Entreprises Préparer la transmission familiale

La transmission familiale se trouve à la croisée de problématiques fiscales, patrimoniales et juridiques. Pour autant, l'aspect psychologique ne saurait être négligé : l'enfant qui succède à son père doit savoir, le moment venu, prendre le pouvoir.

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Un homme à trois têtes... C'est ainsi qu'Alain Bloch, professeur au Cnam et fondateur du HEC Family Business Center, décrit le chef d'une entreprise familiale : «Un homo economicus, guidé par une logique économique, un homo politicus, homme de pouvoir et un pater familias, un père de famille caressant un rêve dynastique.»

Trois dimensions bien difficiles à concilier au moment de transmettre, comme le souligne Daniel Pelé, directeur général de BTP Capital conseil : «Certains dirigeants oublient que le but premier de la transmission d'une entreprise, c'est d'en assurer la pérennité. Elle ne vise pas à satisfaire un rêve qui consisterait à voir son fils prendre la succession.» Claude Maire, directeur de l'ingénierie financière chez Meeschaert, entreprise de gestion de portefeuilles et de patrimoines, le confirme : il faut d'abord «s'assurer qu'il existe des compétences familiales, un héritier capable de diriger, même s'il est parfois difficile de se prononcer sur les compétences de ses enfants sans les surévaluer.»

Une fois le repreneur familial identifié (souvent le fils ou la fille), c'est la question financière qui se pose. Car selon le patrimoine personnel dont dispose le dirigeant, les solutions qui s'offrent à lui divergent : si son patrimoine est suffisamment important, il peut donner l'entreprise à l'un de ses enfants, et répartir le reste de ses biens entre les autres (voir encadré ci-contre). Toutefois, dans la plupart des cas, l'entreprise représente une large part du patrimoine du dirigeant. «Nous voyons de plus en plus de dirigeants vendre et non donner l'entreprise à leur enfant, explique Daniel Pelé. Car une fois à la retraite, ils ont encore 20 ans à vivre.» La vente permet de garantir un capital au cédant, tout en aidant le repreneur à s'affirmer en qualité de dirigeant de l'entreprise.

Pour pallier la perte brutale de revenus, il n'est pas rare également de voir le fils créer une Sarl, laquelle loue le fonds de commerce au père afin de lui assurer sa retraite. «C'est une très mauvaise solution, tranche Daniel Pelé. Car au décès du père, le fonds de commerce tombe dans l'héritage. Le fils doit alors le racheter à ses frères et soeurs, mais à la valeur du fonds au moment du décès, soit 20 ou 30 ans après!»

Quelle que soit l'option fiscale et patrimoniale choisie - le plus souvent avec l'aide de conseillers extérieurs -, se pose au dirigeant un problème d'ordre psychologique : parviendra-t-il à laisser son entreprise à son successeur? «Une entreprise s'accommode très mal de deux patrons, souligne le directeur de BTP Capital conseil. Il faut que le père vienne le moins souvent possible au bureau, sinon, c'est vers lui que les salariés iront.» L'expert recommande même une cohabitation de seulement quelques mois. Mais dans les faits, il est difficile pour l'enfant de mettre son père à la porte de sa propre entreprise... «Il faut tuer le père!» tranche Robert Fongaro, président de la commission «transmission» au sein de la FFB, qui reçut en son temps l'entreprise familiale des mains de son père, avant de la donner à son fils il y a 4 ans. «A un moment donné, il faut faire mal au père, explique-t-il, et ne pas hésiter à le pousser vers la sortie. L'idéal serait que, dès lors qu'il juge de bonne foi que son fils vole de ses propres ailes, le père décroche et se retire... tel le sage sous le tipi! Et même si c'est une épreuve, il ne doit plus intervenir dans l'entreprise qu'à la demande de son fils.»

Ghislaine Hugon l'a bien compris. Après le décès brutal de son mari en 2000, elle prend, avec son fils, la tête de l'entreprise familiale, qu'elle avait intégrée en 1975. «Nous avons pris une cogérance, alors que mon fils était entré dans l'entreprise 6 mois auparavant comme manoeuvre, explique-t- elle. Moi, je m'occupais de la gestion de la trésorerie, tandis que lui se formait auprès d'un conducteur de travaux présent dans l'entreprise depuis 40 ans.» Dès le départ, Ghislaine Hugon avait un objectif : laisser son fils seul à la tête de l'entreprise en 2006. Pour ce faire, il lui fallait rendre la société «complètement indépendante» d'elle. Elle a donc entrepris une démarche compétence, afin de déterminer les potentiels de chaque salarié, de mettre en lumière d'éventuels manques - que la formation viendra combler. Elle a également embauché un BTS comptabilité en contrat de qualification, qui la remplacera. «Je ne voyais pas la nécessité de m'imposer comme dirigeante, explique-t-elle. Toutes les décisions importantes, c'est mon fils qui les a faites passer au personnel. Je suis toujours restée en arrière.» Elle se définit aujourd'hui comme «l'âme invisible de l'entreprise».

Une fois que «l'ancien» a intégré la nécessité de partir, reste au repreneur à asseoir sa légitimité, à s'imposer en qualité de dirigeant, et se démarquer de l'image de «fils à papa». «Ce sera plus facile s'il a acquis au préalable un peu d'expérience, dans cette entreprise ou à l'extérieur, et s'il n'arrive pas tout juste auréolé d'un diplôme», relève Daniel Pelé. Beaucoup suivent également des formations, notamment au sein de l'Ecole supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment. Un moyen de se rassurer, de se spécialiser après des études jugées parfois trop généralistes, et surtout de rencontrer d'autres jeunes aux expériences à la fois similaires et enrichissantes. Pour aborder le plus sereinement possible ce qu'ils désignent unanimement comme un «challenge».

Les transmissions familiales ont un taux de réussite supérieur de 40% aux transmissions classiques. Source : Sofaris.

«Le père doit savoir se retirer, tel le sage sous le tipi!» -

Robert Fongaro, président de la commission «transmission» de la Fédération française du bâtiment (FFB).

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