets qui vise à reconstruire un écosystème complet, mais dont le nom n’a pas été divulgué, en attendant les résultats.
Un exemple à suivre ?
La ville fait désormais figure d’exemple. « Nous sommes en avance sur ce que demande l’Etat pour 2030 », considère Sabah Bakir. Il comptabilise une réduction de la consommation énergétique de 53 % sur 190 000 m² des installations communales, déjà loin devant les attentes du décret tertiaire qui demande une diminution de 40 % en 2030.
« Nous recevons régulièrement des visiteurs internationaux sur nos opérations », confie avec modestie Emmanuel Pezrès, qui compte plus de 80 sollicitations d’universités, de collectifs d’architectes et d’ingénieurs, de communes, de département ou de régions. « Nous avons par exemple reçu, en septembre 2023, une délégation de représentants de la Chambre des architectes de Berlin et de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France sur le bâtiment d’accueil de loisirs Mermoz », expliquait au journal local Christophe Pernès, adjoint du quartier en charge de l’architecture et de l’éco-construction. Le centre de recherche organise aussi des formations professionnelles autour de la paille, notamment auprès des entreprises de travailleur en insertion qu’elle emploie.
« Ce savoir-faire, nous devons le reverser pour le bien commun », ambitionne le directeur. Mais pour lui, la véritable révolution reste à venir, et elle sera culturelle, par exemple : « Au lieu de réchauffer les espaces, nous devons réapprendre à réchauffer les corps ». Des gilets en laine tricotée au sein du café associatif de la ville avaient d’ailleurs été confectionnés à cet effet aux enfants de l’école des Boutours.
