Interview

« De nombreux progrès restent à faire », Philippe Ledenvic, président de l'Autorité environnementale (Ae)

Environnement -

La qualité des études d'impact des projets s'améliore globalement, à l'exception de la question des émissions de gaz à effet de serre.

 

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Philippe Ledenvic, président de l'Autorité environnementale (Ae)

Comment gérez-vous la crise sanitaire actuelle ?

L'Ae continue à fonctionner selon son règlement intérieur et à instruire les décisions au cas par cas de façon dématérialisée. La délibération des avis, elle, a lieu, pour la première fois, par visioconférence. Les visites sur site ont cessé, alors qu'elles sont importantes pour rendre des avis complets et précis.

L'Ae a fêté ses dix ans l'année dernière. Quel bilan pouvez-vous tirer ?

Globalement, en une décennie et un millier d'avis rendus, la qualité des études d'impact s'est nettement améliorée, même s'il reste encore de nombreux progrès à faire.

Aujourd'hui, grâce notamment aux avis que nous rendons tant pour les projets nationaux que pour les opérations locales, une grande majorité des maîtres d'ouvrage ont à cœur de réaliser des projets qui ont du sens et de faire de bonnes évaluations environnementales.

Qui sont les bons élèves ?

De façon générale, et même si le nombre de dossiers est limité, les évaluations environnementales des projets nucléaires sont de bonne qualité. Sur ce type de sujets sensibles, on sent que leurs initiateurs font leur possible pour éviter d'être critiquables par la suite. Au-delà des catégories de projets, c'est souvent un maître d'ouvrage particulier qui s'attache à produire une bonne évaluation. En fin d'année dernière par exemple, nous avons rendu un avis sur le projet du canal Seine-Nord Europe dont le dossier était remarquable s'agissant de l'analyse de l'impact sur les zones humides.

Le maître d'ouvrage a pleinement utilisé les meilleures méthodes connues pour aborder cette question, particulièrement importante sur les projets fluviaux.

Et les mauvais ?

Sans aucun doute, les études d'impact des projets routiers et autoroutiers. Elles ne sont pas satisfaisantes et ne s'améliorent pas. Certaines sont même parfois de moins bonne qualité par rapport à celles d'il y a quelques années, en particulier sur la question des gaz à effet de serre et sur la qualité de l'air. Même constat pour les évaluations des plans et programmes, notamment des documents d'urbanisme ou des Sraddet [schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, NDLR]. La technique et la méthodologie d'évaluation de ces dossiers sont, sauf exception, très mal maîtrisées par les bureaux d'études.

Quel regard portez-vous sur le projet de décret réformant l'Ae qui donne aux préfets de région compétence pour se prononcer sur l'opportunité de soumettre ou non un projet à évaluation environnementale ?

Avant tout, il faut rappeler que le projet reste encore soumis à l'examen du Conseil d'Etat et que rien n'est figé. Dès lors qu'il existait en France des autorités environnementales - Ae et missions régionales d'Ae, dites MRAe - objectives [seule condition imposée par le droit européen, NDLR], le moindre risque eût été de confier les décisions au cas par cas aux MRAe. Le gouvernement a souhaité maintenir cette compétence aux préfets de région qui, dans les faits, prennent déjà ce type de décisions. Pourquoi pas, mais encore faut-il que le décret définisse précisément la notion de conflit d'intérêt pour sécuriser le dispositif. Se pose aussi une question de fond : le processus d'examen au cas par cas est là pour s'assurer que, lorsqu'un projet est susceptible d'avoir des incidences sur l'environnement, une étude d'impact est réalisée.

Je ne fais aucun procès d'intention aux préfets mais plusieurs décisions d'exonération d'évaluation sont prises avec des motivations environnementales incomplètes, probablement pour réduire les délais d'instruction ou échapper aux critiques du public. Ce n'est heureusement pas systématique mais, en l'état, l'objectivité de ces décisions n'est pas garantie.

« Il y a un vrai risque à vouloir conduire des procédures trop vite. »

L'Ae est parfois considérée comme un obstacle à la bonne conduite des projets. Que répondez-vous ?

Une grande majorité des maîtres d'ouvrage que nous voyons dans le cadre de l'instruction des dossiers ne considère pas nos avis comme un frein à leurs projets. Au contraire, cela leur apporte un regard complémentaire pour leur permettre de prendre conscience des défauts de leur opération, et éventuellement de l'améliorer. Mais effectivement, il est encore très difficile de faire progresser les mentalités. Il y a un vrai risque à vouloir conduire des procédures trop vite.

On peut passer à côté de choses importantes ou se mettre à dos le public simplement par manque d'explication. Nous essayons de contribuer à une bonne information de tous.

Vos avis sont-ils suffisamment pris en compte par les maîtres d'ouvrage et les autorités décisionnaires ?

C'est très variable. Sur certains projets, comme celui du contournement ouest de Strasbourg, l'avis de l'Ae de février 2018 avait pointé un communiqué du gouvernement indiquant que l'Etat délivrerait l'autorisation environnementale avant que notre avis soit rendu, et donc avant l'enquête publique, ce qui laissait peu de doutes sur les suites qui leur seraient données. Sur les projets liés à la nouvelle route du Littoral à La Réunion, nous avions dès 2011 déjà souligné le manque de matériaux et les impacts liés à leur approvisionnement. Si cet avis avait été pris au sérieux à l'époque, cette problématique ne serait peut-être plus d'actualité, alors qu'elle l'est toujours près de dix ans après. La perte de temps n'est pas du fait de l'Ae ! Mais désormais, sur ce dossier, l'Etat semble être attentif à nos avis.

Vous venez de remettre votre rapport annuel d'activité. Quels sont les principaux points à retenir ?

Sur le volume tout d'abord, nous avons rendu 45 avis sur les plans et programmes, contre une dizaine les années passées, et 78 sur les projets. Nous avons notamment rendu nos premiers avis sur les Sraddet au sujet desquels nous déplorons le manque de caractère prescriptif. Certains sont même moins complets que les schémas régionaux climat-air-énergie qui les précédaient. Autre tendance en 2019, les études d'impact des ZAC olympiques pour 2024.

Le travail effectué est rigoureux, en particulier le projet situé autour du cluster des médias situé sur les communes de Dugny, du Bourget et de la Courneuve (Seine-Saint-Denis). Le maître d'ouvrage, la Solidéo, a essayé de préserver et de valoriser pleinement la biodiversité dans ce secteur.

Globalement, les grands projets d'aménagement urbain portés par les métropoles semblent être très attentifs aux impacts environnementaux.

Un projet pourrait-il être refusé s'il s'avérait contraire à l'accord de Paris sur le climat ?

Je ne saurais le prédire. Mais l'Ae a rendu des avis sur des projets d'extension d'aéroport en 2019 : la question de leur compatibilité avec les engagements de la France est systématiquement soulevée. Les maîtres d'ouvrage doivent apprendre à réaliser des vrais bilans carbone et présenter toutes les options et mesures à prendre pour réduire les émissions en toute transparence. Pour l'instant, le silence des études d'impact sur ce point est assourdissant !

Sous couvert de simplification des procédures, le projet de loi Asap réduit le périmètre des enquêtes publiques. La démocratie de proximité est-elle menacée ?

Sans utiliser ces termes, l'Ae constate que les réformes récentes (loi Energie-Climat) et à venir réduiront significativement le champ de la participation du public. Elles constituent un retour en arrière par rapport à des avancées environnementales, les lois Grenelle pour les plus récentes, mais aussi celles votées entre les années 1970 et 1990.

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