Jurisprudence

Espèces protégées : le Conseil d’Etat précise les règles du jeu

L’avis du Conseil d’Etat relatif aux critères d’analyse et à la méthode permettant de déterminer si une dérogation « espèces protégées » doit être demandée est paru le 9 décembre 2022. Très attendu par l’ensemble des acteurs, il apporte d’utiles clarifications mais laisse planer quelques incertitudes qui pourraient nourrir de nouveaux débats contentieux.

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Espèce protégée - Bruant proyer
Le Conseil d'Etat a précisé les conditions d'application de la dérogation espèces protégées.
Environnement
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2022/12/09N°453463

Pour mémoire, le 27 avril 2022, la cour administrative d’appel de Douai, dans le cadre d’un contentieux concernant l’autorisation de construire et d’exploiter un parc éolien terrestre, avait soumis à l’examen du Conseil d’État deux questions relatives aux dérogations aux interdictions de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats, prévues à l’article L.  411-2 du Code de l’environnement.

La première question portait sur le seuil à partir duquel est requis le dépôt d’une demande de dérogation avec l’alternative suivante : faut-il solliciter une telle dérogation dès qu’un projet est susceptible de porter atteinte à « un seul spécimen » d’une espèce protégée ou seulement si le projet est susceptible de porter atteinte à « une part significative de ces spécimens » ?

La seconde question, quant à elle, portait sur la prise en compte par l’administration dans le cadre de l’évaluation du risque d’atteinte aux espèces et habitats protégés, des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet.

Méthode à suivre

Dans un avis contentieux rendu le 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat apporte une réponse très attendue par tous les acteurs, porteurs de projet et associations de défense de l’environnement.

Sur la première question, le Conseil d’Etat répond en deux temps et délivre ainsi une nouvelle méthode d’analyse qu’il conviendra de suivre.

Il indique en préambule qu’il est nécessaire « d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes. » Autrement dit, la présence d’espèces protégées dans l’emprise d’un projet, même en nombre limité, doit donc déclencher automatiquement une analyse des atteintes potentielles.

Risque caractérisé

Le Conseil d’Etat indique ensuite que « le pétitionnaire doit obtenir une dérogation "espèces protégées" si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ».

En retenant que la nécessité de déposer une demande de dérogation ne découle pas de la seule présence des espèces mais bien d’un risque caractérisé pour ces espèces du fait du projet, le Conseil d'Etat apporte une clarification très utile. Il écarte la position selon laquelle une dérogation devrait être demandée dès que des espèces protégées sont présentes dans l’emprise d’un projet.

On peut toutefois regretter que la Haute juridiction n’ait pas apporté une réponse plus claire et concrète permettant de réduire plus significativement le risque contentieux sur la seconde étape de l’analyse. En particulier, il utilise la nouvelle notion de risque « caractérisé » d’atteinte aux espèces protégées, ouvrant ainsi la porte à de nouveaux débats devant les juridictions

Mesures ERC

Le Conseil d’Etat répond ensuite à la seconde question en indiquant que pour déterminer si un risque d’atteinte aux espèces protégées est caractérisé, « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. » Il confirme que les mesures de compensation n’ont pas pour effet de diminuer le risque d’atteinte alors que les mesures d’évitement et de réduction, si leur effectivité est démontrée, contribuent bien à faire en sorte que le projet ne présente plus de risque pour les espèces protégées. Cette précision est importante car les pratiques des juridictions n’étaient pas harmonisées sur cette appréciation.

Enfin, le Conseil d’Etat s’est prononcé, sans que la CAA de Douai ne l’ait saisi sur cette question, sur les conditions de délivrance de la dérogation espèces protégées. Il rappelle que l’appréciation d’une demande de dérogation doit tenir compte des mesures ERC proposées par le pétitionnaire, « et de l’état de conservation des espèces concernées ».

Cet avis contentieux très attendu apporte des clarifications utiles pour les porteurs de projet mais ne lève pas toutes les incertitudes pesant sur l’interprétation de ce dispositif complexe. Il laisse en particulier une part d’appréciation subjective importante en utilisant une notion nouvelle d’atteinte suffisamment caractérisée qui ne manquera pas d’alimenter le contentieux.

CE, avis, 9 décembre 2022, n° 453463

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