« Cela faisait longtemps que nous n’avions plus parlé inflation dans un Congrès HLM. Il faut que nous le fassions pour nous préparer, anticiper et réussir malgré ce contexte incertain », observe Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), le 27 septembre à Lyon à l’occasion du 82e rassemblement annuel du monde HLM.
Tiré par la crise énergétique qui fragilise les quelque 10 millions de locataires HLM, le taux d’inflation de 5,9% sur un an en France (9,1% dans la zone euro) change la donne pour les bailleurs sociaux.
D’abord pour la capacité de production, dont « les chiffres (…) ne sont pas bons », reconnaît l’ancienne ministre écologiste du Logement. Un peu moins de 105 000 agréments ont été accordés en 2021, alors que l’objectif était fixé à 125 000 unités.
Puis pour la rénovation des 1,8 million de passoires thermiques du parc : « Il nous manque encore les moyens financiers pérennes pour faire face à l’ampleur de la tâche », alerte-t-elle. L’interdiction de louer des habitations étiquetées G est prévue en 2025, en 2028 pour les F et en 2034 pour les E.
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Tensions à venir sur le financement du secteur
La nouvelle politique menée par la Banque centrale européenne (BCE), qui vise à stabiliser la progression des prix autour de 2% dans les 19 pays de la zone euro, risque de crisper le secteur de l’immobilier dans son ensemble. « En remontant les taux directeurs, les banques centrales cherchent à crever toutes les bulles financières qu’elles ont créées ces dix dernières années, note Daniel Cohen, professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure. Elles y parviendront, mais peut-être pas aussi facilement qu’elles le pensent. Des tensions nouvelles dans l’immobilier, notamment sur le financement, pourront apparaître. Et cette lutte contre l’inflation va créer une récession. »
Début septembre, la BCE prévoyait une croissance de 3,1% cette année, mais seulement 0,9% en 2023, contre 2,8% et 2,1% respectivement prévus dans ses projections de juin. Pour 2024, la BCE table sur un PIB en hausse de 1,9%, contre 2,1% précédemment.
Inquiétude sur la remontée des taux d’intérêt
Mais le monde HLM ne doit pas paniquer quant à son financement. « L’augmentation des salaires, des pensions, des dépenses de l’Etat, liés à l’éclairage ou au chauffage des bâtiments publics, peut faire peur au ministre du Budget, rappelle Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat socialiste chargé du Budget. Mais (quand il y a inflation, NDLR) les recettes de la TVA augmentent spontanément, soit quasiment 10Mds€ par an sans rien faire. Les cotisations sociales conduisent aussi à augmenter mécaniquement les recettes de l’Etat (…) Si le phénomène est court, les choses devraient se passer sans encombre. A long terme, cela pourrait devenir un souci pour les finances de l’Etat. »
Sur le terrain, pourtant, les entreprises du bâtiment sont déjà grippées. « Nous observons des abandons d’opérations et des ventes de logements collectifs et de maison individuelles, en chute de -20% à -30% sur un an. La machine ralentit aussi pour les travaux sur l’existant, dans le résidentiel et le non-résidentiel, entre -10% et -15% », relève Bernard Coloos, ancien délégué général adjoint aux affaires économiques financières et internationales de la Fédération française du bâtiment (FFB). L’inquiétude, pour le secteur de la construction, porte surtout sur la hausse des taux d’intérêt. « Plus de 10% et c’est l’effondrement de la filière. Il faudra trois à quatre ans pour se relever comme dans les années 70 », avertit-il.
Les loyers ne suivent pas l’inflation
En 2021, un organisme HLM consacrait en moyenne 37% de ses dépenses aux investissements. L’entretien pesait 8%, les intérêts 6%, l’énergie 5%... « Toutes ces tranches vont évoluer », anticipe Dominique Hoorens, directeur des études de l’USH. Principal inquiétude : le volet énergie pourrait être multiplié par 4 en 2022.
Quid des recettes ? Les loyers représentaient en moyenne 54% du panier. Suivaient les prêts (28%), les charges récupérées (14%) et les subventions (4%). Causé par l’inflation, « un impact de 2 points supplémentaires de l’indice de référence des loyers (IRL) ou du taux du Livret A serait de 3Mds€ de dépenses supplémentaires pour les bailleurs sociaux en année N+1 », assure-t-il.
La trésorerie des quelques 600 organismes HLM va redevenir un sujet de crispation. « Le secteur a beaucoup de dette, doit trouver de la liquidité » pour produire et rénover massivement, ajoute-t-il. Surtout que « la masse des revenus des locataires ne suit pas l’inflation : les plus pauvres entrent dans le parc social, les plus riches en sortent ». D’où cet appel : « Le loyer répond à une politique du logement, souligne Dominique Hoorens. Il faut que l’Etat apporte des aides, notamment pour limiter le taux d’effort des locataires, en relevant les aides personnelles. »
La réforme dite de contemporanéité des aides personnalisées au logement (APL) a entraîné « une baisse généralisée » de 7% du montant versé entre avril 2020 et avril 2021, passant de 265€ à 247 €, selon l’Union professionnelle du logement accompagné (Unafo, 140 000 logements gérés).
Christophe Béchu attendu
A long terme, le monde HLM doit sortir de sa dépendance aux prix énergétiques volatiles, en misant sur le renouvelable. « C’est un moyen de nous protéger de l’inflation », croit Emmanuelle Cosse.
La présidente de l’USH pointe encore la politique du logement du dernier quinquennat : « Pendant 5 ans, l’Etat, qui aurait dû être en soutien de la production et de la rénovation de logements sociaux, n’a eu de cesse de nous rendre la tâche plus difficile en nous obligeant à nous réorganiser, mais surtout en nous privant de capacités financières à agir, au travers de la réduction du loyer de solidarité (RLS) et de la hausse du taux de TVA (…) Nous (les organismes HLM, NDLR) pouvons continuer à faire le dos rond. Mais pour nous faire passer la pilule de la RLS, la solution donnée (par le gouvernement, NDLR) consiste à s’endetter plus, sur 40 ou 50 ans. On peut investir, mais pas seulement avec des prêts. »
La balle est dans le camp du gouvernement. Olivier Klein, le ministre délégué du Logement, passe les trois jours de congrès à Lyon. Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique dont dépend le Logement, est attendu demain, le 28 septembre.