En quoi consiste votre proposition d'habitat ouvert et sur mesure, baptisée Home ?
Il s'agit d'un modèle d'habitat collectif alternatif qui répond à l'aspiration des habitants à participer davantage à l'élaboration de leur logement. Dans ce modèle, la personnalisation concerne aussi bien la taille que le volume, l'organisation intérieure, et même les façades avec des balcons, des vérandas ou des oriels. Ce n'est pas nécessairement une démarche participative avec un groupe d'habitants préalablement constitué, comme dans le cas de l'habitat coopératif par exemple. Il s'agit d'une démarche de coconception individuelle avec chacun des futurs habitants, qui peut être mise en œuvre dans le cas d'une opération de promotion immobilière.
Ce modèle permet à chacun de jouir d'un maximum de liberté pour créer son cadre de vie, sans avoir à se concerter avec ses voisins. Pour cela, nous avons mis au point une méthode appelée BOB (Bespoke Open Building) qui permet à chacun de bénéficier de cette liberté tout en garantissant les droits des voisins ainsi que la cohérence et l'harmonie globale du bâtiment.
Justement, comment garantir tous ces éléments en assurant une grande liberté aux acheteurs ?
Avec cette méthode, l'immeuble est imaginé comme un quartier vertical, dans lequel les futurs habitants achètent des lots, qu'ils peuvent additionner et aménager en respectant un certain nombre de règles. Notre rôle consiste dans un premier temps à concevoir l'architecture primaire du bâtiment et le dispositif de régulation des façades, puis de coconcevoir les logements sur mesure avec leurs acquéreurs. Ceux-ci peuvent ainsi bénéficier d'un degré de personnalisation qui n'existe aujourd'hui quasiment que dans l'habitat individuel ou, de façon marginale, dans l'habitat coopératif. Ce modèle propose ainsi une alternative en ville à l'habitat individuel diffus, et peut ainsi contribuer à la maîtrise de l'étalement urbain.
Cette démarche, organisée autour de la demande, doit en effet permettre de faire des économies significatives sur les frais de commercialisation, même si l'immeuble reste aujourd'hui un peu plus cher à construire qu'un bâtiment « classique ».
"Les acquéreurs peuvent configurer l'intérieur de leur logement et leur façade, mais également leurs balcons"
Ce concept voit-il aujourd'hui un début de concrétisation ?
Oui, nous avons plusieurs projets en cours. Nous réalisons, en association avec l'agence Sathy, un ensemble R + 9 en structure bois à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) pour le promoteur Galéo, dont les espaces intérieurs, les façades et les balcons sont paramétrables par les acquéreurs.
Et avec le promoteur Quartus, nous développons à Floirac (Gironde) un ensemble de bâtiments, dont un en R + 3, tout en bois, sans noyau béton, entièrement conçu selon cette méthode.
Comment s'organise cette dernière opération ?
A Floirac, il s'agit d'une véritable coconception, avec une architecture primaire totalement ouverte, deux cages d'escalier, des gaines, des locaux communs, etc. C'est hyper-rationnel. Vient ensuite la division en lots. Ceux-ci peuvent alors être assemblés pour créer des simplex, des duplex, des triplex, avec un nombre de combinaisons possibles très élevé. A ce stade, les règles de coconception -qui ressemblent à des règles de PLU, mais à l'échelle du bâtiment - sont fixées : pas de lots inaccessibles, qui en bloqueraient d'autre, mono-orientés nord, etc.
Même le dernier acquéreur arrivé doit pouvoir disposer a minima d'un appartement « classique ». Au final, nous pensons avoir entre 20 et 26 logements, mais ce sera fonction de la demande. Les acquéreurs peuvent configurer l'intérieur de leur logement et leur façade, mais également leurs balcons : taille, forme, type de garde-corps, ajout de véranda. Le bâtiment doit pouvoir se transformer avec le temps.
"Ce modèle interroge les modalités de dépôt et d'instruction du permis de construire"
Cela suppose, après le dépôt du permis de construire (PC) initial, un PC modificatif, une fois les façades déterminées par les résidents ?
C'est l'idée, sauf si tous les acquéreurs ont été identifiés avant le dépôt de PC. En façade, c'est en effet l'architecture secondaire, celle des entités domestiques, avec sa part d'imprévisible, qui prend le pas sur l'architecture primaire : balcons transparents, opaques, semi-opaques, oriels, vérandas, etc. Malgré cela, on peut avoir, au moment du dépôt de PC, une façade qui possède la même identité que celle qui sera réalisée in fine. Un peu comme deux arbres de la même espèce, similaires mais dissemblables… Un simple PC modificatif devrait alors suffire pour régulariser la situation.
De ce point de vue, ce modèle interroge les modalités de dépôt et d'instruction du permis de construire.
Avec cette méthode, souhaitez-vous réinventer le rôle de l'architecte ?
Dans le logement collectif, sa place est un peu particulière. Sa relation avec l'habitant, qui est le véritable client final, n'existe habituellement pas. Il n'a face à lui qu'un programme abstrait, sur lequel il n'a aucune prise, avec des T2, T3, T4 dont les surfaces ne sont souvent pas très généreuses. Avec le modèle Home, cette relation avec le futur habitant est renouée.
Le travail de l'architecte est plus important que sur un programme classique, car l'architecture primaire et le dispositif de régulation sont spécifiques à chaque projet et doivent être testés sur différents types de configurations.
Il est ensuite amené à concevoir chaque logement sur mesure avec ses acquéreurs. On peut d'ailleurs imaginer qu'il y ait plusieurs architectes : le « principal » qui définit l'architecture primaire et le dispositif de régulation du bâtiment, et le ou les architectes chargés de la réalisation des logements sur mesure.
"Notre proposition peut s'inscrire dans la dynamique de digitalisation de l'immobilier"
Il faut également que des élus soient ouverts à cette nouvelle approche…
Naturellement ! Il faut les convaincre que le projet définitif sera de même nature que celui qui a été préalablement conçu, même si celui-ci intègre une part d'indéterminée !
Comment se positionnent les industriels du bâtiment par rapport à votre démarche ?
Ceux que j'ai rencontrés se sont montrés intéressés, mais il est encore un peu tôt pour tirer un bilan. Notre proposition peut s'inscrire dans la dynamique de digitalisation de l'immobilier. Aujourd'hui, certains acteurs se positionnent sur le monde du bâtiment via des modèles totalement intégrés et digitalisés, de la production des matériaux à la construction, en passant par l'architecture et l'ingénierie. La fabrication hors site permet d'augmenter la qualité et de réduire la sinistralité. Le revers de la médaille, c'est le risque d'uniformité et la standardisation.
C'est pourquoi il faut mettre l'industrie de la préfabrication au défi de la personnalisation.
Au plan formel, le résultat apparaît très compact. Est-il possible d'imaginer d'autres volumétries pour ces bâtiments ?
La compacité répond à une recherche de fluidité d'espaces, de performance énergétique, d'évolutivité et d'économie, et elle est compensée par une grande générosité au niveau des façades et des prolongements extérieurs. Mais on peut tout imaginer ! Pour l'instant, on expérimente, y compris sur les projets plus découpés. Il s'agit d'un modèle alternatif ouvert ; pas d'une recette qui marcherait à tous les coups. La grande liberté en façade que permet le concept n'est pas possible, ni souhaitable partout. Tout dépend du contexte urbain et réglementaire, de la forme du projet, du type de commande…
L'idée reste quand même d'associer, dans un immeuble, un certain nombre des qualités de la maison individuelle, avec les avantages que seul un ensemble collectif peut offrir : locaux mutualisés, services, échanges…