L'eau manque. En France, certains départements du Sud, mais aussi de l'Ouest et du Centre, sont déjà en alerte sécheresse renforcée, parfois en crise. Le niveau des cours d'eau baisse, les pluies de fin de printemps sont arrivées bien trop tard. Dans le nord du Var, la communauté de communes du Pays de Fayence a annoncé suspendre tous les permis de construire, arguant que l'eau manque pour accueillir de nouveaux habitants - mais aussi parce qu'un maire a été scandalisé de voir un chantier utiliser de l'eau potable à grands jets alors que la source alimentant son village était à sec et que la panique gagnait les habitants. Depuis, les fédérations professionnelles varoises réclament une rencontre avec le préfet pour éviter que cette décision ne crée un précédent. Sans succès à ce jour.
Aujourd'hui, la nécessité d'organiser et de contrôler la consommation d'eau mais aussi de partager équitablement la ressource est largement admise. Le secteur du BTP a bien entendu amorcé sa réflexion sur le sujet, souvent avec l'aide de start-up qui travaillent en collaboration directe avec les services de R&D des majors ou des fédérations professionnelles.
Beaucoup de jeunes pousses réfléchissent aux questions d'urbanisme, pour lesquelles l'impact de chaque avancée est, naturellement, plus massif. Avant même de construire, il est désormais possible de savoir avec précision si l'emplacement choisi est vulnérable aux nouveaux aléas climatiques. Car, de toute évidence, la pluviométrie est en train de changer. Il pleut toujours autant, mais moins souvent, et plus fort. Les périodes de sécheresse alternent avec des épisodes de pluies diluviennes durant lesquels l'équivalent de plusieurs semaines, voire plusieurs mois de précipitations, peut tomber en quelques heures, provoquant inondations et glissements de terrain.

Mesurer la vulnérabilité. Au moins deux start-up proposent des solutions pour anticiper autant que possible les incidents ou catastrophes. La varoise HydroClimat, créée en 2019, a mis au point un outil de simulation hydrologique qui mesure, par l'exploitation de bases de données, la vulnérabilité au changement climatique de sites industriels (comme des aéroports pour Vinci), d'exploitations agricoles (pour le compte de la Société du Canal de Provence) ou de bâtiments d'habitation. Deux offres existent : le suivi de volumétrie sur abonnement (jusqu'à 1 000 euros par mois) ou l'établissement d'une cartographie ad hoc (plusieurs dizaines de milliers d'euros).
La toulousaine Vortex-io, elle, a été fondée la même année par des spécialistes en altimétrie spatiale. Elle propose un système de surveillance des cours d'eau en temps réel grâce à des stations compactes installées en quelques minutes sur les ponts. Celles-ci alertent élus locaux et administrations en cas de dépassement de seuils définis à l'avance, que ce soit lors de sécheresse ou de crue brutale, qui impliquent de protéger en urgence les populations. Sa base de données apporte de précieuses indications sur les emplacements devenus risqués, pour un faible coût (entre 100 et 150 euros HT par mois et par capteur).
Traquer les fuites. Autre levier clé pour les collectivités : la traque des fuites. Le réseau français est plutôt en bon état même si 20 % de l'eau se perd en route ! En outre, les disparités géographiques sont fortes. Si certaines villes, comme Paris ou Rennes, disposent des réseaux performants, avec moins de 10 % de fuites, d'autres - en milieu rural - sont en si mauvais état que l'on estime que seule 30 % de l'eau injectée dans les tuyaux arrive au robinet des consommateurs !
De nombreux outils de surveillance existent aujourd'hui, à l'instar des capteurs acoustiques, utilisés entre autres par la régie Eau de Paris qui en a fixé 3 000 sur les 2 000 km de son réseau. Mais les start-up s'appuient aussi sur des logiciels de traitement de données pour cibler villes et métropoles. C'est le cas de Leakmited qui s'appuie à la fois sur les satellites, pour repérer les traces d'humidité au sol, et l'intelligence artificielle pour déterminer et localiser les probabilités de fuites dans des réseaux étendus.
Les belges Hydroscan et Shayp, elles, travaillent sur des solutions assez similaires via un réseau de capteurs couplés à une plateforme de suivi en ligne en temps réel, afin de réagir rapidement en cas de fuite. La Ville de Bruxelles, accompagnée par Shayp, a ainsi réduit sa consommation d'eau de 30 % grâce au repérage de fuites jusque-là passées inaperçues. Le coût s'élève à environ 5 % de la facture d'eau de la collectivité ou 295 euros HT par point de mesure (il en faut entre 1 et 10 par bâtiment).
