Alors que les Français reprennent contact avec le monde extérieur, ils restent profondément marqués par l'expérience du confinement du printemps dernier. Difficile d'oublier ces 55 jours inédits d'assignement à résidence durant lesquels, comme le dit l'architecte Sophie Delhay, « tout a basculé dans le camp de l'intérieur. Notre habitat était devenu le lieu de tout, de l'école, du travail, des séances de sport… Nous devions y faire alterner le temps collectif de la vie du foyer et les moments plus solitaires, répondant à notre besoin de nous isoler ».
Concilier ces usages multiples dans un espace contraint a été une épreuve, notamment en zone urbaine dense. Selon une étude menée par l'Institut des hautes études pour l'action dans le logement (Idheal), 86 % des personnes qui ont mal vécu le confinement dans leur logement habitent en appartements, dont 66 % sans espaces extérieurs. Ce constat appelle les professionnels à imaginer des logements compatibles avec un nouveau confinement mais surtout en phase avec les modes de vie actuels.
Se montrer plus généreux
« Nous construisons des logements plus petits qu'il y a quinze ans, admet Elizabeth Devalmont, directrice de la prospective patrimoniale et du développement chez Alliade Habitat (groupe Action Logement). Avec l'augmentation des prix de l'immobilier, les promoteurs ont rogné sur les surfaces afin de rendre les logements abordables. ». Selon la dernière étude Logement de l'Insee, la taille moyenne d'un appartement était de 63 m² en 2013, en recul de 4 % par rapport à 2006.
Une tendance d'autant plus pénalisante pour les familles recomposées, « qui vivent une partie du temps à trois ou quatre, et parfois plus », comme le souligne l'architecte Stéphane Rouault, de l'agence Lemérou Architecture. Dans la métropole du Grand Paris, 1,8 million d'habitants vivent à l'étroit, a récemment révélé une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur). « Les gens ont assurément besoin de lieux plus grands. Pour cela, nos normes d'habitat, établies au début des années 2000, doivent évoluer », insiste Pierre-René Lemas, qui dirige un groupe de travail interministériel sur la qualité des logements sociaux.
Systématiser les espaces extérieurs
La surface ne fait pas tout. Le confinement a été difficile pour ceux qui ne disposaient pas de terrasse, de cour ou de jardin, ni même d'un petit bout de balcon. Déléguée générale de l'Idheal, Catherine Sabbah rappelle ainsi que « l'habitat collectif manque cruellement d'espaces extérieurs. Un appartement sur deux possède un balcon ou une loggia, près de quatre logements sur dix disposent d'espaces extérieurs partagés. Aujourd'hui, balcons et terrasses font bien partie de l'offre immobilière neuve mais en réalité, ils sont plutôt rares en deçà des T3 ».
Pour Marjan Hessamfar, architecte cofondatrice de l'agence Hessamfar & Vérons, « il faut donc insister auprès des maîtres d'ouvrage pour les systématiser, même pour un T1 ou un T2 ». Côté promoteurs, les mentalités évoluent. Woodeum, qui se positionne sur la construction bois, vise par exemple « le zéro appartement sans espace extérieur ». D'autres, comme le francilien Interconstruction, réfléchissent à intégrer des espaces extérieurs, sous forme de jardin d'usage ou de toitures-terrasses partagées.
Laisser entrer la lumière
« Notre rapport à l'extérieur passe aussi par les vues. Rester chez soi est moins difficile quand on jouit d'une large ouverture et d'un panorama », assure Sophie Delhay. Pourtant, trop de promoteurs font encore l'impasse sur cet aspect. Lors d'opérations livrées ces dernières années, Marjan Hessamfar s'est souvent vu opposer ce discours : « Ce n'est pas grave de laisser un T1 exclusivement tourné vers le nord. » Aujourd'hui, elle ne souhaite plus l'entendre et milite pour l'interdiction de certains logements mono-orientés. Pour assurer un accès à la lumière et à la nature, Ingrid Taillandier, architecte fondatrice de l'agence Itar, travaille pour sa part sur « un jeu de pleins et de vides » : « Dans mes projets, je cherche toujours à introduire de la diversité dans les volumes, de penser des émergences qui sont contrebalancées par des bâtiments plus bas. Dans le premier cas, les habitants profiteront de doubles orientations, de vues dégagées et d'un éclairage abondant. Dans les édifices moins hauts, ils pourront tirer parti du rapport au sol pour avoir un vrai jardin. »
Gagner en souplesse
Quitte à s'inscrire dans des surfaces restreintes, des architectes s'efforcent de mettre de la souplesse dans le logement, pour accroître la liberté d'usages. Ils luttent contre la sacro-sainte répartition jour/nuit « qui ne permet pas beaucoup plus que regarder la télévision et dormir », déplore Stéphane Rouault. Lui et ses associées, comme leur confrère Charles-Henri Tachon (lire p. 46), triturent les plans pour dilater l'espace. Leur agence Lemérou optimise les mètres carrés entre deux pièces pour en faire un lieu assez spacieux et lumineux pour poser un bureau par exemple.
Autoriser les habitants à choisir comment occuper leur intérieur est aussi le fondement du travail de Sophie Delhay. Ses logements sociaux de Dijon, récompensés l'an dernier du prix Habitat de l'Equerre d'argent organisé par « Le Moniteur » et « AMC », sont composés de pièces de taille identique, pouvant être ouvertes ou closes et former de grands ou de petits espaces. « Le logement doit avant tout être flexible », assure-t-elle. Expérimental ? Pas pour l'architecte, qui invite à ne pas sous-estimer « la capacité d'imagination des occupants ».
Prévoir des lieux partagés
« Le confinement a posé la question du télétravail, et plus largement des espaces communs », note Jean-Raphaël Nicolini, directeur grands projets & innovations urbaines chez Care Promotion. « La crise a été un test grandeur nature de la capacité de résilience. Celle-ci tient à la solidarité, aux liens sociaux, à la bienveillance », analyse François-Xavier Trivière, consultant en immobilier et ancien directeur du développement du groupe Brémond. Pour Elizabeth Devalmont, « les projets d'habitat participatif ont un bel avenir ». Reste à trouver un modèle économique viable. La jeune société Care Promotion entend développer des lieux partagés dans le socle de ses immeubles, dont elle resterait propriétaire. « Les habitants disposent ainsi de surfaces qu'ils n'auraient pas les moyens d'acquérir et d'entretenir », avance Jean-Raphaël Nicolini.
Miser sur le bien-être
« Les événements récents nous ont plus encore convaincus de notre responsabilité sociale et sociétale. Nous devons accorder toujours plus d'importance à la qualité des matériaux, à l'acoustique, au confort thermique ou la qualité de l'air », souligne encore Jean-Raphaël Nicolini. Dans ce contexte, Care planche à la mise au point d'un référentiel sur cette question, dont pourrait découler un label.
« La crise a eu pour effet de remettre les enjeux écologiques liés à la construction au cœur des préoccupations et nous a confortés dans notre positionnement », reconnaît Julien Pemezec, président du directoire de Woodeum, qui, depuis sa création en 2014, fait le choix de construire des bâtiments bas carbone en ossature bois CLT. Le bois contribue à la qualité acoustique et thermique tout procurant un sentiment de bien-être. Pour tirer parti de ces bénéfices, le promoteur offre la possibilité aux acheteurs de disposer de grands murs en bois apparent dans les pièces. Le succès est au rendez-vous. Woodeum a prévu de mettre en travaux près de 1 000 logements cette année et devrait atteindre les 120 millions d'euros de chiffre d'affaires, deux fois plus que l'année précédente.