Et si la norme était parfois un moteur trop puissant ? La question est posée par Gwenaëlle Durand-Pasquier, professeure de droit privé à l’université Rennes I, lors du colloque organisé par le Conseil d’Etat mercredi 8 novembre 2023. Invitée à s’exprimer sur le thème « La norme, frein ou moteur pour le logement ? », elle a souligné la cohérence des textes relatifs au diagnostic de performance énergétique (DPE). Mais le législateur a sans doute fait preuve d’un excès d’optimisme. L’universitaire juge ainsi que le calendrier fixé par la loi Climat et Résilience de 2021 est « trop serré au regard de l’importance des travaux de rénovation à réaliser ». Pour rappel, les logements qualifiés d’énergétiquement indécents au regard du DPE ne pourront plus être proposés à la location, selon le calendrier suivant : les logements classés G à compter de 2025, les logements classés F à compter de 2028, les logements classés E à compter de 2034.
Pas assez d’acteurs
La professeure constate que le marché n’a pas encore eu le temps de se structurer, ce que confirme Maryse Aulagnon, P-DG de Finestate et présidente de la Fédération des entreprises immobilières (FEI) : « Il y a un manque d’acteurs sur le secteur de la rénovation énergétique ». Du côté des bailleurs sociaux, les difficultés sont les mêmes. La présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), Emmanuelle Cosse, alerte : « Les diagnostiqueurs sont dépassés, ils ne répondent plus aux appels d’offres ».
Les diagno-stiqueurs sont dépassés, ils ne répondent plus aux appels d’offres.
— Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH
Si comme le note Vincent Mahé, conseiller d’État et ancien directeur général de CDC Habitat, les délais sont tout de même plutôt tenus par les gros bailleurs privés et les bailleurs sociaux, ce n’est pas le cas pour les copropriétés et les bailleurs particuliers. Ces derniers peuvent recourir à un mandataire pour les accompagner. « Cela peut être une bonne solution, mais les mandataires sont fragilisés du fait de l’instabilité de la norme » ; en atteste par exemple l’arrêté du 22 novembre 2022 qui a modifié le contenu et les modalités de réalisation du DPE avec effet dès le 1er janvier 2023. Ce que confirme Gwenaëlle Durand-Pasquier pour qui « il est plus difficile d’industrialiser et de standardiser si la norme n’est pas prévisible ».
Un diagnostic encore peu fiable
Pour la présidente de l’USH, le principal défaut du DPE est son absence de fiabilité. Différentes enquêtes viennent appuyer ce constat, si bien qu’en avril 2023, le ministre du Logement d’alors, Olivier Klein, avait présenté un plan pour fiabiliser les DPE.
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Les raisons des difficultés suscitées par le DPE sont peut-être à trouver dans la genèse de la loi Climat et Résilience. C'est la thèse défendue par Emmanuelle Cosse pour qui le principal défaut, découlant sans doute de la volonté du législateur d’aller vite, est d’avoir fixé tout le dispositif dans la loi, sans renvoyer à des décrets ultérieurs. « C’est une erreur que tout soit au rang législatif, car il est plus difficile de modifier les textes », toute réforme devant faire l’objet d’une nouvelle loi et non d’un règlement.
Retour de manivelle
Par ailleurs, la mise en œuvre du DPE crée des effets de bord. « Le DPE conduit à une contraction du marché de la location, il va y avoir moins de logements locatifs » analyse Maryse Aulagnon. En cause, l’interdiction rappelée précédemment de louer des « passoires thermiques ». Certains biens sortent temporairement du marché le temps que les travaux de rénovation énergétique soient réalisés. Quand cette sortie n’est pas tout simplement définitive : « Des bailleurs choisissent de transformer leur bien en meublé de tourisme, non assujetti au DPE ».
Pour lutter contre cet évitement de la norme, la députée Annaïg Le Meur (Finistère – Renaissance) a déposé une proposition de loi dont elle est co-rapporteuse aux côtés d’Iñaki Echanizqui (Pyrénées-Atlantiques –PS). Le texte devrait être examiné en décembre 2023. Son article 1er vise à soumettre tous les baux à courte durée au DPE.
De l’huile dans le moteur
Les promoteurs privés vont devoir accepter une baisse de la rémunération du capital et des actionnaires.
— Eric Lombard, directeur général du groupe Caisse des dépôts
Une autre solution consiste peut être à mettre de l’huile dans le moteur, comme le suggère Gwenaëlle Durand-Pasquier. L’objectif : davantage accompagner techniquement et surtout financièrement les petits bailleurs. Vincent Mahé va dans le même sens : « Il faut mettre en cohérence la fiscalité sur la propriété, qui ne cesse d’augmenter, avec l’importance des travaux de rénovation ».
Pour Eric Lombard, le directeur général du groupe Caisse des dépôts, la rénovation énergétique est effectivement coûteuse. Un changement de norme culturelle va devoir s'opérer, en particulier chez les promoteurs privés qui vont devoir « accepter une baisse de la rémunération du capital et des actionnaires ».