La Cour de cassation a rendu, le 15 juin dernier, un arrêt
concernant le régime juridique applicable aux travaux neufs réalisés sur un existant (, publié au Bulletin, confirmé par ). Soulevant une problématique de responsabilité des constructeurs, il ne sera pas sans conséquences également en matière d'assurance construction.
Travaux d'installation légers. De quoi s'agissait-il ? Le litige portait sur des travaux de rénovation énergétique, plus précisément sur l'installation d'une pompe à chaleur dans un ouvrage existant. Les termes de la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai résument parfaitement la situation.
Se fondant sur les conclusions de l'expert judiciaire, la cour de Douai avait estimé « que l'on ne saurait considérer que l'installation de cette machine a nécessité d'importants travaux d'adaptation à l'immeuble faisant appel à des techniques de construction, permettant de la considérer comme un ouvrage en soi ; que cette appréciation est d'ailleurs confirmée par le fait que [le requérant] lui-même ne demande que la somme, relativement modeste, de 693 euros “au titre du démontage de la chaudière et de la pompe à chaleur et de la remise en état des tuyauteries et des trous de passage” ».
En l'espèce, les travaux réalisés étaient donc assez proches de la simple adjonction d'un élément d'équipement dissociable, traditionnellement considérée jusqu'alors comme ne constituant pas la construction d'un ouvrage. C'est d'ailleurs ainsi que la cour d'appel l'avait entendu, même si cette partie de la motivation n'est pas reprise dans l'arrêt lui-même mais est reproduite dans les moyens des parties.
La décision rendue en appel est censurée par la Cour de cassation, au motif que « les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».
Eligibilité par principe au régime légal de responsabilité des constructeurs
Premier enseignement de cet arrêt, les travaux d'installation d'un élément d'équipement sur un existant sont éligibles par principe au régime des garanties légales de responsabilité des constructeurs et, en l'espèce, à la responsabilité civile (RC) décennale.
Dans la mesure où l' relatif à la RC décennale vise expressément les constructeurs d'un ouvrage, une telle motivation conduit à considérer que les débats byzantins sur la notion d'ouvrage à propos des travaux neufs réalisés sur existant n'ont plus lieu d'être. Désormais, sans qu'il ne soit plus fait référence à un quelconque critère discriminant, « les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale [...] ».
Assurance construction obligatoire. La cohérence juridique impose ainsi de considérer que l'ensemble des travaux réalisés sur un existant, y compris des travaux d'aménagement, même légers, constitue des travaux de construction d'un ouvrage et entre dans la sphère du régime de la RC décennale. Dès lors, s'agissant des constructeurs, cela conduit de facto à faire entrer le chiffre d'affaires afférent à ces travaux dans l'assiette des primes déclarées aux assureurs dans le cadre de la police d'abonnement couvrant leur RC décennale.
Quid des maîtres d'ouvrage ? Si l'on postule que la réalisation de ce type de travaux constitue la construction d'un ouvrage, la souscription d'une police dommages-ouvrage (DO) devient obligatoire et devra s'opérer - sous peine, pour l'assureur qui s'y refuserait, de se voir contraint de le faire si le Bureau central de tarification (BCT) était saisi.
Prise en compte de la destination de l'ouvrage existant
Seconde conclusion, qui semble découler de la décision de la Cour de cassation : la destination prise en compte au titre des éléments constitutifs pour établir la responsabilité décennale des constructeurs ne serait pas celle des travaux neufs réalisés sur existant, mais celle de l'existant sur lequel lesdits travaux sont réalisés.
Contradiction avec la loi. Cela pose un double problème de respect de la lettre des textes. En effet, d'une part, le texte de l' (1) postule que les éléments d'équipement dissociables ne sont pris en compte que pour autant qu'il s'agisse des éléments d'équipement de l'ouvrage construit. La loi parle de « ses » équipements… visant ainsi les éléments d'équipement de l'ouvrage neuf en cours de construction, et non ceux de l'existant.
D'autre part, l'atteinte à la destination normalement prise en compte pour engager la RC décennale d'un constructeur est celle de l'ouvrage construit et non de l'existant sur lequel il est réalisé : l'article 1792 parle des dommages affectant l'ouvrage et qui le rendent impropre à sa destination.
En somme, la destination des travaux d'installation d'un élément d'équipement serait donc désormais de satisfaire à la destination de l'ouvrage existant, alors même que ledit ouvrage, qui n'était pas équipé dudit équipement lors de sa construction, satisfaisait jusqu'alors à sa destination. Il peut même n'être plus lui-même soumis à la garantie décennale, s'il a été réceptionné depuis plus de dix ans.
Destination et performance énergétique. Cette solution énoncée par la Cour de cassation pose aussi des problèmes de cohérence générale. Restons sur l'exemple de la pompe à chaleur. Pour autant que l'on considère que son installation constitue la construction d'un ouvrage autonome, le respect de la lettre de l'article 1792 conduirait à considérer que son dysfonctionnement affecte sa destination et justifierait la mise en jeu de la RC décennale de ceux qui l'ont installée.
Mais si, en revanche, l'on prend en compte la destination de l'existant et non plus de l'équipement, le dysfonctionnement de la pompe sera regardé comme affectant les performances énergétiques du bâtiment ancien.
Or, nous le savons, l'appréciation du juge sur l'impropriété à destination en matière de performance énergétique est extrêmement contrainte par l' (CCH), issu de la loi pour la transition énergétique, tout au moins pour les ouvrages réalisés depuis moins de dix ans. Ce qui réduirait à néant le bénéfice supposé de cette jurisprudence pour le maître d'ouvrage.
Qu'en sera-t-il pour les immeubles anciens ? Manifestement, l' ne pourra s'appliquer, puisqu'il concerne l'interprétation de l'article 1792, et donc l'impropriété à la destination de l'ouvrage construit depuis moins de dix ans. En viendra-t-on alors à considérer que le juge retrouverait sa liberté d'appréciation de l'impropriété à la destination en matière de performance énergétique ?
