La ville durable est-elle un leurre ?

Alain Cluzet, urbaniste

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - HOR50 Cluzet.eps

L’urbanisation est au cœur de tous les enjeux de développement et d’environnement. Dès 2025, la population urbaine mondiale aura doublé pour atteindre 5 milliards de personnes. Mais elle ne se concentrera pas dans les agglomérations existantes. Sur tous les continents, y compris en Europe, elle s’étale inexorablement.

Un enjeu crucial pour l’humanité. Dans le même temps, le climat change très rapidement. Les experts prévoient une évolution de 1,5° à 5,8° des températures au cours du 21e siècle, soit l’équivalent de l’évolution opérée depuis la dernière période glaciaire, à cause du seul effet de serre. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre en France sont les transports (27 %), l’industrie (21 %), l’agriculture (20 %) et le bâtiment (18 %). Mais la part de l’industrie régresse alors que celle des transports pourrait dépasser les 30 % dès 2010. Et c’est notamment l’implantation éclatée des entreprises et des habitations qui conduisent à cette sur-utilisation des transports individuels, dépendants d’hydrocarbures en voie de raréfaction. Les coûts de recherche ne cesseront d’augmenter avant l’épuisement de cette ressource naturelle dans quelques décennies. Or la consommation mondiale, pour l’essentiel vouée aux transports, va croître à 5,8 milliards de tonnes prévus en 2030 contre 2,5 en 1970. Il aura ainsi fallu 100 millions d’années pour accumuler le pétrole et seulement 100 ans pour le consommer. L’urbanisation généralisée menace également la biodiversité et se traduit par une disparition rapide de nombreuses espèces.

L’objectif affiché de division de l’effet de serre par quatre avant 2050 et l’épuisement prochain du pétrole ne se prêtent pas à des amendements à la marge d’un modèle de développement urbain hyperconsommateur. Il n’est pas de solution rapide à grande échelle dans les seules économies d’énergie, largement compensées par un surcroît de consommation. Ainsi la meilleure isolation des bâtiments est accompagnée d’une augmentation du chauffage de plusieurs degrés, les voitures consomment moins d’essence mais on les utilise plus, les infrastructures ferroviaires sont améliorées mais les gens habitent de plus en plus loin de leur travail…

La loi SRU avait vocation à freiner l’étalement urbain mais plus de 5 ans après sa promulgation, cette loi n’est toujours pas appliquée réellement, c’est-à-dire traduite dans un cadre strict pour tout aménageur. Elle a même été édulcorée par des réformes, avec la réintroduction de densités maximales et la suppression des participations aux réseaux en zone rurale. Des SCOT sont à l’étude dans la majeure partie du territoire, mais à peine 10 ont été approuvés et ne sont pas réellement prescriptifs. Alors même que l’urbanisation augmente en France au rythme de 1 000 km2 par an, les Scot, comme les PLU, PDU et PLH achoppent sur le plus difficile : les arbitrages. Le choix le plus fréquent est d’établir des documents d’orientation vagues et peu illustrés. Ainsi, les ambitieux « plans d’aménagement et de développement durable » (PADD) ne sont guère différents des simples rapports de présentation des anciens POS et les plans de déplacements urbains ne s’imposent toujours pas aux projets routiers alors que ceux-ci concernent 90 % des déplacements urbains. De contraignante, verticale et détaillée, la planification urbaine est devenue stratégique et partenariale, mais n’est plus réellement prescriptive. Ainsi le Sdrif (Schéma directeur d’Ile-de-France) de 1994 a subi de nombreuses entorses : en Essonne, l’étalement urbain est supérieur de 20 % au maximum autorisé pour seulement 50 % des prévisions de croissance de population. Qu’en sera-t-il du Sdrif suivant ? Avec l’effritement de la planification, l’ère des grandes opérations d’urbanisme est révolue, du fait de la lourdeur des procédures, des risques juridiques et surtout de la possibilité de construire de façon diffuse sans coûts collectifs. Les taxes foncières n’ont aucune vertu correctrice. La France est ainsi un des pays les plus laxistes face à l’étalement urbain : planification urbaine verbeuse et non impérative, participations financières quasi inexistantes, taxes foncières faibles et mécaniques, acquisitions foncières publiques marginales…

Toutes les solutionstechniques existent. Il n’est pas de réponse réelle à cette équation redoutable (qualité de vie et d’accessibilité pour tous, préservation de l’environnement et moindre consommation énergétique) sans développement urbain économe, canalisé le long de réseaux de transports collectifs, par les règles, la fiscalité et les subventions. C’est pour partie le cas au Danemark, aux Pays-Bas et en Allemagne mais aussi à un degré moindre en Suisse ou en Grande-Bretagne, notamment par des taxations différentielles et la maîtrise publique des sols à urbaniser. Aussi, à l’heure ou une taxation européenne de la suburbanisation est également envisagée, peut-on continuer en France à développer les routes, les transports en commun et l’urbanisation hors de toute logique d’économie spatiale, subventionner l’étalement avec des prêts à taux zéro, freiner le renouvellement urbain par mille contraintes, et revendiquer le développement durable comme priorité nationale ?

Image d'illustration de l'article
PHOTO - HOR50 Cluzet.eps PHOTO - HOR50 Cluzet.eps
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !