France Expérimentation a-t-elle lancé des appels à projets en 2021 ?
Sébastien Malangeau : Nous avons lancé un appel à projets qui a permis de recueillir et traiter des demandes de dérogations législatives dans le cadre de l’examen du projet de loi "3DS" (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) par le Sénat et l’Assemblée nationale. Mais rappelons que l’appel à projets n’est pas le seul moyen de recourir à France Expérimentation : lorsque les entreprises sont confrontées à des blocages de nature réglementaire (décret, arrêté, etc.), elles peuvent nous saisir toute l’année. Outre les expérimentations, France Expérimentation peut apporter d’autres solutions aux porteurs de projets pour permettre le développement de leurs innovations avec un accompagnement du projet à droit constant, c’est-à-dire sans avoir besoin de modifier les normes juridiques ; ou une modification générale et définitive du cadre juridique (sans passer par l’étape d’une mise en expérimentation).
En quelques mots
Qu’est-ce que France expérimentation ? C’est un dispositif qui a pour objet de lever les blocages administratifs et juridiques non résolus au niveau local, en permettant de solliciter des dérogations réglementaires et législatives à titre temporaire qui pourront ensuite, si le bilan est positif, donner lieu à un changement définitif des règles.
Qui peut faire appel à France expérimentation et pourquoi ? Toute personne physique ou morale ayant un projet économique innovant confronté à un véritable blocage juridique. Le caractère innovant s’entend au sens large.
Comment procéder ? Pour obtenir une dérogation réglementaire, il suffit de remplir à tout moment un formulaire en ligne pour indiquer en quoi consiste le projet, à quelles normes l’on souhaite déroger et sur quel territoire, quelles modalités de reporting l’on propose, etc. Pour les dérogations législatives, il faut un véhicule législatif approprié ; les demandes se font donc à l’occasion d’appels à projets thématiques.
Quels sont les bénéfices ? « Lorsqu’une demande d’expérimentation présentée par un acteur économique est acceptée, cette demande n’est pas accordée exclusivement à cet acteur mais à tous les autres acteurs qui entrent dans le champ de l’expérimentation (territorial ou catégoriel notamment) et qui en font la demande », est-il précisé sur le site de la DITP qui pilote le dispositif avec la DGE. Par ailleurs, « les dispositions expérimentales font l’objet d’une évaluation a posteriori. En cas de succès, elles ont vocation à être pérennisées ou généralisées. L’évaluation de chaque expérimentation est donc d’autant plus solide que le nombre d’acteurs qui y participent est important. »
Combien de demandes a reçu France expérimentation l'an dernier ?
Olivier Hebrard : Nous avons réceptionné 80 demandes, dont 60 % portent sur des dérogations réglementaires et 40 % sur des dérogations législatives. Il n’est pas rare que ces dernières fassent l’objet, après analyse juridique, d’un reclassement dans le réglementaire. En termes de résultats, la moitié des demandes obtiennent une issue favorable, que ce soit via une décision d’expérimentation, une modification générale du cadre réglementaire ou un accompagnement à droit constant de type sécurisation juridique.
Parmi les demandes de dérogation déposées, quels sont les projets susceptibles d’intéresser le secteur du BTP ?
S.M. : Nous avons par exemple eu une demande relative à un panneau de chantier numérique. Il s’agit pour l’instant d’un QR code qui fait l’interface entre le panneau numérique et l’affichage traditionnel, permettant la mise à jour en temps réel des informations telles que la liste des intervenants présents. Cette nouvelle solution est conforme aux dispositions du Code du travail et, comme elle ne se substitue pas pour l’heure au panneau traditionnel, le cadre juridique n’a pas eu besoin d’être modifié. La solution retenue a été une expérimentation d’usage. Si ce panneau devait un jour être autorisé alternativement au dispositif physique, la réglementation serait modifiée directement.
Récemment, nous avons reçu d’autres demandes relatives à l’auto-consommation collective, aux solutions non chlorées bio-minérales pour les baignades publiques, aux process de désamiantage ou de retraitement des déchets amiantés, etc. La dérogation concernant l’auto-consommation collective a même été pérennisée [arrêté (NOR : TRER2027839A) du 14 octobre 2020 NDLR], permettant aux zones rurales de bénéficier de cette possibilité alors que la demande initiale concernait exclusivement les éco-quartiers.
Quelles sont les demandes de dérogations récurrentes ?
S.M. : Les thématiques récurrentes depuis un an sont notamment la réutilisation des eaux usées, les transports, les modes d’habitats alternatifs tels que les tiny houses, le recyclage de médicaments ou de dispositifs médicaux, la robotique agricole etc. En somme, ce sont des secteurs où l’innovation est actuellement très présente et où la réglementation initiale était très rigide et ne prévoyait pas, par exemple, certains types de recyclage ou de retraitement. Ce qu’on constate aujourd’hui c’est que le terme « économie circulaire » est un mot clé, au cœur d’un nombre croissant de projets.
Comment se déroulent les réunions d’arbitrage avec le cabinet du Premier ministre sur les demandes de dérogations ?
O.H. : Le fonctionnement et l’efficacité de France Expérimentation reposent sur ces réunions d’arbitrage. En amont, le rôle du secrétariat de France Expérimentation est d’aider les porteurs de projets dans l’énoncé de leurs demandes, d’identifier les blocages juridiques puis de saisir les ministères concernés afin qu’ils émettent des analyses et recommandations qui serviront de base aux discussions. Si la crise sanitaire a eu pour effet de ralentir le rythme de ces réunions interministérielles, le retour désormais à une fréquence trimestrielle a permis d’instruire complètement la plupart des dossiers en stock.
En séance, France expérimentation résume les analyses et avis sur chacun des dossiers et formule une proposition, laquelle peut le cas échéant s’écarter de celle des ministères. Mais à la fin, seul le Premier ministre peut décider de modifier la réglementation et en déterminer les modalités. Toutefois, l’on observe que lors de ces réunions, 80 % des dossiers sont peu discutés du fait de positions consensuelles, les débats se focalisent sur les 20 % les plus innovants, prometteurs et structurants ou complexes.