Degré de précision de l'objet d'un marché dans l'avis d'appel de candidatures

CONCLUSIONS DE CATHERINE BERGEAL, COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT DEPARTEMENT DE PARIS - LECTURE DU 29 DECEMBRE 1997

1. L'affaire qui vient d'être appelée soulève une question qui n'a donné lieu qu'à peu de jurisprudence : elle est de savoir quel est le degré de précision que doit comporter l'objet du marché dans la publication d'un avis d'appel à candidature préalable à la conclusion d'un marché de maîtrise d'oeuvre.

Les faits sont les suivants : En décembre 1992, le département de paris a conclu un marché de maîtrise d'oeuvre d'un montant de 2 668 711 F avec le groupement Casanova-séchaud Bossuyt Ledoit CSBL pour la modernisation et la restructuration du lycée collège Lavoisier. Le préfet de Paris, après avoir demandé des documents complémentaires, a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation du marché en raison de deux irrégularités de procédure : absence ou insuffisance de publication de l'avis d'appel d'offres de candidatures et irrégularité de la composition de la commission d'appel d'offres. Le tap a annulé le 22 octobre 1993 le marché litigieux pour violation des obligations légales de publicité.

Le département de Paris fait régulièrement appel ; vous êtes compétent pour en connaître, compte tenu de la date d'enregistrement de son recours.

2. Vous devrez en premier lieu, écarter les deux moyens dirigés contre la régularité du jugement.

Il ressort tout d'abord de l'examen de la minute du jugement attaqué que celui contient, contrairement à ce que soutient le département, dans ses visas l'analyse des mémoires des parties ; le moyen tiré de ce que le tribunal aurait omis d'en viser certains, manque donc en fait.

Il ressort ensuite des pièces du dossier que le marché signé le 22 décembre 1992 avait été reçu en préfecture le 28 décembre. Le 25 janvier 1993, dans le délai de deux mois fixé par l'article 3 de la loi du 2 mars 1982, le préfet a demandé de compléter cette transmission par l'envoi du règlement de la consultation, de l'avis d'appel de candidatures de l'avis d'attribution des pièces mentionnant les noms et qualité des membres ayant participé à la réunion de la commission d'appel d'offres du 24 octobre 1991, les pièces attestant la notification du contrat et des pièces annexes annoncées à l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières.

Contrairement à ce que soutient le département de Paris, ces pièces étaient nécessaires à l'exercice du contrôle : le délai de deux mois n'a commencé à courir qu'à dater de leur réception le 15 mars 1993, cf. votre décision 31 mars 1989 Cne de Septèmes les vallons p 102. Le déféré présenté le 12 mai 1993 au tribunal n'était donc pas tardif.

3. Sur le fond, le département de Paris soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Paris la publicité des avis d'appel à candidature a été suffisante.

Le marché litigieux est un marché de maîtrise d'oeuvre soumis aux articles 314, 314 bis et 314 ter du CMP dans leur rédaction issue des décrets du 14 mars 1986 et du 6 mai 1988 qui renvoient aux articles 108, 108 bis et 108 ter pour les marchés d'Etat. Le texte applicable est celui antérieur au décret du 15 décembre 1992, qui n'est applicable qu'aux marchés dont la procédure de passation sera lancée un an après la date de publication au Journal officiel.

Le litige devant le tribunal administratif de Paris a d'abord porté sur l'obligation de la publicité en elle-même : l'article 38 du CMP impose la publication de l'avis d'appel à la concurrence dans le bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) ou dans une publication habilitée à recevoir les annonces légales. Un décret du 6 mai 1988 précise que pour les marchés supérieurs à 900 000 F, les avis doivent être publiés au BOAMP. Il a été jugé à plusieurs reprises que l'omission d'une telle publicité entachait d'illégalité le marché, 19 février 1988 Commissaire de la république de Seine St Denis cf 26 septembre 1994 commune de pont à marq no 126987. Or le département de Paris n'avait pu prouver qu'une publication au bulletin municipal officiel de la ville de Paris (BMO) le 20 septembre 1991, ce qui était assurément insuffisant. Au cours de l'instruction devant le tribunal toutefois, le département a pu prouver que la publicité avait été bien été faite dans le BOAMP.

Le préfet a alors soutenu et le tribunal a accueilli ce moyen que cette publicité était insuffisante, car l'objet du marché n'y était pas suffisamment désigné.

Aux termes de l'article 108 ter du CMP l'avis d'appel de candidatures indique notamment :

- l'objet du marché

- le contenu de la mission qui sera confiée au titulaire

- les justifications à produire quant aux qualités et capacités des candidats

- la date d'envoi de l'avis d'appel à candidatures à la publication ou au bulletin officiel

- la date limite de réception des candidatures.

En l'espèce l'objet du marché, tel qu'il est paru dans le BOAMP et le BMO était le suivant :

«Etudes et réalisations d'opérations de restructuration, d'extension ou de construction de divers équipements scolaires sociaux sportifs culturels ou bâtiments administratifs, susceptibles d'être engagés au cours du 4e trimestre 1991»

Nous rappelons que le marché litigieux a été signé pour la seule modernisation et restructuration du lycée collège Lavoisier. Dès lors qu'il s'agissait de la rénovation d'un bâtiment existant, le département de Paris n'était pas tenu de mentionner dans l'avis d'appel de candidature, contrairement à ce que soutient le préfet, sur le fondement d'un arrêté du 28 novembre 1982 l'indication sommaire des prestations qui étaient à fournir. Il résulte en effet des articles 108 ter et bis du CMP, que la mention des prestations à fournir n'est pas obligatoire pour les avis d'appels à candidature qui concernent soit des marchés inférieurs à 900 000 F, soit des marchés de maîtrise d'oeuvre relatif à la réutilisation ou la réhabilitation d'ouvrages existants, soit encore des marchés relatifs à des ouvrages expérimentaux.

