Les juridictions nationales peuvent, en cas de fraude, écarter l’application du certificat de sécurité sociale des travailleurs détachés dans l’Union européenne. Tel est le cas si l’institution émettrice s’abstient dans un délai raisonnable de procéder à un réexamen du certificat à la lumière des éléments de fraude portés à sa connaissance. Voilà ce qu’il faut retenir de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 6 février dernier.
En l’espèce, les services de l’inspection sociale belge enquêtaient sur le personnel d’une entreprise de construction d’outre-Quiévrain. Ils avaient établi que cette société n’employait pratiquement pas de personnel et confiait la totalité de ses chantiers en sous-traitance à des entreprises bulgares qui détachaient des travailleurs en Belgique. L’emploi des travailleurs concernés n’était pas déclaré auprès de l’institution belge chargée de la perception des cotisations de sécurité sociale, dès lors qu’ils disposaient des certificats E101 ou A1 délivrés par l’institution bulgare compétente attestant de leur affiliation au système de sécurité sociale bulgare.
Question préjudicielle
Une enquête judiciaire menée en Bulgarie dans le cadre d’une commission rogatoire ordonnée par un juge d’instruction belge a établi que les entreprises bulgares n’exerçaient aucune activité significative en Bulgarie. Les autorités belges ont alors introduit auprès de l’institution bulgare compétente une demande motivée de réexamen ou de retrait des certificats en question. Dans sa réponse, celle-ci a communiqué un récapitulatif des certificats, sans tenir compte des faits constatés et établis par les autorités belges.
Celles-ci ont par la suite engagé des poursuites judiciaires à l’encontre des responsables de l’entreprise belge. Par arrêt du 10 septembre 2015, le hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique) a condamné les intéressés. Tout en constatant que les certificats avaient été délivrés à chacun des travailleurs détachés, elle a néanmoins considéré qu’elle n’était pas liée par cette circonstance étant donné que les certificats avaient été obtenus frauduleusement. Le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique), saisi de l’affaire, a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE. Il cherche à savoir si les juridictions de l’État membre d’accueil peuvent annuler ou écarter un certificat E101 lorsque les faits soumis à leur appréciation leur permettent de constater que ce certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse.
Coopération loyale
Dans son arrêt, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le principe de coopération loyale impose à l’institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents et de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat. Ce principe implique également celui de la confiance mutuelle : le certificat crée une présomption de régularité et s’impose donc, en principe, à l’institution compétente de l’État membre d’accueil. Dès lors, aussi longtemps que le certificat n’est pas retiré ou déclaré invalide, l’institution compétente de l’État membre d’accueil doit tenir compte du fait que le travailleur est déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’État membre où est établie l’entreprise qui l’emploie et cette institution ne peut donc pas soumettre ce travailleur à son propre régime de sécurité sociale.
Cependant, si l’institution émettrice du certificat s’abstient de procéder à un réexamen dans un délai raisonnable, les éléments de fraude doivent pouvoir être invoqués dans le cadre d’une procédure judiciaire aux fins d’obtenir du juge de l’État membre d’accueil qu’il écarte les certificats. L’institution bulgare s’étant abstenue de prendre en considération ces éléments, le juge national peut écarter ces certificats.