Faut-il (à nouveau) légiférer sur le régime de la responsabilité des constructeurs ?

Lors des 12es Rencontres de l’assurance construction, le professeur Hugues Périnet-Marquet a pointé les incertitudes découlant du champ d’application et du fonctionnement de la responsabilité des constructeurs. Pour pallier ces lacunes, faut-il modifier les textes à ce sujet ? Rien n’est moins sûr.

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Garantie décénnale du bâtiment et de la construction.
Plus on légifère, plus on est confronté à une absence d’aléa.

« On veut tous plus de simplification, mais on veut tous plus de droit ! ». Pour Hugues Périnet-Marquet, professeur à l’université Panthéon-Assas, le rapport des professionnels à la loi est schizophrénique. Elle est vue actuellement comme un facteur de complexité et d’augmentation des coûts. « Les lois doivent être moins contraignantes, moins prescriptives, et c’est dans cette logique que s’inscrivent le permis d’expérimenter et la réécriture, en cours, du Code de la construction et de l’habitation », relaie le professeur, intervenant lors des 12es Rencontres de l’assurance construction organisées par Ponts formations conseil le 28 novembre à Paris.

Mais dans le même temps, les constructeurs méconnaissent les limites de leurs garanties légales et certains réclament une réforme du régime de responsabilité et d’assurance construction. Mais, en réalité, cela est-il pertinent ? Pas forcément, démontre Hugues Périnet-Marquet…

Le terme « ouvrage », une notion floue

Le professeur s’attaque tout d’abord à la notion d’ouvrage. L’article 1792 du Code civil mentionne le mot « ouvrage » mais sans le définir. Si on le replace dans le contexte de 1804, date de promulgation du code, son acception est très large, et recouvre toute utilisation d’une technique de construction. La jurisprudence a apporté des éléments de réponse au fil du temps. « C’est assez peu satisfaisant, mais peut-on faire mieux ? questionne Hugues Périnet-Marquet. Peut-on par exemple raisonner en termes de volume de travaux ? Lequel serait défini en coût d’opération, ou en pourcentage ? Chaque solution aurait ses inconvénients. »

Ouvrages exclus de l’assurance obligatoire

Pour l’instant, il faut simplement retenir que cette notion se dessine en creux, par l’exclusion expresse de certains ouvrages du champ de l’assurance obligatoire. L’article L. 243-1-1 du Code des assurances liste ainsi « les ouvrages maritimes, lacustres, fluviaux, les ouvrages d'infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires, les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d'effluents, ainsi que les éléments d'équipement de l'un ou l'autre de ces ouvrages ». Mais aussi « les voiries, les ouvrages piétonniers, les parcs de stationnement, les réseaux divers, les canalisations, les lignes ou câbles et leurs supports, les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d'énergie, les ouvrages de télécommunications, les ouvrages sportifs non couverts, ainsi que leurs éléments d'équipement », sauf s’ils sont accessoires à un ouvrage soumis à obligation d’assurance.

Mais tout cela fait l’objet d’une appréciation au cas par cas par le juge… Une terrasse en bois peut-elle constituer un ouvrage maritime ? Une cuve est-elle un « accessoire » à un ouvrage relevant de l’assurance obligatoire ? Par exemple, dans un arrêt du 30 janvier 2019, la Cour de cassation a considéré que la réalisation de travaux de fourniture, d’installation de panneaux photovoltaïques et d’un ballon de production d’eau chaude ne constituent pas forcément un ouvrage à moins de démontrer que ces prestations sont assimilables par leur importance à des travaux de construction constitutifs d’un ouvrage (Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-27494). Les exemples sont nombreux, « mais les décisions ne sont pas complètement imprévisibles, on ne peut pas dire qu’il y aurait une dérive ! souligne le professeur Périnet-Marquet. Si l’on voulait légiférer, il faudrait définir chaque ouvrage exclu, ce ne serait pas forcément plus simple ».

Le cas des éléments d’équipement

De plus, l’article 1792-7 du Code civil dispose que « Ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage [qui relèvent, sous certaines conditions, de la garantie décennale] les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage. »

A titre d’exemple, le 4 avril dernier (Cass. 3e civ., 4 avril 2019, n° 18-11021, publié au Bulletin), la Cour de cassation a retenu qu’un ensemble de roulement installé dans une usine reposant sur des poteaux construits sur des fondations en béton n’était pas un équipement professionnel, mais un ouvrage soumis au régime de la responsabilité décennale. Idem s’agissant de revêtements de sol dans des locaux commerciaux (Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-16637). A contrario, ont pu être considérés comme des équipements professionnels des plateformes de traite, des enseignes de pharmacie… « Il existe parfois quelques divergences dans la jurisprudence, mais cela doit-il conduire à créer de nouvelles lois ? Je n’en suis pas convaincu », ponctue Hugues Périnet-Marquet.

