Peut mieux faire : dans une résolution adoptée le 14 mai, le Sénat invite la Commission européenne à "retravailler en profondeur le règlement concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions afin de prévoir notamment une flexibilité sur les délais de paiement et la prise en en compte des spécificités sectorielles et territoriales".
Pour mémoire, ce projet de règlement a été mis sur la table par Bruxelles le 12 septembre 2023, dans le cadre d'une communication intitulée "Train de mesures de soutien aux PME". La Commission estime en effet qu'"en dépit des différents textes en vigueur, la directive 2011/7/UE sur les retards de paiement [...] ne prévoit pas de mesures préventives suffisantes et de mesures dissuasives appropriées, et [ses] mécanismes d'exécution et de recours sont insuffisants". Mais cette proposition de règlement a fait "l'objet de nombreuses critiques de la part des États membres", rapporte l'exposé des motifs de la résolution sénatoriale.
Un délai de paiement unique
Le principal point de crispation autour de cette proposition provient du délai de paiement maximal unique de 30 jours prévu par l’article 3, sans aucune dérogation possible et pour l’ensemble des transactions commerciales, que ce soit entre les entreprises ou entre les pouvoirs publics et les entreprises. Pour la Commission européenne, "l'absence de délai de paiement maximal effectif et l'ambiguïté de la définition de l'« abus manifeste » dans la directive ont conduit à une situation dans laquelle des délais de paiement de 120 jours ou plus sont souvent imposés aux petits créanciers".
Le Sénat, qui partage l’objectif général affiché par Bruxelles de renforcer la lutte contre les retards de paiement afin d’améliorer la compétitivité des entreprises, s'inquiète que ce délai ne tienne pas compte des équilibres et contraintes économiques des différentes filières (enjeux liés à la saisonnalité ou à la rotation longue de certains produits) ainsi que des enjeux territoriaux, en particulier pour les outre-mer. Il porte une atteinte excessive à la liberté contractuelle et pourrait pénaliser les petites et moyennes entreprises, "en leur générant des besoins en fonds de roulement supplémentaires, qui risquent d’entraîner des difficultés de trésorerie significatives pour un certain nombre de commerçants, ce qui est contraire l’objectif affiché par la Commission européenne".
Réalité économique des entreprises
Une vision partagée par de nombreux secteurs économiques. Ainsi, le Conseil du commerce de France et la Fédération française de la franchise rapportent que "l'essentiel des entreprises de commerce ont des accords contractuels avec leurs fournisseurs étendant le paiement à 60 jours date d'émission de la facture ou à 45 jours fin de mois. Ces délais de paiement ont une réalité économique : ils permettent de partager entre le commerçant et son fournisseur le poids financier du stock. Quand un stock de marchandises a une rotation supérieure à son délai de paiement, cela se concrétise par un besoin en trésorerie."
Par ailleurs, la Confédération des PME souligne que "recourir à une mesure aussi drastique ne semble pas pertinent puisque la situation en France s'est améliorée depuis l'entrée en vigueur de la directive [de 2011]. [...] Le passage du délai de paiement à 30 jours pour toutes les entreprises, tous les secteurs et dans toutes les situations, sans jamais pouvoir y déroger, ignore la réalité économique des entreprises et contrevient au principe de liberté contractuelle". Elle estime également que les PME seraient les entreprises les plus fragilisées par la proposition de règlement.
Paiement des sous-traitants
La chambre haute exprime également des réserves sur "l’introduction d’un mécanisme de contrôle du paiement des sous-traitants dans le cadre de marchés publics qui ne prend pas en compte la possibilité de paiement direct des sous-traitants, comme cela existe aujourd’hui en France".L'article 4 vise ainsi à favoriser le transfert des paiements en aval de la chaîne d'approvisionnement dans les contrats de travaux publics, en exigeant du contractant principal qu'il prouve que ses sous-traitants directs ont été payés.
Le Sénat estime que "cette disposition apparaît moins efficace que le droit actuel français" et qu'il "devrait au minimum être complété afin de prendre en compte de tels mécanismes existants et efficaces".
Des propositions de flexibilité
La résolution du Sénat appelle par ailleurs à mener des expertises complémentaires et à clarifier certaines mesures concernant la suppression des dérogations prévues dans certains cas pour les pouvoirs publics, la détermination du point de départ du délai de paiement et l’effectivité des pénalités de retard applicables de plein droit.
Le Sénat juge souhaitable que les États membres puissent moduler le montant de l’indemnité pour les frais de recouvrement - fixée dans la proposition de règlement à 50 euros pour toute transaction commerciale, automatiquement due par le débiteur au créancier, lorsque des intérêts de retard sont exigibles-, en fonction du montant de la transaction commerciale. En outre, il rappelle également "l’intérêt de l’affacturage, solution de souplesse qui apparaît bienvenue mais qui ne doit pas conduire à un accroissement des délais de paiement".
Un règlement à revoir
Pour ces différentes raisons, la résolution de la chambre haute indique clairement son refus concernant la "proposition de réduction uniforme, sans aucune flexibilité, des délais de paiement". Des assouplissements seraient à l’étude à la suite des propositions faites en mars par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement et par le commissaire européen Thierry Breton.