Le prochain congrès de l’Untec se déroulera, au parc des expositions de Poitiers, du 17 au 19 avril. Pourquoi avoir choisi « Maîtrise d’ouvrage : l’apport de l’économie de la construction » comme thème des débats ?
C’est pour nous l’occasion de mesurer le positionnement de l’économiste dans les opérations de construction. Cela touche la maîtrise d’ouvrage publique comme la maîtrise d’ouvrage privée. Or, près de 70 % des missions assurées par nos adhérents le sont en maîtrise d’ouvrage publique. Il s’agit des missions d’estimation, de métré et de description des ouvrages. Posons-nous à nouveau la question de notre faible présence en maîtrise d’ouvrage privée.
Pourquoi les économistes sont-ils moins présents en marchés privés selon vous ?
Les promoteurs privés réalisent généralement eux-mêmes les missions qui sont les nôtres. Soit parce qu’ils ont acquis les compétences en interne, soit parce qu’ils travaillent avec des architectes qui ont ce savoir-faire. Certains promoteurs travaillent avec des descriptifs-types et font chiffrer directement les travaux par les entreprises. Ceux-là se privent de notre expertise et de notre force de propositions. C’est le cas en matière de développement durable, discipline dans laquelle nos adhérents sont à jour des connaissances réglementaires et normatives. En effet, leur qualification OPQTECC (1) leur impose de suivre une formation continue. Par ailleurs, l’Untec dispose de groupe de travail et d’outils élaborés en son sein, tels que la « méthode d’estimation du contrôle permanent des coûts », la méthode de calcul en coût global « CG Calc », notre indicateur de consommation énergétique ICE, ou encore la méthode de diagnostic des bâtiments existants « Eco Diag ». Ces outils sont perfectionnés et mis à jour régulièrement. Néanmoins, nous devons rapidement remédier au fait que seulement 10 % des économistes sont formés à la pratique du droit à titre accessoire.
Quels sont les freins au développement de l’activité des économistes en marchés privés ?
Le frein principal est conjoncturel. Les économistes ont actuellement des carnets de commandes tellement riches qu’ils ont peu de temps pour penser à un avenir qui sera peut-être moins brillant. C’est à l’Untec de les aider à anticiper les évolutions futures…
Y a-t-il des signes particuliers d’évolutions concernant les marchés privés ?
Les maîtres d’ouvrage privés s’interrogent actuellement sur notre rôle. J’en veux pour preuve la présence, à notre prochain congrès, de Jean-François Gabilla, président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs (FPC). Cela signifie qu’il a des choses à nous dire… Nous attendons également Michel Roulleau, président de l’Unsfa ; François Amblard, président de la CICF (2) ; Alain Maugard, président du CSTB… Je crois qu’à l’avenir nous interviendrons de plus en plus en amont des dossiers, en conseil du maître d’ouvrage. Nous devons renforcer notre présence sur ces missions d’assistance financière des maîtres d’ouvrage, qui ne représentent que 8 % environ de notre activité actuellement. Cela devrait atteindre 30 %, d’ici à cinq ans, en marchés privés comme publics.
Où en est la pratique des missions de coût global ?
En matière de développement durable, les acteurs de la construction sont en train de dépasser le stade de la simple prise de conscience. Tous les jours, les médias abordent ces questions. Le coût global (ndlr : qui inclut à la fois le coût d’investissement et le coût de fonctionnement de l’ouvrage) est trop peu pratiqué. Le prix d’une construction représente tout au plus 20 % du coût global. Les 80 % restant concernent l’entretien et la maintenance. Le vrai sujet est là : l’effort économique doit être porté sur les études initiales qui génèrent des économies substantielles de fonctionnement. Pour le promoteur, qui n’exploite pas l’ouvrage qu’il commercialise, cela doit devenir un argument commercial. Les économistes ont un devoir d’information et de pédagogie à l’égard des maîtres d’ouvrage pour faire passer le coût global dans la réalité.
Les carnets de commandes sont pleins et cependant la profession peine à recruter… Combien de collaborateurs la profession recherche t-elle ?
La capacité d’embauche de la profession n’est pas satisfaite aujourd’hui. Les adhérents recherchent actuellement 500 collaborateurs (10 % de confirmés, 90 % de débutants niveau BTS, licence et master). Nous sommes sollicités tous les jours par nos adhérents pour les aider à trouver de jeunes collaborateurs. L’un de nos problèmes est que les jeunes professionnels – qui sont formés dans le cadre des bacs pro, BTS, licences, masters (et bientôt doctorat) mis en place par la profession d’économistes indépendants – sont embauchés à plus de 80 % par des maîtres d’ouvrage institutionnels ou des majors du BTP. Nous sommes pourtant très investis dans ces formations. Mais, j’ai la conviction que nous les retrouverons chez nous dans quelques années…
Comment pouvez-vous remédier à cette situation ?
Nous allons, dès l’année prochaine, participer en accord avec les universités à des licences d’économie de la construction en alternance. Ceci, pour favoriser le parcours d’apprentissage des jeunes au sein des cabinets d’économistes indépendants. L’accueil des jeunes et leur accompagnement en seront facilités. Mais la vraie question est l’attractivité de nos entreprises…
Comment s’explique le peu d’attractivité de la profession ?
Il y a deux problèmes : d’une part, le niveau de salaire est moins élevé et les avantages moins nombreux chez nous que chez les majors du BTP. D’autre part, les « 35 heures », qui sont très attractives, sont peu pratiquées dans les petits cabinets d’économistes constamment « charrette » (ndlr : qui ont une grosse charge de travail). Connaissez-vous des jeunes qui feraient 70 heures de travail par semaine aujourd’hui ? Nous devons parler de ce problème de société à notre congrès. Et pourtant, au sein de nos cabinets, il y a un formidable potentiel de progression et de promotion, d’ascension sociale. En 5 à 10 ans de pratique, un jeune avec BTS mène ses dossiers tout seul et peut se mettre à son compte.
Comment concilier la très petite entreprise (ce que sont les cabinets d’économistes) et la mondialisation de l’économie ?
L’économiste de proximité aura toujours du travail, parce qu’il est proche de ses clients et connaît les contraintes locales. Le vrai sujet, c’est qu’il nous faut absolument réussir à travailler en réseau, de complémentarité ou d’affinité. Les technologies de l’information le permettent facilement. La complexité du monde du bâtiment nous incite à créer ces réseaux, cette intelligence collective. Bien sûr, cela impose qu’il y ait un leader pour chaque opération. Le problème est le même chez les architectes et les bureaux d’études.




