Comment devient-on président du Muséum national d’histoire naturelle ?
J’ai démarré ma carrière comme assistant ingénieur au CNRS [Centre national de la recherche scientifique], en charge des collections de paléontologie de l’université de Bourgogne, avant d’être chercheur et de prendre en charge les collections de paléontologie de l’université de Bourgogne. Je suis ensuite devenu président des réserves, avant de prendre la direction d’un laboratoire mixte - CNRS/université de Bourgogne - des sciences de la Terre, à Dijon. En trois mandats, ce laboratoire est devenu Biogéosciences : laboratoire interdisciplinaire qui fait l’interface entre les sciences de la Terre et celles de la vie. Ce petit labo a pris une ampleur nationale et internationale…
Quelle est votre ambition pour le MNHN ?
Le MNHN est un établissement complexe, qui compte treize sites en France (1). Il couvre de nombreux champs d’activité (recherche, archivage de collections, expertise, enseignement, diffusion des savoirs…) et réunit plusieurs métiers, dans des domaines disciplinaires variés, qui vont des sciences de la Terre, avec la cosmochimie ou la paléontologie, jusqu’aux sciences humaines, avec la préhistoire ou l’ethnobiologie. On peut regarder le Muséum dans toute sa complexité comme l’analogie d’un système d’information géographique ou d’une matrice multidimensionnelle. En regard de cette complexité, j’ai développé pour le Muséum un projet intégratif qui fait la promotion des liens entre les sites, les métiers et les disciplines. Ainsi, le parc zoologique de Paris n’est pas un zoo ordinaire, c’est celui du Muséum. Cette appartenance doit être visible d’emblée, à travers un affichage et des choix pédagogiques appropriés. Les visiteurs doivent aussi savoir que le Muséum possède d’autres sites avec des collections animales vivantes : la ménagerie du Jardin des plantes, à Paris, la réserve de la Haute-Touche (Centre) et le marinarium de la station de biologie marine de Concarneau (Bretagne).
Comment va se traduire concrètement cette volonté de transversalité ?
Sur ses différents sites, le Muséum compte environ 2 000 personnes, dont 450 chercheurs en partie rattachés à d’autres établissements : CNRS, Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], IRD [Institut de recherche pour le développement], etc. La future organisation permettra la mise en place du projet intégratif, à partir des propositions des groupes de travail réunis en ateliers.
Comment le Muséum éclaire-t-il le législateur ?
Nos chercheurs sont régulièrement sollicités par des institutions diverses les douanes, par exemple , ou des instances politiques. Ils participent à des comités de réflexion et sont auditionnés devant le Sénat ou l’Assemblée nationale... De nombreuses personnes du Muséum ont été impliquées dans la rédaction du projet de loi sur la biodiversité, par exemple. Or, dans ce texte, il y a l’accès et partage des avantages, qui doit réguler la manière dont les autorisations de prélèvement sont accordées. Ainsi, désormais, quand nous allons sur le terrain et que nous collectons des organismes vivants, des règles très strictes doivent être respectées.
Quels sont vos craintes et vos espoirs dans la lutte contre l’extinction des espèces ?
Certes, plusieurs espèces se sont éteintes pour des raisons anthropiques : l’homme a eu une action sur un certain nombre d’entre elles par surexploitation des richesses naturelles, destruction des habitats, pollutions, etc. Résultat : des espèces disparaissent, et c’est dramatique. Mais ce qui est encore plus tragique, ce sont les effondrements d’effectifs, bien plus annonciateurs d’une crise. En effet, les crises du passé n’ont jamais été des hécatombes. L’image de la météorite qui tombe sur la tête du dinosaure est fausse. Une crise ne fait pas de morts mais correspond à un déficit des naissances, à une diminution du succès reproducteur, comme disent les scientifiques. Progressivement, de génération en génération, il y a de moins en moins de descendants jusqu’à l’extinction de la population, puis de l’espèce. Les causes en sont le changement climatique, la destruction de l’habitat, les altérations d’environnement, la compétition avec des espèces introduites, l’apparition de parasites… Par exemple, en Europe, en trente ans, 420 millions d’oiseaux ont disparu, soit 25 % des populations d’oiseaux. Ce sont les pinsons, rouges-gorges, bouvreuils, mésanges… Aucune de ces espèces n’a disparu pour le moment, mais elles comptent de moins en moins d’individus, ce qui veut dire qu’in fine, elles risquent de disparaître. Et c’est grave car ce sont des espèces extrêmement communes.
