Le chantier de rénovation de Notre-Dame de Paris n’est pas tout à fait bouclé pour Le Bras Frères. L’entreprise de charpente et de couverture lorraine est encore à pied d’œuvre sur la cathédrale rouverte en grande pompe le 7 décembre dernier : ses compagnons recouvrent de tables de plomb la partie basse de la flèche de Viollet-le-Duc, un chantier prévu pour durer jusqu’à cet été.
Julien Le Bras, le président de cette société familiale de 300 salariés installée à Jarny (Meurthe-et-Moselle), à l’ouest de Metz, peut néanmoins se satisfaire « d’avoir répondu au challenge présidentiel et respecté des délais très ambitieux pour un ouvrage de cette envergure, sans faire aucune concession sur la qualité ».
L’engagement du dirigeant de 37 ans sur le chantier de ce monument national remonte à 2017, soit deux ans avant l’incendie : L’entreprise fondée en 1954 avait été lauréate de l’appel d’offres portant sur la restauration de la flèche. Les travaux étaient en cours lorsqu’est survenu l’incendie, le 15 avril 2019. Le Bras Frères a participé dans l’urgence à la sécurisation du pignon nord qui menaçait de s’écrouler, avant d’être mise en cause quelques jours plus tard dans la survenue du sinistre. Finalement blanchie, la société a décroché à l’automne 2022 le marché de reconstruction des charpentes de la flèche et du transept en groupement avec trois autres entreprises françaises : Asselin (Deux-Sèvres), Cruard (Mayenne) et Métiers du Bois (Val-de-Marne).
25 millions d’euros investis en dix ans
Sa capacité à allier des savoir-faire ancestraux aux technologies modernes s’est notamment incarnée dans le calcul et la conception des 28 spectaculaires cintres en bois, destinés à soutenir temporairement les arcs-boutants de la voûte de Notre-Dame fragilisée par l’incendie. L’entreprise, dont le bureau d’études compte une vingtaine de dessinateurs et ingénieurs, a numérisé les arcs-boutants, tous de géométries différentes, préfabriqué les cintres et recouru, pour leur mise en place, à des systèmes de levage par vérinage hydraulique, une technique plus couramment utilisée pour les ouvrages d’art.
« Notre-Dame de Paris nous a fait vivre un ascenseur émotionnel », résume le représentant de la troisième génération de dirigeants familiaux. Un ascenseur qui, par un juste retour des choses, a aujourd’hui des retombées positives sur les carnets de commandes du groupe lorrain. « Ce chantier hors normes a montré nos capacités à relever des challenges. Désormais, peu de portes nous sont fermées », poursuit Julien Le Bras. Il en résulte qu’en dépit de la fin des chantiers du village olympique et malgré une conjoncture plutôt flottante dans la construction, l’entreprise maintient un niveau d’activité élevé. « Après une progression de 20 % l’an dernier, avec un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros en 2024, nous allons stabiliser ce chiffre et reprendre une croissance plus modérée mais régulière », note le responsable aux manettes de l’entreprise avec trois de ses cousins. Cette progression concerne la partie « monuments historiques » avec laquelle Le Bras Frères réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires, en incluant la partie « échafaudages », mais aussi la construction neuve et en rénovation, un secteur où l’entreprise signe le tiers restant : elle a notamment été associée à la construction de la tour R+16 en structure bois-béton de l’îlot Albizzia, dans le quartier de Lyon Confluence.

Julien Le Bras, 37 ans, président de l’entreprise dit avoir vécu « un ascenseur émotionnel » avec le chantier de Notre-Dame de Paris. © Philippe Bohlinger
Opportunités dans la solarisation des toitures
Ces bons résultats sont notamment le fruit d’une politique d’investissement, avec 25 millions d’euros injectés, ces dix dernières années, dans les ateliers et dans les capacités d’hébergement pour ses apprentis, ils sont 40 cette année.
Quid du futur ? Sur le marché des monuments historiques, les perspectives apparaîtraient plutôt positives aux yeux de Julien Le Bras qui identifie dans la Loi de finances pour 2025 récemment adoptée, « une nette amélioration du budget de restauration et d’entretien des monuments historiques par rapport aux trente dernières années ». Preuve de sa confiance en l’avenir, la société, également installée à Varney (Meuse) et Chilly-Mazarin (Essonne), a acquis un hectare de friches SNCF attenant à son usine de Jarny avec l’objectif d’y inaugurer, en 2027, une extension de 500 m2 de ses ateliers de charpente métallique.
En parallèle, celui qui pilote l’entreprise depuis 2014 dit « réfléchir à développer des activités dans le solaire » : solarisation des toitures, renforcement des charpentes destinées à accueillir des panneaux solaires, création d’ombrières photovoltaïques en bois, etc. Monter une offre « tous corps d’état » à l’attention de propriétaires privés désireux de rénover leur patrimoine (château, abbaye, etc.) est un des autres projets du trentenaire, jamais à court d’idées.