Décryptage

Covid-19 et urbanisme : ce que contient la nouvelle ordonnance « délais »

Une nouvelle ordonnance portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie a été publiée ce 16 avril 2020 au « Journal officiel ». Son objectif : relancer rapidement l’activité économique du secteur de la construction une fois l’état d’urgence sanitaire levé. Pour y parvenir, elle active plusieurs leviers dont le raccourcissement des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme et des délais de recours contentieux.

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Délais de recours
L'ordonnance du 15 avril raccourcit les délais d'instruction et de recours contre les autorisations d'urbanisme.

Dès la parution de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, dite « ordonnance délais » qui traitait de façon identique bon nombre d’actes administratifs, les acteurs de l’immobilier et du BTP se sont rapidement émus de l’inadéquation des dispositifs mis en œuvre avec la nécessité de relancer rapidement ce secteur essentiel, qui représente 11 % du PIB. L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 répond à leurs inquiétudes et adapte l’ordonnance délais aux spécificités de l’urbanisme.

Suppression de la période tampon

Elle modifie tout d’abord la durée de la « période juridiquement protégée » et fait coïncider son terme avec celui de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 mai, en supprimant la période-tampon d’un mois. Cette suppression vaut pour l’instruction des autorisations d'urbanisme ou encore les décisions de préemption et les recours contre ces autorisations ou décisions. Rappelons que l’ordonnance du 25 mars suspendait l’instruction des autorisations administratives jusqu’à l’expiration de la période juridiquement protégée prévue un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juin 2020. Désormais, les délais liés à l’instruction des dossiers de permis de construire et d’aménager, des déclarations préalables, des certificats d'urbanisme ainsi que les procédures de récolement recommenceront à courir le 25 mai, pour le délai qui restait au 12 mars (art. 8). Cette disposition vaut également pour les délais impartis aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, aux services, autorités ou commissions, devant émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l'instruction d'une demande ou d'une déclaration.

Instruction des dossiers toujours possible

Un certain nombre de difficultés n’ont toutefois pas été résolues par cette nouvelle ordonnance. En premier lieu, il aurait été appréciable qu’elle rappelle clairement que cette suspension n’interdit nullement aux collectivités d’instruire les demandes d’autorisations d’urbanisme, ni même de les délivrer, si elles disposent des moyens pour instruire la demande de façon régulière. Cela était pourtant possible en précisant, comme il a été fait à l’article 2, que cette disposition avait un caractère interprétatif. Une circulaire sur ce point serait la bienvenue.

Participations du public par voie électronique impossibles…

En second lieu, n’est par ailleurs pas prévue la possibilité de poursuivre, voire d’engager les participations du public par voie électronique pour les projets qui y sont soumis, comme les permis de construire ou d’aménager des projets soumis à évaluation environnementale au cas par cas. Bien au contraire, la nouvelle ordonnance prévoit que les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu’à l’expiration d’une période de sept jours suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (art. 5). De surcroît, il conviendra pour les autorités organisatrices, d’adapter le cas échéant les modalités de reprise de ces consultations, ce qui sera inévitable dans bon nombre de cas. Il n’apparaît donc pas que cette modalité d’instruction puisse être volontairement poursuivie pendant la période d’urgence sanitaire.

…sauf pour les JO 2024

Seules échappent à cette suspension les participations par voie électronique relatives à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui, selon le rapport accompagnant l’ordonnance « apparaissent compatibles avec l'état d'urgence sanitaire ». On comprend mal dès lors, pourquoi les procédures dématérialisées des autres projets ne bénéficient pas de la même interprétation.

Il aurait également été opportun que la dérogation prévue par l’ordonnance du 25 mars pour les enquêtes publiques relatives à des projets présentant cumulativement un intérêt national et un caractère d’urgence, qui peuvent être poursuivies ou organisées pendant cette période par voie dématérialisée soit étendue à tout projet immobilier ou d’aménagement.

Enfin, en limitant cette dérogation aux seules instructions des autorisations d’urbanisme, la nouvelle ordonnance fait l’impasse sur les autorisations requises au titre du Code de l’environnement, tout autant nécessaires à la mise en œuvre des projets (autorisations environnementales uniques, déclaration ICPE ou au titre de la loi sur l’eau, …) qui voient toujours la reprise de l’instruction reportée à la fin de la période juridiquement protégée originelle (état d’urgence sanitaire + 1 mois). Avec un bémol toutefois : lorsque l’avis de l’Autorité environnementale et des collectivités et leurs groupements aura été requis dans le cadre de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme, ladite instruction sera soumise au nouveau délai, soit le 24 mai.

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S’agissant des recours contentieux et des déférés préfectoraux, en plus de la suppression du délai tampon d’un mois, la nouvelle ordonnance substitue à la prorogation initiale fixée par l’ordonnance du 25 mars, une simple suspension des délais (art. 8). Pour rappel, la prorogation avait fait l’objet de nombreuses critiques de la part des acteurs de l’immobilier, dans la mesure où elle reportait d’autant (trois mois après la fin de l'état d'urgence) la purge des autorisations administratives, nécessaire pour lever les conditions suspensives dans les actes d’acquisition, ou pour mobiliser les financements des projets. Concrètement, à compter du 24 mai, les délais de recours contre les autorisations d’urbanisme recommenceront à courir, mais uniquement pour le reliquat qui restait au 12 mars 2020, « tout en sanctuarisant un minimum de sept jours pour permettre aux justiciables de saisir la juridiction », précise le rapport accompagnant l’ordonnance.

Quid de l’affichage du permis sur le terrain pendant le confinement?

A cet égard, l’ordonnance fait l’impasse sur un aspect essentiel du régime des autorisations d’urbanisme, dont la purge du délai de forclusion est subordonnée à la preuve d’un affichage de l’autorisation sur le terrain d’emprise du projet et visible depuis la voie publique pendant une période continue de deux mois (C. urb., art. R. 600-2). Or, par solution prétorienne, il est possible que le juge considère que l’affichage n’a pas pu remplir son office à cause du confinement : certes, le panneau est en place, mais le public n’est plus dans la rue pour le constater.

En conséquence, si l’affichage d’un permis de construire a eu lieu pendant le confinement, soit entre le 17 mars à 12h00 et le 10 mai inclus, une lecture stricte dudit article R. 600-2 pourrait conduire à considérer qu’il serait nécessaire de le recommencer à compter de cette date pour une durée complète de deux mois.

Il sera donc a minima primordial pour le titulaire de l’autorisation de faire constater dès la levée du confinement, dont il faut espérer que les modalités seront suffisantes, que cette formalité a bien été effectuée, et veiller à ce que l’affichage soit maintenu jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois. Cela reporterait de facto la purge du délai de recours au 26 juillet 2020, malgré les dispositions dérogatoires de la nouvelle ordonnance. Pour prévenir cette situation et sécuriser le dispositif qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi et pourrait donner lieu à des interprétations divergentes des juridictions du fond, un décret précisant que l’affichage doit être regardé comme « continu », malgré le confinement, serait le bienvenu.

Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de Covid-19

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