La guerre en Ukraine génère une crise des matériaux. Quelles conséquences a-t-elle sur l’activité des constructeurs de maisons individuelles ?
La guerre en Ukraine était inattendue, subite. Le monde n’y était pas préparé, le marché immobilier encore moins… Nous avons très vite réalisé l’impact de cette guerre sur l’approvisionnement en matériaux. Puisque toute production nécessitant de l’énergie est directement impactée. Des industriels sont contraints de fermer des fours, faute de matière première ou pour faire face à la flambée des prix de l’énergie. Résultat, certains négoces ne fournissent plus de barres d’armatures. D’autres annoncent des délais de 2, 3 voire même, 4 mois pour avoir de simples fer à béton, des poutres... transformés dans les Pays de l’Est, et donc aussi en Ukraine, à partir de billes métalliques. D’autres encore nous demandent de nous engager sur une commande ferme, sans s’engager sur un prix. C’est parfaitement contraire au code du commerce. Je sais qu’ils ne le font pas de manière abusive, eux-mêmes n’ont pas de repères, et éprouvent de grosses difficultés à reconstituer leurs stocks.
Les chantiers sont-ils à l’arrêt ?
Très concrètement, j’ai coulé les fondations de certains chantiers à Clermont-Ferrand, mais les cages d'armature ne sont pas disponibles. Cela signifie que j’ai des chantiers de maisons individuelles à l’arrêt. Et je sais que des chantiers de logements collectifs, plus conséquents, plus techniques, sont également à l’arrêt pour une durée de plusieurs semaines au moins. Dès que l’on a recours à des matériaux particuliers, les prix s’affolent. L’application de la RE 2020 nécessite d’avoir recours à des matériaux assez techniques, qui étaient peu demandés par la profession. Les stocks sont donc faibles. Nous n’avons pas de situation de repli. En parallèle, des entreprises de gros œuvres commencent à dénoncer les marchés signés.
Les constructeurs de maisons individuelles ont vendu près de 140 000 maisons individuelles en 2021. Pourront-ils lancer tous les chantiers ?
Nous avons effectivement un très bon carnet de commande, ce qui est malheureusement un effet aggravateur de la crise. C’est le scenario du pire. Sur chaque chantier, nous sommes déjà en train de voir si l’on arrivera à récupérer les retards sur les temps morts habituels. Il ne faudrait surtout pas que d’autres matériaux soient également en pénurie.
Nous nous exposons à plusieurs sanctions. Le prix d’abord. Par exemple, je passe en moyenne 1,5 tonne d’acier pour construire une maison individuelle. En un mois, le prix de la tonne a augmenté deux fois de 600€, soit une inflation de 35%. Je ne peux pas facturer cette somme à mon client. Et je ne parle pas du prix des tuiles ! Le délai ensuite. Plus le chantier dure, plus les prix augmente, les constructeurs de maisons individuelles s’exposent donc à l’inflation à venir.
Nous allons donc retirer des programmes de la phase de commercialisation, il s’agit là d’une perte sèche, puisque nous avons engagés des frais de commercialisation, d’études… Sur ces projets, dont le chantier n’a pas encore été lancé, nous rembourserons les acomptes. Pour ceux dont le chantier a été ouvert, les clients se sentent protégés puisque nous nous engageons sur un prix fixe et un délai de réalisation.
Les constructeurs de maisons individuelles ont-ils les reins assez solides pour faire face à la flambée des prix et aux pénalités de retard auxquelles ils s’exposent, qui réduiraient leurs marges ?
Nous avons lancé une enquête auprès de nos adhérents permettant à chacun de s’exprimer sur les difficultés rencontrées. Nous ne disposons pas encore des résultats mais je note un signal fort : des constructeurs m’appellent plusieurs fois par jour, pour faire le point sur la situation, prendre la température, échanger sur les astuces à déployer. Quand tout va bien, je ne reçois jamais ce type d’appel.
Les conséquences de la pandémie sont assez fraiches dans le bilan des entreprises. On a tous produit moins bien, et donc plus cher. Les marges se sont sensiblement érodées. Nous ne partons pas bien armés pour faire face à cette nouvelle crise, d’autant que nous évoluons sur des sables mouvants. Les équilibres financiers seront précaires pour les constructeurs de maisons individuelles. Mais aussi pour les entreprises et les industriels : sans matière première, pas de production ni de facturation… mais ces entreprises devront tout même s’acquitter des charges. Il y aura des banqueroutes !
En 2022, le cas médian des constructeurs de maisons individuelles consistera à réaliser des marges nulles. Et tous les constructeurs n’auront pas la capacité d’absorber un bilan négatif. C’est d’autant plus regrettable que des entreprises qui ne méritaient pas de disparaître, parce qu’elles faisaient bien leur métier avec des marges correctes, mourront. Dans notre secteur, la pyramide des âges est inversée, beaucoup de patron ont entre 60 et 70 ans. En dégradant les bilans, la crise sanitaire a bloqué les cessions d’entreprises. Cela aura des conséquences sur l’intelligence collective de la profession.
Le plan de résilience annoncé par le gouvernement est-il satisfaisant ?
Il n’est absolument pas adapté à notre secteur. Les règles permettant de bénéficier du chômage partiel ne sont pas très claires, notamment dans la manière de justifier son recours. Quels justificatifs seront demandés après coup ? On ne le sait pas pour le moment, alors même que les patrons d’entreprise ont toujours en tête le traumatisme du premier confinement, où le chômage partiel a été contrôlé de façon très méticuleuse – et c’est bien normal puisque l’on parle d’argent public.
Nous attendons une vraie prise de décision sur les pénalités de retards. Le gouvernement s’est exprimé sur les marchés publics, mais pas sur les marchés privés. Les pénalités doivent être gelées au risque de nous envoyer au tapis. L’indice BT01 doit être révisé car il ne correspond pas à la réalité du terrain. Quand il varie de 5%, nous observons plutôt une inflation de 7 à 8% sur le terrain. Sa composition doit être retravaillée. De plus, cet indice a une inertie lourde, il faudrait le rendre plus réactif, en le révisant chaque trimestre. Aujourd’hui quand une crise survient dans le monde, elle impacte l’ensemble du marché dès le lendemain.
Enfin, nous aimerions travailler avec nos partenaires bancaires sur la révision des prix de sortie. Car même si nous pouvons indexer nos contrats à l’indice BT01, dans les faits, le client ne peut pas toujours payer la révision de prix. Pourquoi ne pas trouver une manière de les accompagner, avec un crédit d’impôt, un différé de remboursement… D’une manière générale, la réalité de la vie doit nous pousser à penser différemment : la révision des prix est un sujet tabou. A l’avenir, nous devons travailler sur des taux et des prix révisables.