Il est de jurisprudence constante que « la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ». Un principe de responsabilité bien établi que le Conseil d’Etat est venu étendre par une décision rendue fin 2023 (CE, 22 décembre 2023, n°472699, mentionnée au recueil Lebon), signalée par la Direction des affaires juridiques de Bercy dans sa « Lettre » du 9 janvier dernier.
Un office public de l’habitat (OPH) a conclu un marché de maîtrise d’œuvre avec un groupement de sociétés comprenant une agence d'architecture. Par deux décisions prises fin 2015, la réception de l’ouvrage a été prononcée avec réserves, avant que celles-ci ne soient finalement levées le 2 novembre 2016. Or, dans l’intervalle, le 16 juin 2016, à la suite d’un contrôle, la direction départementale des territoires de la collectivité a adressé une mise en demeure à l’OPH. Elle lui intimait de mettre ses logements en conformité aux normes relatives à l’aération et à l’accessibilité aux personnes en situation de handicap. L’OPH va alors engager la responsabilité de la maîtrise d’œuvre, estimant que cette dernière a manqué à son devoir de conseil en ne lui signalant pas ces non-conformités. La cour administrative d’appel va toutefois juger qu’un tel signalement ne relève pas de la mission d’assistance aux opérations de réception incombant au maître d’œuvre.
Appréciation large du devoir de conseil
Un raisonnement non suivi par le Conseil d’Etat qui va considérer que « le devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables ». Il ajoute que l’alerte quant aux normes applicables à l’ouvrage concerne notamment « les prescriptions techniques en matière de construction », telles que celles relatives à l’aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées.
Cette décision s’inscrit dans la lignée de celle rendue le 10 décembre 2020 (CE, 10 décembre 2020, n°432783, mentionnée au recueil Lebon), par laquelle la Haute juridiction avait déjà étendu le devoir d'alerte du maître d’œuvre à « l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage ». Le Conseil d’État opte donc pour une appréciation large du devoir de conseil, notamment s’agissant de toutes les normes et réglementations qui concernent l’ouvrage.