Une salle polyvalente à vocation festive et une plainte pour bruit des voisins, les faits de cette affaire tranchée par le Conseil d’Etat ne sont certainement pas récents. L’histoire débute en 1999 quand une commune réceptionne sans réserves les travaux de sa salle des fêtes. Quelques années plus tard et après la plainte des riverains, le maître d’ouvrage cherche à engager la responsabilité de l’architecte. En 2017, le tribunal administratif (TA) de Lille condamne ce dernier à verser à la commune une somme d’argent en réparation du préjudice résultant de la non-conformité de la salle aux normes d'isolation acoustique en vigueur. La CAA de Douai augmente le montant de cette somme, et l’affaire arrive in fine devant le Conseil d’Etat.
Pas de prescription de l’action en justice
Premier point à régler par les juges, s’assurer que l’action en justice n’est pas prescrite. Au moment des faits, l’article 2262 du Code civil indiquait que l'action du maître d'ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des constructeurs se prescrivait par trente ans. Par ailleurs, « la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ayant réduit la durée de la prescription applicable à l'espèce, le délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-3 du Code civil doit courir à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de cette loi ».
En conséquence, l’architecte n’est pas fondé à soutenir que la créance de la commune à son égard, au titre de sa responsabilité contractuelle pour défaut de conseil lors des opérations de réception de l'ouvrage, était prescrite le 28 mai 2014, date de l'enregistrement de la demande de la commune au greffe du TA de Lille.
Devoir de conseil du maître d’œuvre
Le Conseil d’Etat s’intéresse ensuite à l’objet principal du litige, à savoir l’obligation de conseil du maître d’œuvre. Il rappelle que la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à cette obligation peut être engagée, « dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves ».
En l’espèce, il est intéressant de noter qu’il ne s’agit pas de désordres physiques, mais de la méconnaissance des nouvelles normes acoustiques applicables à l’ouvrage et intervenues au cours de sa réalisation. Pour autant, la Haute juridiction explique que « le devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage. »
La responsabilité de l’architecte peut donc bien être engagée puisqu’il s’est abstenu de signaler au maître de l'ouvrage le contenu des nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet, et de l'alerter de la non-conformité de la salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu'il en avait eu connaissance en cours de chantier.
CE, 10 décembre 2020, n° 432783, mentionné dans les tables du Recueil