Interview

«La loi Climat ne permettra plus aucune appréciation d’opportunité, y compris pour des projets de requalification de zones commerciales existantes», Christine Castéra

L'avocate (cabinet Parme Avocats) analyse les dispositions du projet de loi Climat et résilience votées en première lecture par l'Assemblée nationale concernant l'implantation des surfaces commerciales et entrepôts logistiques.

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Christine Castera
Christine Castera, avocate au sein du cabinet Parme Avocats

L’article 52 du texte fixe un principe général d’interdiction de création ou d’extension de nouvelles surfaces commerciales qui entraînerait une artificialisation des sols. Que pensez-vous de ces mesures ?

La loi Elan avait déjà amorcé cette tendance restrictive en instaurant la possibilité pour le préfet de suspendre les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) portant sur des projets situés en dehors des périmètres d’intervention des opérations de revitalisation du territoire (ORT). Le nouveau dispositif s’inscrit dans cette démarche, dans une logique principalement environnementale cette fois.

Dans son avis rendu sur le projet de loi, le Conseil d’Etat a condamné le principe d’une interdiction générale et absolue, d’où l’introduction de possibilités de dérogations au cas par cas, en lieu et place du moratoire réclamé par certains. Il reste que pour les projets dépassant le seuil de 10 000 m² de surface de vente, c’est toujours une interdiction pure et simple qu’il est prévu d’appliquer.

Justement, quid de ces dérogations ?

Elles ne concernent que les équipements commerciaux inférieurs à 10 000 m² de surface de vente. Le pétitionnaire devra en outre démontrer, dans l’analyse d’impact de son projet, que celui-ci s’insère en continuité avec les espaces urbanisés, dans un secteur au type d’urbanisation adéquat, qu’il répond aux besoins du territoire, et remplit une des quatre autres conditions parmi lesquelles le fait d’être situé dans le secteur d’intervention d’une ORT ou un quartier prioritaire de la politique de la ville, ou encore d’opérer une compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé…

Ces dispositions sont-elles pertinentes ?

On peut s’interroger sur l’opportunité de ces nouvelles mesures qui introduisent de la complexité dans un régime modifié récemment qui soumet déjà l’examen des demandes d’AEC à des critères portant sur le développement durable, en particulier l’imperméabilisation des sols. Et ce alors que le contrôle exercé par les commissions compétentes n’a cessé d’être renforcé ces dernières années avec notamment la possibilité donnée à la CNAC [Commission nationale d'aménagement commercial, NDLR] de s’autosaisir des projets les plus importants et l’introduction récente du « test anti-friche » (*) que le porteur de projet doit joindre à son dossier. Sans compter les difficultés d’interprétation que vont susciter les conditions d’octroi de ces dérogations, et la définition même de l’artificialisation des sols par l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme qui devra être précisée par décret…

L'article 52 bis nouveau du texte prévoit, quant à lui, de planifier, par le biais des Scot, le développement des entrepôts. En pratique, cette mesure aura-t-elle un impact dans la lutte contre l'artificialisation ?

Ce dispositif a été introduit en cours d’examen par l’Assemblée nationale, en réaction aux critiques émises à l’encontre du projet initial qui ne visait pas les entrepôts logistiques, en particulier ceux affectés au e-commerce, non soumis à AEC alors qu’ils développent des surfaces importantes le plus souvent en dehors des zones urbanisées. Le durcissement du régime d’autorisation des projets commerciaux alors que les entrepôts échappent à la réglementation de l'urbanisme commercial pose aussi la question de l’atteinte au principe d’égalité entre les opérateurs économiques.

La mesure n’est toutefois pas totalement innovante, l’article L. 141-6 du Code de l’urbanisme prévoyant déjà la possibilité pour le document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC) du Scot de déterminer les conditions d’implantation des constructions logistiques commerciales en fonction de leur surface, de leur impact sur les équilibres territoriaux, de la fréquence d’achat ou des flux générés par les personnes ou les marchandises. Les principaux changements retenus en l’état résident dans le fait que ces mesures, jusqu’ici facultatives, devront obligatoirement figurer dans le DAAC et prendre en compte des critères nouveaux, notamment l’impact sur l’artificialisation des sols, ce qui tend à renforcer le dispositif actuel.

Ces dispositions, si elles vont au terme du parcours parlementaire - le Sénat examinera le texte courant juin -, marquent-elles un coup d’arrêt pour les projets de centres commerciaux ?

Il est certain que ces mesures vont encore restreindre la possibilité d’obtenir une AEC, alors que l’appréciation de la CNAC est de plus en plus sévère et qu’un nombre grandissant de projets soumis à son examen est aujourd’hui refusé, y compris pour des surfaces modestes.

Et la création/extension de projets commerciaux deviendra assurément beaucoup plus difficile, voire totalement impossible dans de nombreux cas. Outre l’atteinte portée au principe de la liberté d’entreprendre, un tel dispositif ne permettra plus aucune appréciation d’opportunité, y compris pour des projets qui s’inscriraient dans une démarche de requalification de zones commerciales existantes et proposeraient un mécanisme de compensation par la transformation de sols artificialisés en sols non artificialisés, dès lors qu’ils dépasseront le seuil de 10 000 m² les privant de toute possibilité de dérogation.

Ces mesures restrictives permettront-elles d'atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette en 2050 ?

Cela me paraît bien ambitieux, d’autant que les projets commerciaux, qui font l’objet des mesures les plus restrictives, ne sont pourtant pas le premier facteur d’artificialisation des sols. Le logement, les infrastructures de transport, et les activités économiques de manière globale tiennent une très large place dans ce processus.

Il est vrai que des mesures plus générales sont également prévues par l’adaptation et le renforcement des règles des documents d’urbanisme, mais le résultat dépendra aussi de la volonté politique locale et de la bonne utilisation ou non qui sera faite des outils de planification urbaine mis à la disposition des collectivités.

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