C'est au Parlement que les négociants gestionnaires de flotte propre devront tenter d'amender le projet de loi sur l'écotaxe. La démarche est légitime. En l'état, le texte est cousu main pour le transport pour compte d'autrui, soit les transporteurs dont c'est le métier principal. Sauf à préciser qu'elles sont assujetties, il n'évoque pas les activités qui intègrent le transport dans une prestation plus large de mise à disposition de produits. Voulu plus simple par rapport à une première mouture (décret du 4 mai 2012), le nouveau projet de loi a été adopté par le Conseil des ministres du 3 janvier 2013.
Le nouveau dispositif introduit un principe de majoration forfaitaire à partir de taux régionaux et d'un taux interrégional fixés par arrêté ministériel (voir tableau ci-dessous). L'écotaxe s'appliquera aux véhicules de plus de 3,5 tonnes circulant sur un réseau taxable non concédé de 15 500 km (10 500 km de nationales, 5 000 km de départementales, voir le détail sur la carte mise en ligne par le gouvernement). Le dispositif étant d''ordre public, il sera impossible d'y renoncer ou d'y déroger pour les entreprises et activités assujetties (sanctions pénales jusqu'à 15 K€). Dans le cas d'un transporteur pour compte public, il acquittera la taxe "au réel" mais la répercutera au forfait. La majoration devra alors apparaître au bas de la facture. Son assiette sera le prix du transport réalisé sur le réseau taxable, hors prestations annexes et autres majorations, telle l'indexation gazole. Pour les transports internationaux, la majoration forfaitaire ne s'appliquera qu'au trajet effectué sur le réseau taxable français. Le projet de loi est muet sur les modalités de calcul du prorata.

Priorité de la Fédération du négoce de bois et de matériaux de construction (FNBM), le mode de répercussion pour les flottes en compte propre n'est pas précisé. Le projet de loi évoque cependant que le dispositif de majoration ne s'appliquera pas et laissera place à la négociation commerciale si le prix du transport n'est pas isolé mais inclus dans le prix d'une prestation plus globale. Pour les négociants, le risque est donc réel d'être redevable auprès des pouvoirs publics sans pouvoir répercuter la taxe à leurs clients. Son coût devrait osciller entre 0,025 € et 0,2 € par kilomètre avec une moyenne de 0,12 €/km, à intégrer des flux amont jusqu'aux livraisons finales. Pour chaque transport taxable, l'augmentation sera de l'ordre de 6 %. "Elle aura donc un effet inflationniste sur le prix des produits", pointe la Confédération française du commerce interentreprises (CGI). La CGI évalue à 15 % du résultat net l'impact pour les négociants "diminuant d'autant leurs capacités d'autofinancement, dans des flottes 'vertes' notamment, et d'embauches".
S'agissant des taux, ils s'appliqueront uniformément quel que soit le type de transport (lot complet, lot partiel, messagerie etc.), la nature et la valeur des marchandises. L'impact sera donc proportionnellement plus élevé pour les marchandises de faible valeur. Dans le compte propre, le système de tournée ou de distribution de proximité est généralement de mise. Sans parler des calculs associés, il sera du coup complexe pour un négociant d'expliquer à son client que sa taxe s'élève à "tant" car son point de déchargement se trouve à tel ou tel endroit dans la tournée... Les taux régionaux risquent en outre de créer des distorsions de concurrence et de modifier leur zone de chalandise. Pour les transports internationaux, ils s'appliqueront aux régions frontalières, tandis que le taux interrégional s'appliquera (sur le prix correspondant au prorata de la partie du transport réalisée en France) si le trajet effectué en France traverse plusieurs régions.
Ces taux sont censés couvrir les frais de gestion des "collecteurs". Aucun détail n'est apporté sur l'éventuelle prise en compte (pour les transporteurs publics en particulier, avec répercussion sur leurs clients) des kilomètres d'approche avant chargement. Modulés en fonction de la norme Euro du véhicule, son PTAC et son nombre d'essieux (voir nos repères en fin d'article), un bonus à préciser est envisagé dès 2014 pour les moteurs Euro 6. Perdant sa vocation écologique, l'efficience environnementale d'un système comme la tournée de proximité, massifiée par définition comparée à un flux en trace directe, n'est pas prise en compte. Du locataire ou du loueur, le projet de loi ne précise pas non plus comment le dispositif s'appliquera, et qui sera redevable dans le cadre de contrats de location avec conducteur (sans conducteur, le redevable est le locataire).
A l'échelle nationale, l'écotaxe concerne 800 000 véhicules dont 600 000 français et 200 000 étrangers. Elle devrait rapporter 1,2 Md€ par année pleine, reversés à l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF, à hauteur de 60 %), aux collectivités locales (15 %), à l'Etat (5 % au titre de la TVA collectée) et à Ecomouv* (moins de 20 %) chargé de sa mise en œuvre, de son exploitation et de sa collecte. A ce titre, Ecomouv est responsable de la distribution des boîtiers embarqués GPS et de la mise à disposition d'offres prépayées. Pour l'épauler, six sociétés habilitées de télépéage (SHT) peuvent équiper les véhicules et collecter l'écotaxe : Axxès, DKV, Eurotoll, Ressa, Telepass et Total. L'abonnement auprès de ces SHT conduit obligatoirement à une remise de 10 %. Pour Ecomouv comme pour les SHT, le délai de paiement est prévu à 45 jours.
