Des certificats qui font déjà débat

Economies d'énergie -

Fixées fin mars, les nouvelles modalités des CEE devraient permettre d'augmenter le nombre de chantiers. A condition que les artisans s'adaptent.

 

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La quatrième période des CEE a permis de générer jusqu'ici 12 à 16 Mds € de travaux.560 000 chaudières ont été remplacées et 1,4 million de chantiers d'isolation lancés, selon le Groupement des professionnels des CEE (GPCEE).

Le timing est serré et les enjeux énormes : les règles du jeu de la cinquième période des certificats d'économies d'énergie (CEE), qui court du 1er janvier 2022 à la fin 2025, seront bientôt arrêtées. A travers ce dispositif lancé en 2006, la puissance publique fixe aux fournisseurs d'énergie, appelés « obligés », des objectifs pluriannuels. Elle leur impose la réalisation d'opérations d'économies d'énergie en finançant, via des délégataires ou des mandataires, des travaux chez les particuliers, dans les entreprises et les collectivités locales. Les CEE obtenus varient en fonction du nombre de kWh cumac (1) d'énergie finale économisée. La quatrième période (2018-2021, appelée P4) a permis de générer 12 à 16 Mds € de travaux, selon les estimations des professionnels. Un projet de décret et d'arrêté fixant les modalités de la cinquième période des CEE (appelée P5) a été mis en consultation tout début février, en vue d'une publication au « Journal officiel » d'ici à la fin du mois de mars selon l'agenda de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Et tout ou presque y fait débat.

Un niveau d'obligation jugé raisonnable. D'abord, le niveau d'obligation d'économies d'énergie à réaliser, établi à 2 400 TWh cumac, laisse certains acteurs sur leur faim. Même s'il progresse tout de même de 12,5 % par rapport à la quatrième période, laissant entrevoir de belles perspectives pour les artisans (20 Mds € de travaux selon le gouvernement), cet objectif peut paraître faible au regard des recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Celui-ci préconisait en effet d'augmen-terle niveau d'obligation de 300 à 400 % entre la P4 et la P5 ! Plus réaliste, Franck Annamayer, P-DG de Sonergia, attendait une hausse de 30 %. « Peut-être doit-on y voir l'impact du contexte économique et social, avance-t-il. Bercy ne souhaite pas une augmentation du prix de l'énergie susceptible de déclencher un nouveau mouvement des Gilets jaunes. » Le coût des CEE est en effet reporté par les obligés comme EDF ou Engie sur les factures de leurs clients. Pour les énergéticiens, les 12 % paraissent raisonnables. « Un niveau d'obligation trop important pourrait conduire à une forte tension sur les prix d'échange des CEE. Cela représenterait une manne financière qui attirerait des acteurs moins scrupuleux », prévenait Stéphanie Roger-Selwan, directrice sourcing économie et finance d'EDF, lors d'un webinaire organisé par Enerpresse fin 2020.

De la hausse dans le gaz. Si le géant de l'électricité peut se satisfaire de cette cinquième période, ce n'est pas le cas des fournisseurs de gaz qui voient leurs obligations progresser de 50 %. Auparavant, celles-ci étaient fixées à la fois en fonction des volumes vendus et du chiffre d'affaires réalisé. Pour la P5, la DGEC n'a retenu que les volumes vendus entre 2017 et 2019, faisant mécaniquement augmenter la pression sur les gaziers. Résultat : « Le coût du dispositif CEE est déjà de 4,5 % du prix du gaz pour un client résidentiel au tarif réglementé. Ces changements pourraient induire un doublement du coût CEE pour les abonnés », calcule Patrick Corbin, président de l'Association française du gaz.

Autre point fâcheux, pour le bâtiment cette fois : la fin anticipée au 30 juin 2021 (au lieu du 31 décembre 2021) de trois « coups de pouce ». Ils concernent l'isolation des combles ou des planchers bas ; la substitution des chaudières individuelles au gaz non performantes par une solution au gaz très haute performance énergétique ; et le remplacement de radiateurs électriques non performants par des radiateurs électriques dits « 3*-œil ». Ces programmes subventionnent fortement les opérations, en augmentant le nombre de CEE générés pour 1 kWh cumac d'économies d'énergie réalisées et en réduisant le reste à charge des ménages. Résultat, les « offres à 1 € » se sont multipliées ces derniers temps. « Ces coups de pouce sont appréciés des artisans parce qu'ils sont lisibles : la prime est connue à l'avance, quelle que soit la zone géographique, la surface du logement… », juge-t-on à la FFB, qui souhaite une reconduction de ces dispositifs de bonification.

La disparition de certains avantages fera augmenter le reste à charge des clients.

« La première pompe à chaleur à 1 € que l'on a posée en 2019 a coûté 10 000 € à la collectivité, mais a permis de faire réaliser 2 000 € d'économies d'énergie par an au ménage », rappelait Frédéric Utzmann, président d'Effy, dans le cadre d'un webinaire organisé par l'Ecole des mines ParisTech. La disparition de certains avantages fera automatiquement augmenter le reste à charge des clients. Par exemple, un ménage bordelais modeste qui souhaite remplacer sa chaudière à gaz classique par une chaudière à gaz très haute performance énergétique verra sa facture augmenter de près de 1 000 € selon les calculs de la FFB. Si ce même couple veut isoler ses planchers bas, l'aide passera à 8 €/m² contre 20 €/m² avec le coup de pouce, toujours selon la fédération.

