Extension, concentration : les besoins « exponentiels » des data centers

CBRE et JLL anticipent une forte concentration des centres de données en Ile-de-France, le quatrième marché européen.

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Le plus grand data center de France, porté par l'exploitant Interxion, est en train de sortir de terre sur une friche de 7 hectares à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).
Le plus grand data center de France, porté par l'exploitant Interxion, est en train de sortir de terre sur une friche de 7 hectares à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).

La croissance du e-commerce, des plates-formes de streaming, le développement de la 5G, de l’internet des objets avec les maisons connectées, les véhicules autonomes… rend inéluctable l’extension des surfaces des data centers en raison des besoins croissants des entreprises de plus en plus digitalisées, selon CBRE et JLL.

Toutefois, les deux sociétés de conseil en immobilier d’entreprise ne s’aventurent pas dans des prévisions en termes de surfaces à construire.

Puissance numérique 

« Le data center est le seul actif pour lequel on ne vend pas de la surface au m² mais de la puissance électrique en mégawatt », rappelle Séraphin Bravard, responsable du service data center chez CBRE. Son homologue de JLL, Simon Williams, confirme et ajoute : « Ce qu’on peut dire, c’est que la demande en stockage de données ne va pas cesser de croître. »

La puissance numérique de ce bien immobilier atypique est liée à la proximité des routes principales de fibre optique et aux services vendus par l’opérateur, telle qu’une connexion directe en circuit fermé entre plusieurs sites.

Entre 2020 et 2021, la puissance numérique livrée a doublé dans les régions de Londres (800 MWh), Francfort (550 MWh), Amsterdam (500 MWh) et Paris (300 MWh), les principaux marchés européens. « Il y aura la même tendance en 2022 et les années à venir », anticipe Séraphin Bravard, de CBRE.

Autre certitude des brokers : le marché francilien continuera sur sa lancée. « Les courbes sont exponentielles. Au troisième trimestre 2021, 73 MWh ont été livrés en région parisienne. Le record trimestriel de 26 MWh, établi en 2018, est battu », commente Séraphin Bravard. Logique, les data centers ont tendance à se développer là où se concentrent les opérateurs de réseaux, les entreprises utilisatrices et leurs sous-traitants, pour de la maintenance notamment.

En concurrence avec la logistique

Le data center n’est pas un actif industriel comme les autres. La nécessité de réduire les temps de latence, et indirectement les dépenses liées aux allées et venues de données informatiques, suppose une densification des centre de données dans des territoires urbains bien connectés. Dans les anciennes friches industrielles de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), ces bâtiments cohabitent donc avec des habitations et des bureaux.

En zone dense, la concurrence est rude avec la logistique, dont le taux de rendement de 3,5% se rapproche du niveau proposé par un data center neuf sur-mesure pour un locataire comme Amazon, estime Séraphin Bravard. Un centre de données de plus de dix ans peut afficher un taux de 6%. Le rendement prime des data centers franciliens se situe entre 4,5 et 5%.

Le data center ne manque pas d’atouts pour se faire une place sur le marché. « Il est isolé acoustiquement, donc il y a peu de nuisances sonores contrairement à un site logistique qui voit défiler les camions », observe-t-il. Outre l’utilisation de l’air extérieur pour ventiler les salles informatiques, il est doté de systèmes de récupération de chaleur pour alimenter le réseau urbain et les équipements publics du quartier.

Empreinte carbone

Un autre argument pour obtenir les autorisations : le data center à bâtir tournera uniquement aux énergies renouvelables. Suffisant pour compenser ses émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Les plus de 250 sites français représentent 14% de l’empreinte carbone du numérique (smartphones et autres terminaux inclus).

D’ici à 2040, le numérique pourrait peser 6,7% des GES nationales par an, contre 2,5% actuellement, selon une mission d’information du Sénat sur le sujet. En voilà une grosse tâche d’huile dans un pays qui vise la neutralité carbone en 2050...

