Renaturation : désimperméabiliser porte toujours ses fruits

Après trois ans de recherche, le programme de recherche Dessert, pour désimperméabilisation des sols, services écosystémiques et résilience des territoires, montre qu’une renaturation graduelle suffit à rendre aux sols leur fertilité.

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Expérimentation de descellement et de renaturation à Nancy dans le cadre du programme de recherche Dessert

« Depuis les sols gras (luvisols) des forêts urbaines aux technosols des routes, les sols parviennent de moins en moins à rendre leurs services écosystémiques. Pire, leur imperméabilisation s'accélère depuis les années 1980 et cela dans le monde entier », commence Christophe Schwartz, professeur au laboratoire sols et environnement (LSE) à l'Université de Lorraine, également président du centre Inrae du Grand Est Nancy.

Or, l'artificialisation se traduit par « l'apparition d'îlots de chaleur, une diminution de la filtration de l'eau ou l'augmentation du risque de crues éclair, la diminution du stockage de carbone et de la biodiversité ainsi que par des pertes esthétiques ou une baisse de l'attractivité de certains paysages », liste-t-il.

Cet état des lieux alarmant, le professeur l’a rappelé a plus de 500 internautes lors de la restitution des conclusions du programme de recherche Dessert. Achevé fin 2024 après trois ans de travail, « il vise à poser un cadre méthodologique autour de l’étude des sols scellés et descellés à partir de retours d’expériences et d’expérimentations, en laboratoire comme sur le terrain. L'objectif estde démontrer dans quelles mesures des sols scellés peuvent revenir à un état plurifonctionnel », synthétise Christophe Schwartz.

Le projet, soutenu financièrement par l’Ademe, le CIBI, l’OFB et l’ANRT, et coordonné par l’Université de Lorraine a abouti à un guide d’aide à la conception des projets de descellement pour mettre en œuvre des opérations de renaturation des sols : Desimperméabiliser les villes, guide opérationnel pour (re)découvrir les sols urbains. Disponible depuis ce 31 janvier 2025, il s’inscrit dans le cadre de la mission européenne « Santé des sols et alimentation » portée par le programme Horizon Europe, ainsi que dans les objectifs de zéro artificialisation net (ZAN) de la loi Climat et résilience de 2021.

Le projet Dessert vise, à partir de retours d’expériences et d’expérimentation, à démontrer dans quelles mesures des sols scellés peuvent revenir à un état plurifonctionnel.

—  Christophe Schwartz, professeur au laboratoire sols et environnement à l'Université de Lorraine, également président du Centre INRAE du Grand Est / Nancy

Gérer les eaux pluviales, la principale motivation

La première étape du projet Dessert, pour désimperméabilisation des sols, services écosystémiques et résilience des territoires, a ainsi consisté à passer au crible les projets de descellement existant. L’inventaire a mis en avant des projets récents, initiés à partir de 2009, et des surfaces variées, allant de moins de 100 m² à plus de 15 000 m², avec une médiane à 1000 m².

Il a aussi permis d’analyser leur fonctionnement et leur ambition : « Les opérations de descellement restent motivées avant tout par la gestion des eaux pluviales, dans une logique de mise en conformité avec les documents de planification territoriale (SDAGE et SAGE). Elles concernent aussi la gestion des îlots de chaleur urbains, avec une ambition de verdissement des villes et d’amélioration du cadre de vie », indique Christophe Schwartz.

L’apport de compost et de déchets verts testés en laboratoire

Les premiers essais ont été menés en laboratoire. L’objectif était de tester différentes formulations pour valoriser au mieux les matériaux en place. « Nous avons combiné des plantations de ray-grass, une herbe fourragère, avec trois formulations de substrats – granulats de voirie seuls pour la première, amendés de composts et de déchets verts pour la seconde, et avec adjonction de terre végétale pour la troisième - que nous avons comparés à une formulation de référence. En l’occurrence, celle mentionnée dans les sondages comme la plus communément utilisée dans les descellements, soit deux tiers de terre végétale et un tiers de composts et de déchets verts », explique Stéphanie Ouvrard, directrice du Laboratoire sols et environnement (LSE) de l'université de Lorraine.

« Sur les matériaux tels que grave et asphalte, nous n’avons pas identifié de contamination, mais comme prévu une fertilité très limitée. Par contre, dès lors que nous apportions du compost et des déchets verts, nous obtenons une fertilité satisfaisante des substrats, qui font jeu égal avec la formulation de référence », constate la chercheuse.

Par ailleurs, la réutilisation d’enrobés concassés en mélange ou en paillage n’a présenté que peu d’intérêt agronomique, mais s’est révélée intéressante dans des situations où des éléments grossiers apportent un effet structurant ou drainant. « Cependant, leur réutilisation est soumise à la vérification d’un certain nombre de paramètres, en particulier la présence d'amiante ou de polluants organiques persistants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) », rappelle Stéphanie Ouvrard. Elle est aussi à mettre en balance de la revalorisation dans des filières traditionnelles.

