Quelles ambitions portez-vous à la présidence de Fibois France ?
Contribuer à l’unité de la filière autour de son « plan ambition bois construction 2030 ». Fibois France émane de 12 associations interprofessionnelles régionales calées sur les régions administratives - y compris Atlanbois très récemment rebaptisée Fibois Pays-de-Loire - soit 2400 adhérents.
L’amont forestier, la transformation et l’aval se rejoignent dans ce réseau. Ses 130 salariés travaillent à l’attractivité des métiers, à la formation, à l’innovation et à la sensibilisation du public. Ils assument une part de responsabilité dans des enjeux majeurs : l’adaptation de la forêt aux évolutions climatiques, la préservation de sa fonction de puits de carbone pour les générations à venir.
Cheville ouvrière, Fibois France ne porte pas ces thèmes à elle seule. De l’extérieur, la filière donne encore l’impression d’une dispersion de ses forces…
A l’amont, France Bois Forêt représente la collecte auprès des propriétaires publics et privés. A l’aval, France Bois Industries Entreprises fédère les transformateurs, le tout sous l’égide du comité stratégique de filière qui trace la feuille de route et porte les messages d’un secteur dont le poids économique mérite une meilleure reconnaissance.
60 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 400 000 emplois et un potentiel de 60 000 embauches, c’est plus que l’aéronautique et l’automobile. La coordination de ses structures a permis au bois de trouver sa place dans la réglementation environnementale 2020 et dans les installations des jeux olympiques, grâce à l’association France Bois 2024.
Dans cette organisation, qui porte les messages de la construction ?
Dans la maîtrise d’ouvrage, j’observe une mobilisation croissante pour stimuler les compétences internes de directeurs de projets comme celles de conducteurs de travaux dans les entreprises du bâtiment. La fédération des promoteurs immobiliers engage des études dans ce but. Fibois France accompagne ce mouvement à travers le développement d’une offre de formation, l’élaboration de cahiers des charges et l’assistance au sourcing, en lien avec les grands scieurs regroupés par la Fédération nationale du bois.
Un promoteur à la présidence de Fibois : s’agit-il d’une première ?
Je ne crois pas qu’il y ait de précédent, en effet. Je suppose que la vision sur l’amont apportée par un acteur de l’aval apporte de la fraîcheur, d’autant que mon engagement dans la filière remonte à seulement 10 ans. Très vite, je me suis posé la question de l’origine géographique de la ressource, puis de plus en plus celle de la durabilité de l’exploitation forestière.
Je n’ai pas observé de réticence, et je crois que personne ne doute de ma volonté de servir l’intérêt général, à un moment où les étoiles s’alignent pour tirer la croissance du bois. J’arrive plein de confiance dans une filière vertueuse. Dites à vos jeunes lecteurs à quel point le bois peut donner du sens à leur carrière !
Ne manquez-vous pas notamment de jeunes bûcheronnes ?
Vous avez raison, il y a un vrai enjeu de mixité sur lequel nous devons travailler, je m’en rends compte dans les réunions entre présidents d’organisations représentatives de la forêt et du bois, où nous nous retrouvons le plus souvent entre hommes ! Mais les femmes arrivent parmi les délégués généraux des associations régionales.
Le forum national bois construction vous donnera-t-il l’occasion d’amplifier vos messages, du 15 au 17 juillet à Paris ?
Avec Nicole Walkiser, organisatrice de cet événement, nous avons voulu marquer son 10ème anniversaire à Paris, en profitant de l’effet conjugué de deux chantiers emblématiques : la restauration de Notre-Dame et le Grand palais provisoire, dans lequel se tiendront les trois jours du forum. Oui, nous en profiterons pour montrer nos savoir-faire.
Comment justifiez-vous votre optimisme ?
Les Français se disent prêts à accompagner le développement du bois, comme le révèle un récent sondage CSA. La sensibilité aux enjeux climatiques les conduit à identifier le bâtiment comme un pollueur historique, et à trouver des réponses dans la forêt française, ce qui ouvre la perspective d’un redressement du déficit commercial annuel de 7 milliards d’euros accusé par la filière. Aller de la forêt à la ville, sans perte de valeur ajouté : un nombre croissant de gens comprennent le sens et l’importance de cette trajectoire.
Face à la Chine ou aux traders américains qui font monter les cours soit par stratégie nationale, soit par spéculation, une fibre patriotique s’aiguise : l’exportation de grumes et l’importation de produits à valeur ajoutée renvoient aux français l’image d’un pays du tiers monde.
Les filières minérales ont-elles de bonnes raisons de s’inquiéter des parts de marchés que convoite le bois dans la construction ?