Dans ce contexte, les collectivités sont difficiles à convaincre. « Les élus qui refusent les data centers n’ont pas envie de voir arriver de grosses sociétés américaines, grandes consommatrices d’eau pour refroidir les salles, sur un terrain qui pourrait être dédié à un entrepôt, créateur d’emplois », note Séraphin Bravard. Les porteurs des projets d’entrepôts XXL, de plus de 50 000m², en promettent des centaines. Un important data center peut en générer une cinquantaine, selon Simon Williams.

Les investisseurs au rendez-vous

Point fort du data center : le financement n’est pas un sujet. « Principalement américains, les opérateurs, qui construisent le bâtiment, puis l’équipent avant de le louer, sont adossés à des fonds très puissants comme KKR et Blackstone », assure Séraphin Bravard. Hors acquisitions d’actifs vides ou destinés à être reconvertis en data centers ni les opérations conclues dans le cadre de fusions-acquisitions, les transactions en Europe sont passées de 200M€ en moyenne entre 2015 et 2020 à plus de 1 Md€ l’an dernier.

En matière d’investissements dédiés à la montée en puissance - numérique - du parc existant, citons le constructeur-opérateur français DATA4 qui a levé 650 M€ en 2020, auprès d’un pool emmenée par Axa Investment Managers - Real Assets. L’un des objectifs : porter la capacité électrique de son « campus » à Marcoussis (Essonne) de 100 à 200 MW.

Verticalité et « design »

La croissance du secteur passe aussi par de la verticalité. A condition que le Plan local d’urbanisme le permette. D’où un changement de stratégie des concepteurs, en opération séduction auprès des élus. La « discrétion » des data centers à l’ancienne, pour raisons de sécurité, tranche aujourd’hui avec le « design » des bâtiments en développement pouvant monter jusqu’en R+4, note Séraphin Bravard.

Qu’ils appartiennent à une entreprise (Orange, par exemple) ou qu’ils soient neutres, c’est-à-dire multi-utilisateurs, la majorité des sites français vont continuer de se concentrer en Ile-de-France. Ce mouvement devrait surtout se manifester par « des extensions de bâtiments existants car il est difficile et coûteux de raccorder des nouveaux sites », relève Séraphin Bravard (lire encadré plus bas).

« Attirer un maximum d’entreprises »

L’américain Equinix devrait ainsi renforcer ses positions, de son « campus » d’Aubervilliers à celui de Pantin (Seine-Saint-Denis). Le numéro un mondial des centres de données neutres et les autres « colocation providers » visent deux profils. « D’un côté, les entreprises, qui ont besoin de louer une baie informatique, c’est-à-dire une armoire placée dans une salle à partager avec d’autres utilisateurs. De l’autre, Amazon, Microsoft et Google qui veulent des bâtiments entiers », explique Séraphin Bravard.

Ce dernier marché, dit de gros, stimule actuellement la demande sur fond de forte concurrence entre exploitants de data centers. « Les marges se réduisent car les prix sont tirés vers le bas. Donc le seul moyen d’être rentable, c’est de faire du volume. Et cela se traduit par des data centers plus gros pour attirer un maximum d’entreprises », observe-t-il.

Marseille séduit

Le site le plus important de France est en train de sortir de terre, par tranches, sur une friche de 7 hectares au bord de l’A86, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Piloté par le néerlandais Interxion du groupe coté américain Digital Reality, le projet prévoit jusqu’à 9 600 m² d’espaces équipés, en plus des 1 000m² de bureaux.

En régions, Marseille se démarque car située à un carrefour de câbles sous-marins allant vers l’Afrique et le Moyen-Orient. Le déploiement de Disney+ en est l’illustration. Depuis 2020, la plateforme diffuse ses vidéos en streaming d’un bunker en béton armé reconverti en data center, au sein de l’enceinte portuaire.

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