La réglementation est-elle une empêcheuse, sinon de tourner en rond, en tout cas d'innover dans le bâtiment ? On pourrait le penser a priori. La loi du 4 janvier 1978, par exemple, oblige les constructeurs d'ouvrages de bâtiment à garantir par une police d'assurance leur responsabilité décennale. En clair : pas d'assurance-construction, pas de droit de construire un bâtiment.
Or les assureurs, aujourd'hui moins que jamais, ne se précipitent pas sur le marché de l'assurance-construction. Car le risque décennal n'est pas facile à apprécier ; surtout quand il doit être couvert en capitalisation, ce qui contraint les assureurs à faire un quasi-pari sur la bonne tenue des produits mis en oeuvre sur les dix années à venir. Cette évaluation est plus délicate lorsque l'entreprise est conduite à utiliser des produits ou procédés innovants. C'est-à-dire des produits ou procédés qui n'ont pas complètement fait leur preuve sur le terrain, et/ou dont la non-stabilisation technologique n'a pas encore permis la normalisation.
Heureusement, si le législateur a imposé cette obligation d'assurance aux entreprises de bâtiment, il n'a pas oublié d'imposer en même temps aux assureurs-construction d'exercer leur métier : c'est-à-dire d'assurer ces entreprises. Et afin de débloquer les éventuels refus d'assurance, il a créé le Bureau central de tarification (BCT), dont les conditions de saisine viennent d'ailleurs d'être facilitées (, publié dans le cahier « textes officiels » du « Moniteur » du 6 juin 1997). Mais quel que soit le cas de figure (tarification directe par un assureur ou évaluation par le BCT), il y aura lieu de se forger une opinion sur le comportement prévisible d'ouvrages lorsqu'ils devront être réalisés avec des produits ou procédés innovants, pour lesquels les normes de produits ou de mise en oeuvre et les DTU ne fournissent pas d'éléments d'appréciation, ou fournissent des éléments insuffisants.
L'avis technique : un outil précieux
Précisément, la procédure de l'Avis technique, organisée par l'arrêté du 2 décembre 1969 (modifié par l'arrêté du 17 mai 1983), a pour objet d'aider les divers intervenants à l'acte de construire à se forger cette opinion autorisée sur ces produits et procédés innovants. La commission, placée auprès du ministre chargé de l'Equipement et du Logement et dont le CSTB assure le secrétariat, formule ses Avis techniques, sollicités à titre facultatif, « sur l'aptitude à l'emploi des procédés, matériaux, éléments ou équipements utilisés dans la construction, lorsque leur nouveauté ou celle de l'emploi qui en est fait n'en permet pas encore la normalisation ». Plus particulièrement, ces Avis techniques constituent pour les assureurs-construction un outil précieux en vue du classement des risques techniques dans la construction. Et par conséquent pour l'établissement de leurs structures tarifaires (voir encadré).
Outil d'aide à la tarification pour les assureurs, les Avis techniques ne préjugent pas pour autant des conditions d'assurabilité d'un produit ou d'un procédé : les assureurs entendent conserver leur pleine responsabilité dans la détermination de ces conditions.
Ce qui les conduit parfois à marquer une certaine « distance » par rapport au contenu des Avis techniques, au prétexte que les groupes spécialisés chargés de les formuler sont mus par une logique différente de celle des techniciens de l'assurance-construction.
Au-delà des considérations de nature expérimentale, dont ils ne nient pas l'importance, les assureurs-construction sont en effet très attachés à leur corrélation avec le comportement effectif du produit mis en oeuvre, sans oublier le soin qui doit être constamment apporté à ses conditions de fabrication.
Ils s'attachent à la probabilité de survenance du risque à assurer, en s'appuyant sur leur expérience dans l'assurance de risques considérés comme analogues. Enfin et surtout, ils s'attachent aux conséquences financières de la survenance du risque, d'autant qu'un risque jugé techniquement mineur a priori pourra ne plus l'être a posteriori par une jurisprudence dont la dérive consumériste est mal contrôlée.
Il n'en reste pas moins que les Avis techniques, dans la mesure où ils contribuent à faire apprécier l'assurabilité des produits ou procédés nouveaux, sont un élément essentiel d'intégration de l'innovation dans la construction. D'autant que, sur le terrain, la politique technique développée par le ministère de l'Equipement dans le cadre du « secteur pilote d'innovation régionalisé » (SPIR) permet de « démontrer concrètement l'intérêt des innovations et de disposer, sur l'ensemble du territoire, de réalisations démonstratives pour des actions de communication, de sensibilisation et de formation » (annexe 2 de la circulaire du 13 janvier 1997 sur la programmation des financements aidés, publiée dans le cahier « textes officiels » du « Moniteur » du 17 janvier 1997).
Un puissant facteur de diffusion
On remarque d'ailleurs qu'au fil des ans, les opérations expérimentales de nature fondamentalement technique ont progressivement laissé la place à des expérimentations organisationnelles . « Il est vain de promouvoir une innovation si on n'a pas préalablement testé son apport en vraie grandeur », rappelle Olivier Piron, secrétaire permanent du Plan construction et architecture. « Nous marchons avec nos deux pieds, qui sont l'innovation et la réglementation. » L'expérimentation permet de valider l'innovation. En particulier, elle prélude à l'adaptation de la réglementation, lorsque celle-ci est nécessaire. En intégrant finalement l'innovation, non seulement la réglementation ne lui est plus un obstacle mais, au contraire, elle devient son plus puissant facteur de diffusion. L'acoustique et la thermique en sont des exemples récents. L'intégration du paramètre « sécurité » en est une illustration permanente.
Facteur de diffusion de l'innovation, la réglementation devient même un levier pour l'engagement de travaux : la dernière enquête de Batim-Etudes (« Le Moniteur » du 3 octobre) ne vient-elle pas de montrer que, pour quelques projets retardés du fait des surcoûts induits, une majorité de maîtres d'ouvrage se dégage pour considérer que la réglementation a un effet amplificateur sur l'importance totale de leurs travaux ?