Même s'ils ne circulent pas sur le réseau taxé, tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes devront être équipés. Fourni gratuitement sous caution (150 € par appareil pour Ecomouv, et selon les conditions commerciales chez les SHT), le boîtier est programmé sur la base des caractéristiques du véhicule : immatriculation, nombre d'essieux, PTRA ou PTAC, classe Euro. Son vol, sa perte et destruction ou son dysfonctionnement devra être signalé à Ecomouv ou à sa SHT (service téléphonique 24h/24 prévu). Des point de dépannage ou de remplacement, dans un rayon de 30 km par rapport au lieu de rattachement du véhicule, devront mailler le territoire. Une fois l'itinéraire convenu, la taxe due sera déduite du montant facturé. Selon son fournisseur, deux modes de règlement sont proposés : chez Ecomouv par Internet ou borne de distribution sous forme d'avance sur laquelle la somme due sera déduite (prépayé), auprès des SHT par abonnement mensuel (variable selon consommations). Le paiement de la totalité de la taxe facturée est une condition préalable à toute contestation auprès de son fournisseur ou d'Ecomouv.
Les passages devant le Parlement et le Conseil d'Etat sont les prochaines étapes du projet de loi. En cours d'instruction, l'Association des Utilisateurs de Transport de Fret (AUTF) et la CGI ont déposé un recours le 28 juin 2012 au Conseil d'Etat, dénonçant les fondements de l'écotaxe. La Confédération a également réalisé une étude juridique sur son euro-compatibilité qui épingle plusieurs non conformités et contrariétés avec le droit européen...
* Composé à 70 % d'Autostrade et à 30 % par SNCF, SFR, Steria et Thales
Les taux régionaux et le taux interrégional s'appliqueront uniformément quels que soient le type de transport, la nature et la valeur des marchandises. Ils sont modulés en fonction de la norme Euro du véhicule et son PTAC autour de trois catégories :
. Catégorie 1 : Véhicule moteur à deux essieux avec un PTAC inférieur à 12 tonnes
. Catégorie 2 : véhicule moteur à deux essieux avec un PTAC égal ou supérieur à 12 tonnes, véhicule moteur à trois essieux, ensemble de véhicules à trois essieux
. Catégorie 3 : véhicule moteur et ensemble de véhicules à quatre essieux et plus.
Pendant la phase d'expérimentation alsacienne - du 20 avril au 20 juillet - les véhicules de la catégorie 1 (PTAC inférieur à 12 tonnes) ne sont pas taxés.
Pour aller plus loin :
- un rappel des grands axes du dispositif par les services des Douanes
- les cinq conséquences négatives du projet, telles que listées par la CGI
Les réactions des représentants de la distribution Bâtiment
Laurent Martin Saint-Léon, délégué général de la FNBM (1)
"La nécessité pour le négoce de bénéficier d'un mécanisme de répercussion clair et reconnu par tous est la priorité immédiate de la FNBM. Comme le compte d'autrui, la profession doit disposer d'une procédure légale non contestable et non négociable qui empêchera aussi les risques d'impayés. Chez la plupart des négociants, une ligne "Transport ou livraison" figure déjà sur les factures à travers des forfaits parfois. Cette prestation est donc identifiée. Discriminatoire et injuste de surcroît, la profession ne peut pas supporter l'écotaxe et ses coûts associés en formation, équipements, logiciels, temps consacré pour gérer la collecte et son reversement etc. C'est hors de question ! S'agissant des délais de paiement, il faut qu'ils soient au minimum compatibles avec la loi LME au risque sinon de dégrader les trésoreries. La FNBM est membre et soutient les demandes de la Confédération Française du Commerce Interentreprises."
(1) Fédération du négoce de bois et de matériaux de construction - Adhérents : 1 200 négociants en bois et en matériaux de construction regroupant 3 000 sociétés. CA représenté : 18 Md€ environ
Hugues Pouzin, délégué général de la CGI (2)
"Les négociants assurent sur l'ensemble du territoire l'approvisionnement quotidien des chantiers dans de brefs délais au fur et à mesure des besoins de leurs clients. Pour l'essentiel, la route constitue la seule option pour assurer ce maillage fin. Afin d'optimiser les flux, les coûts et leur empreinte environnementale, ils privilégient un système de tournée ou de distribution massifié et de proximité de faible rayon, 75 km maximum. Comparé à des trajets en trace directe non optimisés et sources de nuisances (pollution, bruit congestion...), l'écotaxe devrait donc encourager ce système de tournée conformément à l'objectif original des lois Grenelle. Le CGI demande l'exclusion de la distribution de proximité sur un rayon de 75 km par rapport au point de rattachement du véhicule du champ de la taxe. Par rapport à des commerces cash & carry, dont les clients enlèvent eux mêmes leurs produits à l'aide de véhicules légers non assujettis, l'écotaxe est source de distorsion de concurrence en outre. Cette distorsion va à l'encontre du droit européen dont l'article 7 de la directive n°1999/62 dite Euro-vignette."
(2) Confédération Française du Commerce Interentreprises - Membres : 120 000 entreprises grossistes-distributeurs en France dont 97 % de TPE/PME à travers des groupements, fédérations, syndicats professionnels... CA représenté : 700 Md€