La douche froide pour les acteurs de la rénovation. Pilier de la décarbonation du parc résidentiel, MaPrimeRénov’ pourrait être suspendu de juillet à décembre pour des raisons budgétaires, selon Le Parisien. « Les caisses sont vides pour continuer d’accompagner financièrement les travaux d’amélioration énergétique » des logements privés, résume le quotidien, rappelant que « depuis deux ans, la part du financement de l’Etat dans le dispositif n’a eu de cesse d’être rabotée ».
Le ministère du Logement ne dément pas et dit préparer des annonces « courant juin », à la fois pour donner de la visibilité aux acteurs et aux ménages, mais aussi pour lutter contre la fraude, qui se situe à un « niveau élevé » actuellement. Et en 2026, à quel guichet les ménages devront-ils se présenter pour bénéficier d’un soutien financier ? Réponse « courant juillet », assure le ministère.
Edouard Barthès, président du syndicat professionnel Symbiote (200 entreprises adhérentes), n’est pas surpris par ce chambardement : « Cela fait plusieurs semaines que nous notons des dysfonctionnements, des retards de paiements et que nous demandions des éclaircissements. En vain. »
Même son de cloche chez Frédéric Utzmann, président de la société Effy, qui accompagne les particuliers dans leurs projets de rénovation thermique : « Dès le mois de janvier, nous lancions l’alerte sur le sous-dimensionnement des crédits alloués à MaPrimeRénov’ pour cette année, et demandions des ajustements simples permettant d’assurer un meilleur équilibre budgétaire en baissant les taux de subventionnement, en contrôlant mieux le coût des travaux éligibles et en bloquant les subventions demandées par l’intermédiaire d’opérateurs qui abusent du dispositif… » Et d’ajouter : « Suspendre cette aide, c’est tuer une dynamique pourtant positive et condamner la filière et tous les emplois qui en dépendent dans les territoires. »
L’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui pilote Ma Prime Rénov’, « n’avait pas les moyens de ses ambitions » en matière de rénovations dites d’ampleur, plus coûteuses que les monogestes, souligne Nicolas Moulin, président de Primes Energie, autre société d’accompagnement des ménages.
L’entrepreneur, par ailleurs promoteur-rénovateur de logements, dénonce « une réforme très coûteuse axée exclusivement sur des rénovations d’ampleur trop généreusement subventionnées, au détriment des monogestes, dans un millefeuille administratif d’intermédiaires », en référence aux MAR, les architectes et autres professionnels qui touchent 2000€ en tant que Mon Accompagnateur Rénov’. « Avec cette politique, la seule croissance constatée, c’est celle de la fraude. Pour le reste, le marché est à l’arrêt », déplore-t-il.
Marc de Beaucorps, cofondateur de l’application Finovox, qui détecte les faux documents, abonde : « La suspension de Ma Prime Rénov’ révèle un paradoxe : les crédits sont épuisés, tandis que les délais s’allongent pour les vrais bénéficiaires. En cause, de nombreux dossiers frauduleux passés entre les mailles du filet. »
Sanctuariser le soutien aux rénovations d’ampleur
Edouard Barthès, du syndicat Symbiote, par ailleurs dirigeant d’EBS Energie, délégataire de Certificats d’économie d’énergie (CEE), pense à la suite : « Je milite pour un retour en arrière, sans argent public, avec le seul mécanisme des CEE qui fonctionnait très bien et reste le premier levier de la rénovation énergétique dans le pays (pour le logement mais aussi l’immobilier tertiaire, NDLR). Alors que MaPrimeRénov’ fait l’objet de stop-and-go chaque année lors des débats budgétaires, les CEE, ce sont 6Mds€ par an sur une période de cinq ans. De quoi donner de la visibilité aux industriels, installateurs, financeurs, contrôleurs… » Problème : la prochaine période, du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2030, n’est toujours pas actée.
« Les stop-and-go sont un poison pour la filière, analyse Oussama Djeddi, cofondateur du bureau de contrôle Spekty, chargé de vérifier les travaux financés par les CEE. Ils fragilisent les acteurs vertueux, mais laissent le champ libre aux fraudeurs ultra-agiles, peu contraints par des exigences de qualité ou de formation, et redoutablement efficaces pour capter les aides publiques avec comme seul investissement des publicités sur les réseaux sociaux. »
Sur son profil LinkedIn, ce dernier propose à la fois d’augmenter la part des CEE dans le financement de MaPrimeRénov’, afin « d’alléger le budget de l’Etat tout en maintenant un dispositif ambitieux », et de plafonner les aides pour les rénovations d’ampleur dans le but de « mieux maîtriser les dépenses et éviter les devis excessifs ».
De son côté, Nicolas Moulin, de Primes Energie, délégataire CEE, souhaite « revenir à des choses simples et stables : encourager les monogestes successifs, privilégier les ménages modestes, clarifier les rôles entre MaPrimeRénov’ et les CEE que nous continuons toujours à distribuer aux particuliers souhaitant engager des travaux ».
Frédéric Utzmann, lui, suggère de sanctuariser l’accompagnement de la rénovation d’ampleur par des financements publics, via MaPrimeRénov’ et de soutenir les monogestes par les CEE, financés par des entreprises privées, notamment du domaine de l’énergie et de la production de carburant.
« Corrigeons ce qui ne fonctionne pas »
Chez les politiques, c’est l’incompréhension. Dans la majorité, le député Lionel Causse « espère qu’il s’agit d’une fausse nouvelle ». « Nous avions alerté sur ce risque dès 2024, lors des discussions sur le projet de loi de finances pour 2025, la ministre garantissant un budget accru si besoin. Ce serait une mauvaise nouvelle après les attaques sur le ZAN, les ZFE, la RE 2020… Ne détruisons pas les acquis de 2017-2022 et continuons de corriger ce qui ne fonctionne pas », explique-t-il au « Moniteur ».
« Le gouvernement impose des normes énergétiques toujours plus absurdes… puis coupe les aides en plein vol », a de son côté réagi le député RN Frédéric Falcon.
Contactée depuis avril au sujet de la rapide consommation de son budget 2025, l’Anah n’a toujours pas répondu à nos questions.