Par une décision rendue fin 2023 (CE, 28 novembre 2023, n°468867, mentionnée au recueil Lebon), signalée par la Direction des affaires juridiques de Bercy dans sa « Lettre » du 21 décembre 2023, le Conseil d’Etat précise les modalités d’appréciation de la chance sérieuse d’emporter le contrat par un candidat irrégulièrement évincé d'une procédure de passation d'un contrat de la commande publique.
Le niveau d'indemnisation dépend de la chance de remporter le contrat
A l'occasion de cette affaire, qui concernait l'attribution d'une délégation de service public, la Haute juridiction va d’abord rappeler la marche à suivre pour déterminer le niveau de réparation auquel a droit un candidat irrégulièrement évincé. Premièrement il incombe au juge « de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre ».
Puis « il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre ». Cette méthode en trois étapes n’est pas novatrice, elle s’inscrit dans la continuité d'une jurisprudence constante depuis 2003 (CE, 18 juin 2003, n°249630, mentionnée au recueil Lebon).
La chance sérieuse n'est admise que pour un seul candidat
L'intérêt de la décision rendue le 28 novembre dernier réside dans la précision apportée quant à l’appréciation de la chance sérieuse d’emporter le contrat. Celle-ci doit se faire par comparaison avec tous les autres candidats. Pour obtenir l’indemnisation de son manque à gagner, le candidat évincé doit avoir davantage de chance de remporter le contrat que les autres candidats. Pour le Conseil d’Etat, il ne suffit dès lors pas de constater que l’offre finale du candidat à l’origine du recours n’avait pas « une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier ». Il faut plutôt rechercher si ce candidat « aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats ».
Comme le note le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, « pour établir qu’un candidat avait une chance sérieuse d’obtenir le contrat, on ne peut se contenter d’établir que son offre aurait eu autant de chance que les autres de l’emporter en l’absence de faute ». Une appréciation stricte qui s’explique par l’impact de la reconnaissance d’une telle chance, qui ouvre droit à l’indemnisation du manque à gagner du candidat irrégulièrement évincé « comme s’il avait eu 100% de chance d’obtenir le contrat en l’absence de faute [du pouvoir adjudicateur] ». Ainsi, pour le rapporteur, comme pour le Conseil d’Etat, « il ne peut y avoir qu’un seul candidat évincé privé d’une chance sérieuse de remporter le contrat ».