Jurisprudence

Marchés publics : un candidat ne peut en cacher un autre !

Un opérateur économique, qui reprend les actifs d’un candidat défaillant, ne peut valablement, alors qu’il n’a pas présenté sa propre candidature, reprendre des éléments de la candidature et de l'offre de celui-ci pour ensuite se voir attribuer un marché public.

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Un candidat ne peut en cacher un autre
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2019/10/21N°416616

Le repreneur d'une société placée en liquidation judiciaire ne peut simplement se glisser dans les souliers de celle-ci et décrocher le marché pour lequel la candidature de la défaillante avait été jugée insuffisante. C'est ce qu' énonce le Conseil d'Etat dans une décision rendue le 21 octobre dernier.

Une commune lance une procédure d’appel d’offres ouvert en juin 2013 en vue d’attribuer un marché public pour la construction d’un centre international de graphisme. A la suite d’un référé précontractuel, le juge annule, le 19 décembre 2013, la phase d’analyse des offres, au motif que l’attributaire désigné ne disposait pas des capacités financières requises pour exécuter le marché, compte tenu de son placement en redressement judiciaire après la date limite de dépôt des offres. Le pourvoi formé contre l’ordonnance rendue en référé est rejeté par le Conseil d’Etat en 2014.

Entre temps, le 31 décembre 2013, le tribunal de commerce de Paris arrête un plan de cession de l’entreprise défaillante et autorise une autre société à en reprendre la succession. La commune tient compte du fait que cette société déclare reprendre pour son compte la candidature et l’offre présentées par l’entreprise liquidée, et laisse aux candidats un délai pour produire toute pièce complémentaire relative à leur candidature. Elle attribue in fine le marché litigieux au repreneur.

Un candidat évincé forme un recours dit « Tarn et Garonne », c’est-à-dire en contestation de la validité du contrat. Sa demande, rejetée en première instance, est accueillie en appel. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 21 octobre 2019, confirme le raisonnement retenu en appel – mais diverge sur les conséquences de l’irrégularité commise.

L’appréciation de la recevabilité d’une candidature en cas de redressement judiciaire

La Haute juridiction administrative rappelle que « les entreprises placées en redressement judiciaire sont tenues de justifier, lors du dépôt de leur offre, qu'elles sont habilitées, par le jugement prononçant leur placement dans cette situation, à poursuivre leurs activités pendant la durée d'exécution du marché ». Et que lorsqu’un candidat « a été placé en redressement judiciaire après la date limite fixée pour le dépôt des offres, [il] doit en informer sans délai le pouvoir adjudicateur, lequel doit alors vérifier si l'entreprise est autorisée à poursuivre son activité au-delà de la durée d'exécution du marché et apprécier si sa candidature reste recevable. Dans la négative, [celui-ci] ne peut poursuivre la procédure avec cette société. »

Il est de l’office du juge du contrat de vérifier la recevabilité d’une candidature dans une telle hypothèse et d’« annuler, le cas échéant, la procédure au terme de laquelle l'offre de l'entreprise aurait été retenue par le pouvoir adjudicateur ».

Non-assimilation systématique des candidatures

Puis, par un considérant de principe, le Conseil d'Etat énonce que "la faculté offerte par le pouvoir adjudicateur aux candidats de compléter leur candidature [...] a pour seul objet de [leur] permettre de compléter leur dossier [...] dans le cas où des pièces seraient absentes ou incomplètes. En revanche, elle n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à un opérateur économique qui reprend une partie des actifs d'un candidat dont la candidature avait été regardée comme ne présentant pas les capacités suffisantes pour exécuter le marché et qui a été placé en liquidation judiciaire à la suite d'un plan de cession, de participer à la procédure de passation d'un marché public alors qu'il n'avait pas lui-même présenté sa candidature".

Le Conseil d’Etat relève que la société qui a repris les actifs de l'entreprise liquidée a « une personnalité juridique distincte de cette dernière ». De fait, « sa candidature présentée le 23 janvier 2014, dans le cadre d'une simple prorogation du délai de remise de pièces complémentaires [...], ne pouvait être assimilée à celle qu'avait présentée la société [liquidée] avant la date limite de dépôt fixée au 18 septembre 2013 par le règlement de la consultation, et qui avait été regardée comme ne présentant pas les capacités suffisantes pour exécuter le marché ».

En l’espèce, la commune, en n’écartant pas ce qui devait être considéré comme une candidature nouvelle et donc remise hors délai, a méconnu les dispositions du Code des marchés publics dont les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.  

En revanche, estime le Conseil d’Etat, cette circonstance n’est pas suffisamment grave pour justifier l’annulation du contrat litigieux (contrairement ce qu’avait décidé la cour administrative d’appel), « en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la commune de favoriser » la société attributaire. Et sa résiliation n’avait plus d’objet, puisque le contrat a déjà été entièrement exécuté. Mais la Haute juridiction confirme la condamnation de la commune à indemniser le candidat injustement évincé de son manque à gagner. Soit près de 268 000 euros…

CE, 21 octobre 2019, n° 416616

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