Le négoce va-t-il revenir aux vaches maigres des années 1990 ? Après plus de dix ans de boum ininterrompu, la profession marque le pas. « Depuis trente-trois ans que je dirige mon entreprise, c’est la première fois que je me heurte à de telles difficultés pour jauger l’exercice à venir ! », s’alarme Géraud Spire, adhérent Gedimat et à la tête de la Confédération du négoce bois-matériaux (CNBM). Quelle que soit la spécialité, quelle que soit la région, le constat – sur le terrain ou dans les fédérations du négoce – est à peu près le même. « Si le pôle Industrie (35 % de l’activité en quofi et à l’étale sur 2008) a permis de limiter la perte de CA, les adhérents ont une visibilité faible dès la fin du premier semestre », admet Jean-Paul Maurin, président de la Confédération de la quincaillerie (CFQ). D’ailleurs, la FFB a calculé qu’en 2009, le BTP pourrait perdre jusqu’à 45 000 emplois. Entre 20 000 et 30 000 rien que dans le Bâtiment.
Bâtiment : jusqu’à - 6,5 % en 2009
Alors que le neuf était déjà passé à l’orange fin 2007, « l’an dernier, tous les voyants du secteur (140,5 Md€ HT) ont viré au rouge en moins de six mois, rappelle Hervé Piauley, directeur des études chez Développement Construction. Si l’Hexagone est moins touché que d’autres pays comme les États-Unis ou l’Espagne, la filière a connu un atterissage brutal ». En recul de 15,7 %, les mises en chantiers résidentiels sont revenues à leur niveau de 2004. Avec un repli plus marqué dans le collectif (- 17,2 %) que l’individuel (- 14,3 %). Du coup, selon la Capeb, l’activité artisanale a baissé de 2 % en volume (- 3 % en neuf et - 1,5 % pour l’entretien-rénovation). Une première depuis 2003 !
En toute logique, Jean Lardin, le patron des artisans, juge que « 2009 risque d’être une année très compliquée ». Les permis de construire de logements ont chuté de - 16,7 % en un an, les transactions dans l’ancien de 700 000 à 560 000 et la production de crédits immobiliers de 20 %. Bonne nouvelle ? « La forte dégradation du neuf (- 11 à - 12 % cette année) se traduit par un rééquilibrage avec l’entretien-rénovation ; à 50/50 d’ici à 2010. Un point plutôt favorable au négoce », décrypte Hervé Piauley. En second œuvre/finitions, Jean-François Dehée, présidant la Fédération du négoce décoration (FND), pense même que « les agences travaillant avec des entreprises jusqu’à 30 brosses devraient mieux s’en sortir ; une majorité d’affaires se traitant en rénovation ». Il mise aussi sur la sortie de nouveaux complexes d’isolation thermique par l’extérieur. Hubert Stourm, son alter ego du négoce électricité (la FGME), juge que « le diagnostic de sécurité électrique – en vigueur depuis le 1er janvier – est un sérieux “plus” à saisir… sans que l’on puisse en mesurer, pour l’instant, l’impact ».
« Préparer l’après-crise ! »
De guerre lasse ? Selon lui, « la déflation sur les métaux non ferreux (environ - 50 % sur le cuivre) a pénalisé les résultats de la filière qui a fini 2008 sur un gain de CA inférieur à 2 % ». À tel point qu’en décembre, Rexel a dû exposer aux syndicats un projet de plan de sauvegarde de l’emploi. Dans le négoce, c’était le second grand plan de réorganisation de l’année après celui présenté à l’été par le groupe Wolseley. Dans le secteur bois aussi, la feuille de route devient difficile à lire. « Si le début 2008 était encore correct, notre filière, tout comme les matériaux, a vu sa croissance changer de braquet pour clôturer l’exercice en négatif. Hormis les menuiseries portées par la NRT, tous les segments sont affectés. Dès le quatrième trimestre, les défaillances d’entreprises chez nos clients ont grimpé de près d’un tiers », note Marc Chambost, nouveau président de la Fédération du négoce bois (FFNB). Pis. L’onde de choc des impayés et retards de paiement se ressentirait déjà chez des grossistes. Chez l’assureur-crédit Euler-Hermes Sfac, Laurent Bonhoure annonce que « les défaillances dans le négoce bois-matériaux ont doublé au second semestre. À raison de 23 par mois contre un rythme mensuel de 5 à 12 entre 1994 et fin 2007 ». Une situation amplifiée par « la radicalisation des assureurs-crédit sur la décote des garanties clients. Jusqu’à plus de 50 ! », déplore Géraud Spire. À l’automne pourtant, le complément d’assurance-crédit public (Cap) a été installé : une garantie de continuité, par l’Etat, de l’assurance-crédit. Même les banques, via leur fédération, viennent de s’engager à « prendre plus de risques [vis-à-vis de leurs clients] en temps de crise ». En n’invoquant plus le recours au soutien abusif pour refuser un crédit… « sauf cas exceptionnel ».
Reste que, comme de nombreux distributeurs, Jean-François Dehée appelle « dès que possible » un second plan de relance. Tout en soulignant, à l’instar de Géraud Spire, que « les 26 Md€ d’aides ont permis de redoper la commande publique des collectivités, notamment des chantiers Anru qui tardaient à démarrer ». Autre aubaine ? La montée en charge annoncée des partenariats public-privé, la loi Hôpital 2012 ou encore celle sur l’accessibilité. En attendant, la profession fait le dos rond. Adhérent breton Gedimat, Alain Guenée a, lui, réduit « momentanément » de moitié son budget sponsoring local, « optimise la rotation des stocks, [est] plus offensif sur les achats, anticipe encore mieux les tournées ». Bref, il renforce sa vigilance. « Il faut affiner nos tableaux de bord mensuels et en extraire des ratios parlant aux équipes », suggère Marc Chambost. Avant de laisser entendre que « dès mars-avril », des affaires pourraient déjà être à racheter.
Malgré tout, le négoce ne renonce pas à sa stratégie. Si les uns craignent un chahut sur les prix en rayons, d’autres peaufinent concepts et mix produits liés au Grenelle. Pour « être fin prêts quand la crise sera derrière nous », selon Jacques Chapeau, président de la Fédération du négoce sanitaire-chauffage (Fnas) ; seule filière dont le CA 2008 a dépassé un 4 % soutenu par « l’effet CO2 ». Grâce à quoi ? « Le dynamisme des modèles à condensation (gaz, fioul) et solutions mixtes (PAC en relève de chaudières, ECS solaire…) qui devrait se confirmer sur la première partie de 2009. En ENR, l’activité, amplifiée dès mi-2008, resterait soutenue », analyse-t-il. Un coin de ciel bleu dans un horizon plus sombre ? Or, tandis que la FFB table sur 330 000 logements cette année (- 4,2 %), l’objectif annuel de 500 000 logements s’évapore... momentanément.