Ne pas perdre une goutte. Enfin, les élus locaux s'intéressent de plus en plus à la collecte des eaux, qu'elles soient récupérées sur les toitures ou à la sortie des douches et baignoires. La TPE girondine Aquality propose des systèmes de récupération d'eaux de pluie et de traitement des eaux grises capables de les filtrer avec une biomembrane aux pores ultrafines, sans alimentation électrique ni additifs chimiques. Ces dispositifs sont intégrés dès la conception des bâtiments, comme cela a été le cas pour le siège du Crédit Agricole, à Montrouge (Hauts-de-Seine). Le tarif varie grandement selon la taille de l'immeuble : de quelques dizaines à quelques milliers d'euros. Source Urbaine, elle, a développé pour le compte des urbanistes, des syndics et des bailleurs une solution de « jardins de pluie ». Multi-usages, ces équipements mobiles permettent de récupérer les eaux de pluie sur les toitures ou les voiries en vue de créer des biotopes urbains.
Puisque la réutilisation est désormais fortement encouragée par l'Etat, des solutions reviennent au goût du jour. Pour l'arrosage des espaces verts et des golfs ou bien le nettoyage des voiries et du matériel municipal, les eaux faiblement polluées (à la sortie des stations d'épuration) peuvent ainsi être traitées par ultra violets pour un coût assez faible. Bio-UV, en particulier, travaille sur cette solution dans les stations d'épuration de Bonifacio et de Spérone (Corse-du-Sud).

Limiter la consommation des ménages. Chez les particuliers, les innovations suivent le même principe : il s'agit de limiter la consommation en la contrôlant, en récupérant les eaux de pluie et les eaux usées, et en les recyclant. Les investissements sont, mécaniquement, plus modiques et les solutions trouvées, même si elles sont efficaces comme les récupérateurs des premières eaux des douches, tiennent parfois du gadget. « Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'aujourd'hui, dans une maison, il n'y a que de l'eau potable, pose Sybille Daunis, directrice générale de PUM, filiale de Saint-Gobain qui s'occupe du négoce de matériel innovant, essentiellement dans le domaine de l'eau. Or, à l'exception de la toilette (40 % de la consommation) et de la cuisine (de 5 % à 6 %), on n'a pas besoin que l'eau soit potable ! Des actions significatives sont donc possibles au niveau de récupération-réutilisation. » PUM accompagne ainsi la start-up toulousaine Ilya, qui expérimente une douche en circuit fermé et prévoit de l'industrialiser fin 2023 pour 25 000 euros HT.
La varoise HelioWater, elle, peut rendre potable l'eau de mer ou les eaux usées, grises ou stagnantes grâce à un système de distillation solaire : l'eau à traiter est acheminée dans une sphère par une pompe et un panneau solaire. « Par effet de serre, elle s'évapore, se condense au contact des parois pour former de l'eau pure qui ruisselle au fond de la sphère, où elle est récupérée. C'est facile, compact et on peut créer des champs de sphères », assure Thierry Carlin, son fondateur. Une expérimentation concluante a été menée à Grimaud (Var) l'hiver dernier. Cela nécessite tout de même… d'avoir un jardin ou une terrasse où installer sa sphère, dont le prix s'élève à 7 980 euros TTC.
Viser l'échelle de la copro. Une approche à l'échelle d'une copropriété s'avère souvent plus efficace. C'est la voie retenue par Nereus et Hydraloop, primée au CES de Las Vegas cette année. Tous deux proposent de recycler les eaux usées d'un immeuble (douches, bains et machines à laver) via un système installé dans les caves qui alimente ensuite toilettes et machines à laver. Il faut compter 3 600 euros HT pour Hydraloop qui promet un retour sur investissement en… douze ans. IqSpot, elle, permet de collecter et d'analyser les données de consommation en temps réel - et donc d'être alerté rapidement en cas de fuite.
Des solutions qui s'adressent plutôt aux syndics et aux bailleurs sociaux. Etonnamment, aucune start-up ne semble s'intéresser à l'utilisation de l'eau sur les chantiers. Certes, quelques recommandations sont diffusées par l'Union européenne, comme celle de ne pas couler du béton par temps caniculaire pour éviter d'avoir à le mouiller en permanence. Mais rien d'innovant n'est encore proposé, ni pour réutiliser les eaux grises, ni pour contrôler la consommation sur les projets de longue durée.