Interview

« Environ 20 % des dossiers sont à retravailler », Anne Blanc, présidente de la CNAC

La Commission nationale d’aménagement commercial examine quelque 200 recours formés chaque année contre les décisions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) sur des projets soumis à autorisation d'exploitation commerciale. Anne Blanc, sa présidente, par ailleurs députée LREM de l’Aveyron, s’inquiète de la prolifération des friches.

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Anne Blanc, présidente de la CNAC, députée LREM de l'Aveyron
Anne Blanc, présidente de la CNAC et députée LREM de l'Aveyron s'inquiète de la prolifération des friches commerciales.

Plus de la moitié de vos décisions rendues en 2019 et 2020 ont donné lieu à des autorisations. Qu’en est-il en 2021 ?

Nous n’avons pas encore les chiffres de 2021 mais nous constatons une stabilité des surfaces commerciales implantées. En parallèle, nous observons un développement important des friches, avec un niveau historique de 14 millions de m². Ceci est le résultat de l’explosion, ces vingt dernières années, des projets en périphérie. Il va y avoir une césure dans les années à venir, qui sera d’autant plus marquée avec la loi Climat et résilience.

Quels arguments avancez-vous le plus souvent pour refuser un projet ?

Nous nous appuyons uniquement sur les critères posés à l’article L. 752-6 du Code de commerce : urbanisme, équilibre des centralités, développement durable… Outre l’absence d’étude de friches, que les porteurs de projet ne réalisent jamais de manière exhaustive, le plus gros facteur de refus concerne la consommation de l’espace. Cela va de pair avec des équipements surdimensionnés qui renforcent les déséquilibres. Nous refusons aussi les cellules de 80 m² au sein des galeries marchandes, adossées à une grande surface alimentaire de 3 000 m². Ces petits commerces ont leur place en centre-ville.

Comment réagissent les porteurs de projet face à ces enjeux ?

Les porteurs de projet et les foncières immobilières ont compris les enjeux de développement durable, d’économie d’espace, d’équilibre territorial entre périphéries et centralités, grâce à la loi Elan avec les programmes Action cœur de ville (ACV), Petites villes de demain (PVD) et les Opérations de revitalisation de territoire (ORT). Par ailleurs, la pandémie et la guerre en Ukraine entraînent des bouleversements sociétaux, de consommation. Nous sommes dans une période de transition que les politiques publiques doivent accompagner. Nous réfléchissons aussi à l’autosuffisance, à consommer local. Les grandes surfaces sont encouragées à être plus vertueuses.

Et les élus ?

Il y a deux ans, certains élus nous proposaient un développement de 6 000 m² ou 10 000 m² de surface commerciale en périphérie alors qu’ils avaient un projet ACV. Aujourd’hui, nous n’en voyons quasiment plus. Il y a désormais une prise de conscience : le consommateur veut des offres mixtes avec des petits commerces en centre-ville, d’autres en périphérie et de la vente en ligne. Il faut que ces trois schémas trouvent leur équilibre.

Quel est l’effet de l’essor du commerce en ligne sur le commerce physique ?

Les petits commerces de centre-ville se convertissent aux achats en ligne et les drives en périphérie se développent. En outre, et c’est le rôle de la CNAC, nous poussons les porteurs de projets à l’excellence dans l’aménagement, en matière environnementale, mais aussi dans leurs pratiques en les incitant à travailler en circuits courts. Par ailleurs, des partenariats innovants se créent entre commerçants : par exemple, des enseignes alimentaires mutualisent leurs drives avec des commerces de centre-ville.

Pinel, Elan, Climat et résilience, 3DS : quel regard portez-vous sur les grandes lois adoptées ces dernières années ?

Ces boîtes à outils permettent aux territoires de se revitaliser. L’idée est à la fois de favoriser le commerce indépendant qui est indispensable et de lutter contre l’uniformisation des centres commerciaux. De Paris à Strasbourg, Rome, Milan ou Saint-Pétersbourg, en passant par l’Asie, nous retrouvons à peu près les mêmes schémas commerciaux et donc une perte d’identité.

Ces lois ont-elles changé la manière dont les CDAC examinent les dossiers ?

Pendant très longtemps, jusqu’à ces cinq dernières années, les avis des CDAC ont été quasi systématiquement positifs, car elles étaient majoritairement composées d’élus. Parfois, il y a eu des collusions du type « je ne touche pas à ton projet, tu ne touches pas au mien », pour aboutir à des avis favorables. C’était la course à la taxe foncière, à la taxe professionnelle. Tout le monde voulait son Decathlon, son Maisons du monde… Mais depuis l’adoption de la loi Elan en 2018 et les dispositions de revitalisation des centres-villes, les élus ont pris conscience qu’il fallait revoir leur stratégie de développement commercial.