Descellement en conditions réelles

En parallèle, trois sites pilotes de 150 m² chacun, constitués d’un revêtement imperméable, d’une couche de voirie et d’un sol support, et exposés à trois climats différents, à Angers (Maine-et-Loire), Cannes (Alpes-Maritimes) et Nancy (Meurthe-et-Moselle), ont été éprouvés. Quatre modalités de descellement, avec des intensités d’interventions croissantes, ont été mises en œuvre entre fin 2021 et début 2022 :

- un sol simplement débitumé, donc laissé tel quel après retrait du revêtement ;

- un sol debitumé et décompacté sur les 30 premiers cm ;

- un sol en plus amendé ;

- et enfin la modalité de référence étudiée aussi en laboratoire, c’est-à-dire un sol excavé sur les 30 premiers centimètres laissant place à un mélange de terre végétale et de compost.

Un semi de plantes herbacées a été réalisé au mois de mai 2022. Le second semestre et l’année 2023 ont été dédiés au suivi des  paramètres liés au développement des couverts végétaux, à la qualité des sols, à leur humidité, à leur  température, à leur fertilité, etc.

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Modalités de mise en œuvre des essais de terrain © Plante & Cité

Les observations ont mis en avant une variation interannuelle, liée à l’évolution des conditions climatiques d’une année sur l’autre, marquée notamment par la sècheresse de 2022. « Nous observons aussi, et c’était attendu, une disparité forte entre les sites et les différents essais. Les sols qui ont reçu un apport de compost ont bénéficié d’un fort recouvrement et d’un bon développement du couvert végétal, avec de la production de biomasse. Un retard pour le site de Cannes, lié aux conditions climatiques, a été observé », note Stéphanie Ouvrard. Les chercheurs ont aussi noté l’effet important de l’environnement proche et de la nature du sol en place.

« Ces éléments relativisent l’apport de compost, en particulier pour le site de Nancy, pour lequel le substrat en place avait une qualité agronomique supérieure aux matériaux de grave qui étaient présent sur les sites de Cannes et Angers, et qui a donc conduit à des résultats plus satisfaisants », observe-t-elle. « L’intensité d’intervention préalable à tous travaux de renaturation doit vraiment être dosée en fonction du contexte pédoclimatique, c'est-à-dire à la fois la nature du substrat en place initialement, mais également les conditions climatiques locales », conclut-elle.

Une renaturation bien présente

Avec cette intensité d'intervention croissante, nous finissons par atteindre, voire éventuellement dépasser, les services écosystémiques rendus par le sol avant son imperméabilisation avec un réel retour à la nature

—  Stéphanie Ouvrard, directrice du laboratoire sols et environnement et directrice de recherche

L'évaluation des services écosystémiques rendus par les sols (filtration de l'air, régulation du climat, gestion des inondations, de l'érosion, de l'infiltration de l'eau et les services d'habitat de biodiversité) après descellement ont été étudiés avec l'outil d'aide à la décision Destisol. « Avec cette intensité d'intervention croissante, nous finissons par atteindre, voire éventuellement dépasser, les services écosystémiques rendus par le sol avant son imperméabilisation avec un réel retour à la nature », s’enthousiasme Stéphanie Ouvrard. Christophe Schwartz complète : « il s’agit maintenant de poursuivre les observations sur le long terme pour étudier davantage les effets de la nature ».

La question du sol intégrée au projet

Fort de ces observations, le programme Dessert établit une démarche à suivre lors du développement d’un projet de desimperméabilisation en maîtrise d’œuvre. « Le principe est d’intégrer concrètement, dans une démarche de projet, la question du sol à chaque étape, depuis les études jusqu'à l’exploitation du site », explique Robin Dagois, chargé de mission sols urbains à Plante & Cité.

Il illustre : « en amont du chantier, plusieurs étapes sont essentielles, comme la réalisation d’un état zéro pré-travaux, avec mesure de l’humidité des sols et relevés de biodiversité par exemple, ce qui doit être absolument intégré au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) pour être chiffré dans l’estimation des travaux. Un planning détaillé avec spatialisation du chantier devra aussi être fourni, afin d’anticiper les différentes interactions avec les entreprises et la réutilisation de matériaux sur place. Des contrôles seront ensuite effectués régulièrement pour vérifier la conformité des aménagements ».

Le guide laisse aussi la place à différents exemples de pratiques de descellement, des sols exportés avec apport d’un nouveau substrat, au sol amendé avec drainage en fond de fosse par exemple. Autant de méthodes qui prennent aussi appui sur le programme Siterre, qui a donné lieu à la publication de l'ouvrage « Créer des sols fertiles, du déchet à la végétalisation urbaine ». Et Siterre II, dont les travaux, qui s’achèveront en 2026, visent à accélérer la structuration de la filière de revalorisation des granulats concassés, terre de déblai, composts et autres matières organiques.

Partenaires du programme de recherche Dessert
Unités de recherche : Aix-Marseille université (IUAR) UMR Telemme ; L’institut agro-Angers – UMR Bagap ; L’institut agro-Rennes – Angers UP EPHor ; Université de Lorraine / Inrae – Laboratoire Sols et Environnement
Métropoles et villes : Angers Loire Métropole ; Irigo ; Cannes ; Métropole du Grand Nancy ; ville de Nancy
Association : Plante & Cité
Entreprises privées : Wagon Landscaping ; SCE ; D&L Enromat Groupe Durand ; Vinci Autoroutes ; Escota Vinci

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