Comment lutter contre ce phénomène ?
Par un changement de comportement de l’espèce humaine. Il y a le changement climatique, certes, mais les facteurs essentiels de pression sur les écosystèmes, et donc de risques sur les espèces, sont des facteurs de changement d’usage : déforestation, arrachage des haies, surexploitation des ressources, pollutions, etc. Par exemple, tous les sept ans, une surface équivalant à un département est artificialisée : on goudronne, on bétonne, on pave au rythme de douze départements à l’échelle d’une vie humaine…
Quel est votre rôle auprès des pouvoirs publics ?
En tant que scientifiques, nous sommes des lanceurs d’alerte. Avec Patrick de Wever, professeur de géologie au Muséum, nous avons écrit La biodiversité de crise en crise pour mettre en perspective la crise actuelle à l’aune des crises anciennes. Généralement, les politiques sont attentifs, mais tenir compte des alertes est un exercice difficile, car une véritable prise en compte pourrait impliquer un bouleversement certes progressif, mais profond, des systèmes économique et social. La société est-elle prête ? Et puis, si les scientifiques ont l’impression qu’ils ne sont pas assez entendus, qu’ils s’engagent eux-mêmes en politique !
Quel est le bilan de la récente mission d’exploration de la biodiversité en Guyane dans le cadre de La Planète revisitée ?
La Planète revisitée est un programme d’exploration de la nature, mené conjointement par le Muséum et Pro-Natura International. Ces grandes expéditions ont d’abord pour vocation d’enrichir les collections du Muséum. Ce sont les seules expéditions qui s’étendent sur un gradient terre-mer - en Guyane, depuis le sommet des monts Tumuc-Humac, qui ont fait fantasmer les géographes français du xixe siècle, jusqu’à 650 m au fond de l’océan - et essaient d’inventorier toutes les espèces. Ces expéditions fournissent une photographie précise de la biodiversité en un lieu et à un moment donnés…
A-t-on fini de découvrir la richesse végétale de la planète ?
En Guyane, nous avons découvert des centaines d’espèces, dont des dizaines d’espèces nouvelles. Mais vous savez, nous sommes loin de connaître l’état de la biodiversité sur la planète. À ce jour, nous avons décrit moins de 2 millions d’espèces vivantes, or il pourrait en exister plus de 20 millions…
Quelle est la place du Muséum dans le réseau scientifique national ou mondial ?
Le Muséum occupe une place importante dans le réseau national. Ainsi, dans le domaine de la biodiversité, c’est le seul établissement qui, dans une unité de lieu, couvre à la fois la biodiversité ancienne depuis l’origine de la vie et la biodiversité actuelle ; la biodiversité terrestre, végétale, animale, microscopique… C’est le seul endroit où tous ces chercheurs peuvent interagir étroitement. Il faut par ailleurs savoir que, parmi les musées européens, le Muséum est un poids lourd dans le domaine de la recherche. En effet, au sein d’un réseau de sept établissements, à Londres, à Berlin, à Francfort, à Copenhague, etc., à lui seul, le Muséum abrite plus de chercheurs que les six autres réunis. C’est là une très belle originalité de notre établissement.
Quel est le rôle du Muséum dans l’éducation du grand public ?
Au cœur du Muséum sont les collections. Elles trouvent leur sens grâce à la recherche qui les éclaire, et ce message scientifique, adossé aux objets des collections, est ensuite transmis, expliqué au public dans nos galeries, nos parcs et jardins. Dans le cadre du resserrement des missions, je souhaite que la science du xxie siècle entre davantage dans les galeries. Il faut que tous les publics puissent y trouver à apprendre. Le Muséum est là pour émerveiller, fasciner et instruire.
Quel est le lien entre la recherche et les jardins du Muséum ?
Les jardins du Muséum font l’objet de nombreuses recherches : des chercheurs travaillent sur un espace écologique de 1 ha dans le Jardin des plantes ; l’arboretum de Chèvreloup (Île-de-France) est une collection de recherche de 2 500 arbres ; nous hébergeons le Conservatoire national botanique du bassin parisien ; nous avons une graineterie, une collection de graines qui est une référence… Dans le domaine végétal aussi, nous sommes des chercheurs actifs !