Offres à 1 € : gare à la fraude ! Pourquoi une telle baisse des bonifications ? « Le principe des coups de pouce consiste à créer des CEE fictifs, en bonifiant le nombre de certificats générés pour un geste, explique Matthieu Glachant, directeur du Centre d'économie industrielle et professeur à Mines ParisTech. En moyenne, le coup de pouce chauffage a multiplié par près de six le nombre de CEE octroyés pour l'installation d'un équipement entrant dans le périmètre de ce programme. Quant au coup de pouce isolation, il a permis de doubler le nombre de CEE attendu sur les opérations concernées. » Alors que la P5 peut paraître moins ambitieuse qu'espéré, la réduction des bonifications permettra en fait d'augmenter le nombre de chantiers effectivement lancés. Par ailleurs, lorsqu'un coup de pouce est proposé, les acteurs se ruent sur ces opérations pour profiter des bonifications, au détriment des autres travaux. L'administration y voit une opportunité de massification de la rénovation énergétique, avec la réalisation d'économies d'échelle et l'apprentissage continu des artisans.

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C'est ce que l'on appelle « l'industrialisation de la filière ». Mais Matthieu Glachant se montre perplexe : « La part des chantiers de chauffage et d'isolation est passée de 30 % en 2017, avant le lancement des coups de pouce, à 33 % en 2019. Leur nombre a certes augmenté en valeur absolue. Mais la stabilité de leur part dans le total suggère que cette hausse s'inscrit dans une tendance générale. A l'approche de la fin de la P4, le nombre de chantiers, toutes opérations confondues, progresse pour que les obligés atteignent leurs objectifs pluriannuels. » Autre objectif poursuivi : la régulation du marché d'échanges des CEE entre les obligés. « En 2019, quand le prix des CEE a dépassé les 9 € par MWh cumac, la DGEC a lancé de nouveaux coups de pouce, rappelle Marc Gendron, secrétaire général de l'Association Technique Energie Environnement (ATEE). Une offre plus large de CEE aurait dû faire baisser leur prix. Mais cela n'a pas vraiment été le cas. Notre étude menée l'an dernier avec le cabinet de conseil Enea sur l'impact des offres à 1 € sur le marché des CEE a révélé qu'une partie de la valeur a été captée par des “apporteurs d'affaires”. A ce titre, quelques dérives ont été observées, ce qui a conduit à l'interdiction de la prospection commerciale par téléphone pour les opérations de rénovation énergétique. De leur côté, les artisans n'ont pas augmenté leurs tarifs, ils ont joué le jeu. » Les offres à 1 € ont fait entrer sur le marché des fraudeurs, des entreprises qui comptent plus de commerciaux que d'artisans et réalisent des opérations de médiocre qualité. « L'arrêt des bonifications pour certains travaux est une mauvaise nouvelle pour les nombreux professionnels honnêtes du secteur, qui payent pour les pratiques d'artisans véreux qui ont profité du dispositif », estime Nicolas Moulin, fondateur de PrimesEnergie. fr.

Sanctions renforcées. Durant la P5, la DGEC compte faire le tri en renforçant les contrôles sur site. « En 2020, nous tablons sur 4 000 chantiers, et nous aimerions en contrôler 10 % à terme », prévient Olivier David, chef de service à la DGEC. Une menace à prendre au sérieux puisque les sanctions peuvent être lourdes. Le 7 octobre dernier, l'administration a, par exemple, annulé 1,1 TWh cumac de Bolloré Energy et infligé une amende d'un peu plus de 1 M€. « Les sanctions pécuniaires continueront à être lourdes, et elles le seront même de plus en plus », poursuit Olivier David.

Puisque ce sont les obligés qui sont visés par la DGEC, ces derniers renvoient la balle vers les artisans. « Il nous paraît important de responsabiliser davantage la filière travaux », estime Stéphanie Roger-Selwan. Car pour Christophe Barthelemy, avocat associé partner du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, « nombre d'entre eux n'ont pas la taille d'EDF et ce qu'il leur est demandé n'a rien à voir avec leur métier de base. Ils sont donc obligés de recourir à des tiers dont ils ne savent ni contrôler la pratique ni la qualité d'intervention. » Pour rassurer les obligés, des intermédiaires développent des offres « tout inclus » à destination de leur réseau d'artisans partenaires. A l'exemple de Femat, un distributeur spécialisé en matériaux et solutions d'écoconstruction. « Nous les accompagnerons de la fourniture du matériau jusqu'au financement du projet de rénovation », explique Florian Brunet-Lecomte, président et cofondateur de l'entreprise.

Une démarche qui fait grincer des dents les fédérations professionnelles. « Parfois, les prix sont encadrés, mais d'autres fois, matériaux et fournitures sont imposés à l'artisan. Or, chaque chantier de rénovation est unique ! Le choix des matériaux et les gestes réalisés dépendent de la typologie du bâtiment, des besoins des clients… Ces offres marketées ne vont pas toujours dans le sens de la qualité », déplore-t-on à la FFB.

Pousser les rénovations globales. Pour améliorer la qualité, et donc éviter que des CEE ne soient annulés, Marc Gendron a la solution : « Pousser, en complément des travaux par lot, les rénovations globales en épaulant les ménages dans les différentes phases de leur chantier. Cela générerait des coûts supplémentaires (études thermiques, suivi de chantier) que les CEE doivent pouvoir financer. Ce rôle d'accompagnement peut être endossé par un conseiller « Faire » dans le cadre du programme Sare, mais aussi par un architecte, un bureau d'études ou un groupement d'artisans. » Un conseil qui tombe à pic, puisque les coups de pouce dédiés à la rénovation globale dans le logement individuel et collectif sont prolongés. Alors que la construction de logements est à la peine, les CEE pourraient donc permettre à certaines professions de tenir bon jusqu'à l'embellie.

(1) Cumac est la contraction de « cumulés » (au cours des années suivant la réalisation d'opérations), et « actualisés » (chaque année suivant la première année de chantier).
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