Quelle loi se démarque plus particulièrement par son efficacité ?

La loi Elan, incontestablement. Elle a introduit un critère de revoyure. Avant, l’avis était favorable ou défavorable. Aujourd’hui, nous pouvons demander que le projet soit amélioré d’un point de vue environnemental : insertion paysagère, énergies renouvelables, renforcement de l’isolation, désimperméabilisation et végétalisation des parkings… Certes, les porteurs de projet perdent un peu de temps – en moyenne quatre à six mois – et un peu d’argent, mais à la sortie, ils sont satisfaits. Les élus aussi.

Environ 20 % des dossiers que la CNAC examine sont à retravailler. Mais attention, la revoyure doit rester à la marge. Si le projet n’est pas bon, l’avis est défavorable et on s’arrête là.

Auriez-vous un exemple d’un projet qui aurait été autorisé à la suite d’une revoyure ?

Prenons Lidl, qui représente actuellement près de la moitié des dossiers instruits par la CNAC. L’enseigne est en train de doubler ses surfaces dans le cadre du développement de son nouveau concept avec des grandes baies vitrées. Nous incitons les porteurs de projets à s’insérer dans les paysages dans lesquels ils s’implantent. Nous leur demandons d’utiliser davantage de matériaux locaux comme le bois, d’installer des panneaux photovoltaïques sur les toits… Et Lidl l’a bien compris : l’isolation du bâtiment est maximisée, le paquet est mis sur les murs végétalisés, le solaire…

La sobriété foncière prévue par la loi Climat et résilience promulguée en août 2021 est-elle déjà appliquée ?

Oui. Même si les décrets d’application ne sont pas encore tous sortis – d’autres paraîtront dans le courant de l’été –, nous notons déjà une rationalisation de l’espace, avec la création de parkings souterrains par exemple. Les bâtiments à étages émergent également afin de regrouper surface de vente, bureaux et stockage. L’étalement et l’imperméabilisation sont ainsi évités.

Les politiques et mesures de lutte contre l’artificialisation des sols et de revitalisation des centres-villes sonnent-elles le glas des surfaces commerciales en périphérie des villes ?

Non, il s’agit d’un rééquilibrage. La clientèle a besoin d’une offre plurielle. Il n’y aura plus de possibilités de créer de nouvelles surfaces mais nous pourrons réutiliser les 14 millions de m² de friches commerciales, ce qui laisse des possibilités. Des supérettes, des drives piétons ou encore des magasins Fnac et Boulanger réintègrent le centre des villes moyennes. Cette revitalisation est possible aujourd’hui grâce à ACV, la Banque des territoires et les établissements publics fonciers, avec lesquels les maires de centres-bourgs ont pris l’habitude de travailler.

La loi 3DS transfère à titre expérimental l’instruction des autorisations d’exploitation commerciale au président de l’intercommunalité. Ne craignez-vous pas l’adoption d’avis favorables de complaisance ?

C’est une bonne chose de redonner du pouvoir aux élus locaux dès l’instant qu’ils respectent les critères législatifs. Nous avons eu un grand débat avec Intercommunalités de France à ce sujet pour éviter de retomber dans le travers des CDAC qui étaient systématiquement favorables aux projets. Dans le cadre de cette expérimentation, une dizaine d’intercommunalités, dotées d’un document d’aménagement commercial très solide, seront retenues. La CNAC sera associée à ces choix. En outre, le dispositif de vigilance et de contrôle reste le même : la CNAC continuera sa mission, les préfets et concurrents des porteurs de projet pourront toujours exercer des recours. Il s’agit d’un pacte de confiance avec les élus. Le niveau de maturité est suffisant pour que le dispositif fonctionne.

Quelle est votre nouvelle doctrine à l’heure du non étalement urbain ?

Pour les périphéries, c’est zéro artificialisation nette en surface commerciale. Ensuite, nous restons extrêmement vigilants sur les critères qui existaient déjà : intégration des énergies renouvelables, bâtiments avec matériaux locaux, insertion paysagère, moins de stationnement, plus de proximité avec les populations.Nous ferons aussi appliquer la règle de compensation. Dès lors qu’une opération imperméabilisera les sols, il faudra à côté désimperméabiliser, revégétaliser. Enfin, nous avons à cœur de nouer des partenariats avec les collectivités qui doivent se saisir pleinement de leur stratégie de développement commercial.

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