L’épineuse question des éléments d’équipement sur existant

Question encore plus délicate, celle des éléments d’équipement sur existant, la jurisprudence de la Cour de cassation jugeant depuis 2017 qu’ils sont soumis à la garantie décennale dès lors qu'ils rendent l'ouvrage existant impropre à sa destination.

« Faudrait-il préciser dans la loi que ces éléments ne sont pas des ouvrages ? soulève le professeur. Si le législateur le souhaitait, cela ne semblerait pas très compliqué de trouver une formulation. Mais en réalité la difficulté est plus politique que juridique, car le Code civil dépend de la Chancellerie, qu’il faudrait donc convaincre… Et cela supposerait de revenir aux solutions jurisprudentielles antérieures, avec quelques inconvénients pour celui dont la maison brûlerait du fait d’un insert mal posé [et ne pourrait plus faire appel à la décennale, NDLR]. De plus, on peut se demander si les juges appliqueraient réellement une telle réforme… ».

La « destination » soumise à interprétation

La question de l’opportunité de légiférer sur la notion d’ouvrage étant quasiment évacuée, faut-il toucher à la notion d’ « impropriété à destination » ? C’est le pivot de l’article 1792 du Code civil qui énonce que « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. » Mais là aussi, aucune définition légale du concept. Les juges du fond doivent l’interpréter souverainement, avec quelques contradictions là encore.

Deux autres textes du Code de la construction et de l’habitation (CCH) font référence à cette notion sans la définir... L’article R. 261-1 du CCH dispose que « L'immeuble vendu à terme ou en l'état futur d'achèvement est réputé achevé […] lorsque sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d'équipement qui sont indispensables à l'utilisation, conformément à sa destination, de l'immeuble faisant l'objet du contrat, à l'exception des travaux dont l'acquéreur se réserve l'exécution ». Or cette disposition n’a suscité quasiment aucune jurisprudence sur la notion de destination. Pour Hugues Périnet-Marquet, « c’est donc parce qu’il y a de gros enjeux autour de la garantie décennale de l’article 1792 C. civ. que celui-ci génère beaucoup de jurisprudence sur la destination ».

Quant à l’article L. 111-13-1 du CCH, il précise l’impropriété à la destination dans le domaine de la performance énergétique. Mais, en réalité, les professionnels ont beaucoup de mal à se mettre d’accord sur son application. Récemment, les juges d’appel ont retenu que la pose d’une pompe à chaleur en remplacement d’un chauffage entraînant un surcoût de 1 500 euros caractérisait un coût exorbitant entraînant une impropriété à la destination. (CA Nîmes, 2ème chambre section a, 3 octobre 2019, n° 18/01555). L’appréciation se fait toujours au cas par cas. Selon le professeur, « cela montre que lorsqu’on ajoute des critères qualitatifs pour mieux définir une notion, cela pose de nouveaux problèmes d’interprétation, ce n’est pas forcément plus facile à appliquer ».

La notion de destination, chahutée par les ordonnances Essoc

Reste que la notion d’impropriété à destination risque de toute façon d’évoluer avec la réforme des règles de construction imaginée par la loi Essoc du 10 août 2018. Pour mémoire, cette transformation se fait en deux temps. Une ordonnance pour le permis d’expérimenter, déjà en place, qui permet de déroger à des normes listées expressément. Et une seconde, en cours de rédaction, afin de réécrire la partie législative du livre 1er du Code de la construction et de l’habitation pour passer d’une logique de moyens à une logique de résultats. Cette deuxième ordonnance devrait être publiée d’ici au 10 février 2020. 

« Aujourd’hui, souligne Hugues Périnet-Marquet, la Cour de cassation dit que le respect des normes ne suffit pas à écarter l’impropriété à destination ; et à l’inverse, que leur non-respect seul ne permet pas d’établir cette impropriété. Demain, il y aura sans doute un rapprochement beaucoup plus fort entre la destination et la norme, puisque celle-ci sera formulée en obligations de résultats ». Or les temps sont incertains : « On ne sait pas comment ni même si ces obligations de résultats seront appliquées. Lorsqu’on a légiféré sur la question de la destination en matière de performance énergétique, on a eu du mal à le faire, alors faut-il vraiment chercher à le faire plus largement ? ».

Plus on légifère, plus on est confronté à une absence d’aléa. Mais, conclut le professeur, « il vaut mieux une justice avec une âme, qu’une justice sans aléa ».

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