Comme président de Fibois France, je dois vous répondre qu’il faut toujours chercher à placer le bon matériau au bon endroit, ce qui justifie une place plus grande du bois, qui représente 4 % du marché de la construction en Ile-de-France, et moins de 10 % à l’échelle nationale.
Comme citoyen, je mesure le besoin de décarbonatation massive de notre économie. La filière bois a le grand mérite de s’interroger sur la gestion durable de ses approvisionnements en matière première. Ses concurrents doivent se poser les mêmes questions notamment à propos du sable et de l’impact carbone extrêmement significatif de leur activité. L’engagement dans le bois des grands groupes de BTP historiquement liés au béton montre l’ampleur de la mutation en cours.
Comment intensifier l’exploitation de la ressource tout en préservant sa durabilité ?
Il n’y a pas de voie unique. Stocker du carbone, c’est simple, mais discutez avec des spécialistes de la gestion forestière, et au bout de 10 h, vous aurez tout juste entrevu la complexité du sujet. Longtemps, j’ai pensé que la durabilité passait par la diversité des espèces.
Parmi les grands scientifiques qui y ont réfléchi, Mériem Fournier, professeure à AgroParisTech, rappelle l’absence de preuve scientifique de l’utilité écologique de mettre fin aux monocultures.
A cela s’ajoutent les dimensions émotive, irrationnelle et le poids de l’imaginaire sur les sensibilités locales, portées par des générations. J’ai pu m’en rendre compte récemment lors de ma visite chez Manubois, en Seine-Maritime, exploitant de hêtraies qui achemine ses produits sur les chantiers de la région parisienne par voie fluviale. Dans ce territoire, l’attachement aux hêtres est tellement fort que les gens ne veulent pas d’autres essences.
Les labels régionaux portés par vos associations régionales ne risquent-ils pas d’entrer en conflit avec Bois de France, défendu par la fédération nationale du bois (FNB, NDLR) ?
Les grands industriels comme Piveteau ont raison de pousser ce dernier label qui ouvre une voie de traçabilité à court terme au bois made in France. Pour autant, j’espère bien faire partie des premiers constructeurs d’immeubles en bois du Massif Central ou en bois des Vosges.
Mais les marques territoriales ne peuvent pas répondre rapidement à des demandes de très gros volumes. Elles se placent plutôt dans une perspective de moyen terme, sous peine de s’exposer à des déceptions liées à des ruptures d’approvisionnement. Il faut l’expliquer aux maîtres d’ouvrage et structurer la complémentarité entre les deux démarches.
Ce sujet justifie une réunion programmée en juillet par Fibois, avec la FNB et la fédération nationale des communes forestières.
Face aux cours élevés, comment inciter les scieurs à résister à la tentation du plus offrant ?
La Chine se place visiblement dans une stratégie à long terme de contrôle des matières premières. A nous d’y répondre aussi sur le long terme, à travers la contractualisation. Le Pacte francilien a ouvert cette voie en y associant 40 maîtres d’ouvrage engagés sur 1,2 million de m2 d’ici à 2024, soit 100 000 m3/an. Cette démarche se trouve en bonne voie d’essaimer dans le grand Est, en Hauts-de-France, en Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes.
Quand nos amis de l’industrie voient l’engagement des 10 plus grandes métropoles de France et de leurs régions, ça leur parle. Il reste ensuite à accompagner les scieurs dans l’amortissement de leurs investissements, face aux aléas de la conjoncture : leurs trésoreries peuvent souffrir quand une pandémie éclate au moment où ils espéraient recueillir le fruit de leurs efforts. Il faut les rassurer, les aider à identifier les produits que demande le marché.
Le contrat récemment signé entre Piveteau Bois et Bouygues Construction contribue à répondre à cet enjeu. Partout, les réunions s’intensifient aujourd’hui autour de ce thème, et je me réjouis de voir progresser la notion de bien commun à défendre par chacun des acteurs de la filière : tout le monde se sent concerné.
Le plan de relance répond-il à ces enjeux ?
200 millions d’euros en faveur des plantations, c’est bien, mais la filière évalue les besoins de modernisation de son outil industriel à 1 milliard d’euros. Sans cet effort, on passerait à côté de l’opportunité du marché et de la demande de la société civile. Même si cela exige du temps et un lobbying à grande échelle, je crois que la mise en place des marchés de compensation carbone aidera la filière à trouver les ressources dont elle a besoin.
La consolidation nationale reposerait enfin, à mon avis, sur la création d’un ministère de la forêt, comme le propose la députée Anne-Laure Cattelot. Compte tenu des enjeux majeurs auxquels le ministère de l’agriculture doit faire face, la forêt passe trop souvent au second plan de ses préoccupations.