« Ce n’est pas un plan de relance pour le logement social qu’il faut, mais un plan de relance par le logement social », lance Emmanuelle Cosse, en conférence de presse le 27 mars.
La présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH) suggère de « prendre des ZAC bloquées » pour y développer des logements sociaux, de réduire les délais de « cessions des Etablissements publics fonciers (EPF) et des Etablissements publics d’aménagement (EPA) » qui vendent aux organismes HLM, ou encore d’accélérer la construction de logements dans des « écoquartiers en cours de fabrication ».
L’idée consiste à s’appuyer sur le secteur public pour relancer la production à l’échelle nationale et in fine combattre la crise du logement, conventionné et libre. Ces mesures non chiffrées permettraient de lutter aussi contre la crise sociale qui touche le bâtiment. « Les défaillances d’entreprises aujourd’hui auront un impact sur les travaux que nous lancerons demain, que ce soit en réhabilitation ou en production », annonce Emmanuelle Cosse.
Des « moyens supplémentaires » pour les bailleurs sociaux
Pour inverser la tendance, il faut en premier lieu donner des « moyens supplémentaires » aux bailleurs sociaux en première ligne, insiste-t-elle. La suppression de la réduction du loyer de solidarité (RLS), qui grève leurs recettes annuelles de 1,3Md€ par an, soit la manne nécessaire pour construire les 198 000 HLM par an dont a besoin la France selon le député de la majorité Lionel Causse, demeure sa première revendication.
« Avant la mise en place de la RLS (en 2018, NDLR), nous oscillions entre 110 000 et 120 000 agréments par an. Sans les compensations qui ont existé jusque 2022, nous sommes aujourd’hui à moins de 100 000 », déplore Emmanuelle Cosse. En 2023, 82 000 agréments ont été obtenus.
« Changer les attributions, ça ne fait pas un logement en plus »
Cette conférence de presse, la première depuis la nomination début février d’un ministre délégué au Logement, s’inscrit dans une stratégie de défense de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), que le gouvernement voudrait « détricoter » pour « faire plaisir à une vingtaine de maires » de communes carencées en logements sociaux, selon Emmanuelle Cosse.
Rappel des faits : lors de son discours de politique générale fin janvier, le Premier ministre Gabriel Attal a affiché sa volonté d’intégrer le logement locatif intermédiaire (LLI) dans les objectifs de logements sociaux imposés par la loi SRU à plus de 1000 communes. Une bonne nouvelle pour les 80 maires de droite, essentiellement de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), signataires d’une tribune qui demande au gouvernement d’aller plus loin, en particulier dans les attributions de logements sociaux.
« Changer les attributions, ça ne fait pas un logement en plus », souligne Marianne Louis, directrice générale de l’USH. En 2014, il y avait trois demandeurs pour une attribution. Aujourd’hui : sept pour une. « En dix ans, les réformes des gouvernements successifs, instaurant par exemple la RLS mais n’encadrant pas les loyers des logements privés, n’ont pas permis de répondre à la demande », pointe Emmanuelle Cosse. La France compte 2,6 millions de demandeurs, soit 200 000 de plus par rapport à fin 2022.
« Des maires décideront de ne pas faire de HLM pour faire du LLI »
En référence aux « fantasmes » des élus de droite de la région Paca qui ont affiché leur soutien à la réforme de la loi SRU, Marianne Louis complète : « Ils font de 66 000 demandeurs Dalo le problème de la France, alors que des dizaines de jeunes font la queue pour visiter un studio qui va leur coûter la moitié de leur salaire, ça c’est un problème. » En Paca, les personnes mal-logées du dispositif Droit au logement opposable (Dalo) représente 3,9% des 223 000 demandeurs d’un logement social, selon l’USH.
Soutenu par 16 maires et présidents de gauche de grandes villes et de métropoles qui s’inquiètent pour la « mixité sociale », le monde HLM pointe surtout le risque d’une baisse de la production HLM, si le LLI allait être pris en compte dans le calcul du pourcentage de logements sociaux à atteindre par les communes concernées.
« Demain, des maires décideront de ne pas faire des logements sociaux pour faire du LLI qui s’adresse à des classes moyennes supérieures. C’est un choix politique de dire que la majorité des travailleurs, qui gagnent moins de 2000€ par mois, ce n’est pas la priorité du gouvernement », tacle Emmanuelle Cosse.
« Des annonces techniques, qui produiront peu d’effets »
Annoncée pour le printemps 2024 par l’ancien ministre du Logement Patrice Vergriete, la loi logement ne vise plus « la territorialisation de la politique du logement » mais doit « dissimuler, dans 250 articles, une attaque en règle contre la loi SRU, comme si le LLI était une solution pour toutes les classes moyennes », assure-t-elle.
Le nouveau ministre du Logement Guillaume Kasbarian souhaitant profiter de cette fenêtre législative pour « simplifier » la construction de logements, l’USH s’est contentée de lui soumettre des idées de mesurettes « extrêmement techniques », confie Emmanuelle Cosse. Et de rappeler que l’USH n’attend rien de ce texte puisque le pays n’en a « pas besoin ».
Elle n’est pas non plus convaincue par la promesse de « choc d’offre » de Gabriel Attal. Depuis la formation de son gouvernement entre janvier et février, il y a « soit des annonces techniques, qui produiront peu d’effets, soit des rumeurs, sur une nouvelle réduction des aides personnalisées au logement (APL) par exemple », relève Emmanuelle Cosse, qui se dit « très inquiète » sur le sujet car elle n’a « pas entendu le ministre de l’Economie démentir ».
La crise immobilière touche indirectement les bailleurs sociaux
En désaccord avec le gouvernement, l’USH a tout de même signé la semaine dernière le « pacte » qui vise à doubler la production nationale de logements intermédiaires d’ici 2026, parce que le LLI est présenté comme complémentaire au logement social.
Mais attention au retour de bâton, prévient Emmanuelle Cosse : « Quand il lance un programme HLM, un bailleur social -qui ne cherche pas la rentabilité- prévoit une modernisation dans les 10 ans, des réhabilitations dans 25 et 50 ans. Un investisseur institutionnel en quête de rentabilité, lui, ne prévoit pas de travaux jusqu’à la vente des LLI, 15 ou 20 ans après la livraison de l’immeuble. En bloc à des foncières ou à l’unité à des particuliers, qui n’auront pas forcément les moyens d’engager des chantiers de rénovation. Le gouvernement ne fait du LLI qu’un produit financier, sans regarder sa pérennité. »
Le contexte économique ne plaide pas en faveur du monde HLM qui manque de fonds propres pour produire des logements sociaux, rénover son patrimoine et en même temps se diversifier dans le LLI. Le déficit de la France s’est finalement établi à 5,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2023. Le gouvernement tablait encore sur -4,9 % il y a quelques semaines. La dette publique est aussi supérieure aux attentes, à 111% du PIB.
En cause, notamment : « le repli des droits de mutations à titre onéreux (-4,8Mds€ soit -22,2%) qui accompagne le recul des transactions immobilières », selon l’Insee. Autant de recettes en moins pour l’Etat, qui doit trouver au moins 20Mds€ d’économies pour 2025.