Mais même s'il n'avait pas à préciser les prestations à fournir, l'objet du marché a t'il été suffisamment défini ?

Il n'est pas contestable en effet, que ce marché entrait dans le champ défini par l'avis d'appel à la concurrence, mais compte tenu de l'ampleur de ce champ, n'importe quel marché du département n'y serait-il pas rentré ?

Il ne fait pas de doutes que serait irrégulier un marché dont l'objet ne correspondrait en rien à celui annoncé dans l'avis d'appel à candidatures : on considérerait alors qu'il n'y a pas eu publicité du marché conclu.

Mais jusqu'où peut-on exiger la précision d'un avis d'appel à concurrence dans un marché de maîtrise d'oeuvre, en particulier lorsque la collectivité est dispensée de préciser sommairement les prestations à fournir ? Dans la pratique, et tel a été vraisemblablement le cas ici, les collectivités publiques qui passent un grand nombre de marchés de maîtrise d'oeuvre font un avis d'appel à candidatures global pour un ensemble de marchés sur une période donnée. L'objet du marché est dans ce cas nécessairement assez englobant : elles reçoivent alors un grand nombre de candidatures - en l'espèce, le département en avait reçu 105 - entre lesquelles elles font leur choix à mesure des besoins des différents marchés qu'elles doivent conclure sur la période déterminée.

Qu'un avis d'appel à concurrence puisse ainsi conduire à la conclusion de plusieurs marchés ne nous paraît pas a priori contraire au CMP. Il ne faut pas toutefois qu'on en vienne à la situation extrême où la publication automatique et périodique d'avis d'appel à candidatures dont l'objet serait tous travaux susceptibles d'être engagés sur une période définie permettrait à la collectivité de se constituer un stock de cocontractants potentiels et ainsi, à tout moment de négocier des marchés dont le projet n'existait même pas lorsque l'avis d'appel a été lancé.

Or tel nous parait bien être le cas en l'espèce : l'objet du marché tel qu'il figure dans l'avis d'appel à candidatures couvre tous les cas d'intervention : restructuration, extension ou construction sur tous les bâtiments possibles appartenant au département, puisqu'il vise tous les bâtiments administratifs.

On aurait pu peut-être admettre un objet limité à la rénovation et à la restructuration des collèges, qui aurait permis de passer autant de marchés que de collèges. Accepter que l'objet du marché consiste simplement à énoncer que la collectivité s'apprête à faire des travaux au cours du quatrième trimestre 1991 est vider de son sens l'obligation de publicité, dès lors qu'il suffirait pour la remplir de publier à intervalles réguliers une annonce qui servirait de caution à tous les marchés à venir. Il nous parait à cet égard assez significatif que le département de Paris ait dans un premier temps cru qu'il n'avait pas publié au BOAMP l'annonce correspondant à ce marché.

L'objet du marché, s'agissant d'un appel à candidatures pour une maîtrise d'oeuvre peut certes être indiqué de manière sommaire, dans les cas mentionnés à l'article 108 bis du CMP où la compétition entre les candidats ne porte que sur l'examen de leurs compétences, des moyens dont ils disposent et de leurs références et non sur la présentation de prestations.

Il doit être toutefois indiqué avec une précision suffisante pour permettre aux concurrents de déterminer à tout le moins s'ils sont intéressés par le marché, s'il entre dans leur domaine de compétence et s'ils peuvent concourir avec des chances de succès.

Compte tenu de l'imprécision de la description de l'objet du marché et de la différence substantielle entre l'objet ainsi décrit et celui du marché effectivement signé, l'obligation de publicité n'a pas, en l'espèce, été respectée par le département de Paris. Nous vous proposons donc de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris.

4. Si vous ne nous suivez pas et estimez que dès lors que l'objet du marché signé entrait dans la définition vague de l'avis d'appel à concurrence, les obligations de publicité doivent être considérées comme ayant été respectées, vous devrez examiner le second moyen présenté par le préfet devant le tribunal.

Le préfet soutient que la composition de la commission d'appel d'offres était irrégulière dès lors qu'elle s'est réunie hors de la présence de deux membres au moins de l'assemblée délibérante. Contrairement à ce que soutient le préfet, les pièces du dossier établissent que le directeur départemental de la concurrence et des fraudes qui siège avec voix consultative avait bien été convoqué. Si seuls 6 des 9 membres de la commission ont siégé, aucun texte n'impose que l'ensemble des membres soit présent, et il suffit que le quorum soit atteint pour la procédure soit régulière : par une décision du 30 septembre 1996 Préfet de la Seine et Marne à publier aux tables, vous avez précisé que ce quorum était de la moitié des membres à voix délibérative. Le moyen ne peut qu'être dès lors rejeté.

Mais pour le motif que nous avons exposé, nous concluons :

- au rejet de la requête du département de Paris.

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