Comment actualiser ou réviser les prix dans les marchés publics de travaux

Voici un guide pratique en quatorze questions/réponses pour bien manier les concepts juridiques et techniques permettant de faire évoluer les prix des contrats en fonction des variations économiques. Et utiliser efficacement le service Indices/index.   

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Ce guide, à jour des dernières évolutions, remplace notre document intitulé "Indices-Index : comment actualiser ou réviser les prix d'un marché" (rédigé par Pierre Boudrand en 2010) devenu obsolète.

Sommaire

1. Pourquoi une révision ou une actualisation des prix dans les marchés publics de travaux ?

2. Qu’est-ce que l’intangibilité des prix ?

3. Existe-t-il des prix provisoires en marché public de travaux ?

4. Qu’est-ce qu’un prix ferme actualisable ?

5. L'actualisation des marchés de travaux est-elle obligatoire ?

6. Comment procéder à l’actualisation du prix d’un marché ?

7. Qu’est-ce qu’un prix révisable ?

8. La révision des marchés de travaux est-elle obligatoire ?

9. Quelles sont les modalités de la révision des prix ?

10. Comment mettre en œuvre la clause de révision des prix en pratique ?

11.  Est-il possible de modifier la clause de révision des prix ou la clause d’actualisation parce qu’inadaptée ou non conforme au Code de la commande publique ?

12. Que faire en cas de refus de l’administration de modifier une clause de révision des prix non conforme au Code la commande publique ou d’en ajouter une lorsque le code l’imposait ?

13. En cas de changement de la structure de l’index, peut-on solliciter une indemnisation ?

14. Quid de la révision des prix dans les marchés de travaux privés ?

1. Pourquoi une révision ou une actualisation des prix dans les marchés publics de travaux ?

Par principe, un prix, qu’il soit unitaire ou forfaitaire, est intangible ou irrévocable. Lors d’une procédure de mise en concurrence, il peut y avoir (sous réserve des règles relatives à la durée de validité des prix) un décalage entre la fixation des prix par l’entrepreneur soumissionnaire, la notification et l’exécution du marché de sorte que les conditions économiques d’élaboration des prix pendant la mise en concurrence ont évolué au moment de la notification du marché et plus encore au moment de l’exécution de la prestation.

Cette évolution économique peut s’expliquer par une évolution du prix des matériaux ou par l’effet d’une augmentation des charges inhérentes à la réalisation des prestations (par exemple, l’évolution du coût de l’énergie liée au transport).

Il existe donc des mécanismes contractuels par lesquels les parties prévoient une possible évolution des prix pour tenir compte de ces différences économiques. Ces mécanismes sont soit « l’actualisation », soit la « révision ».

Le Conseil d’Etat, dans son avis du 15 septembre 2022 n° 405540, expose de manière très didactique qu’« il résulte de l’article L. 2112-6 du Code de la commande publique que les prix ou leurs modalités de fixation et, le cas échéant, leurs modalités d’évolution doivent être définis par le marché. Précisant ces dispositions, les articles R. 2112-7 et suivants de ce code prévoient qu’un marché est, en principe, conclu à prix définitif, ce prix prenant la forme soit d’un prix ferme, invariable pendant la durée du marché sous réserve de son actualisation, lorsque cette forme de prix n’est pas de nature à exposer les parties à des aléas majeurs, soit d’un prix révisable qui peut être modifié pour tenir compte des variations économiques. »

D’autres mécanismes jurisprudentiels ou normatifs peuvent permettre à l’entreprise titulaire d’obtenir une rémunération complémentaire en raison des conditions d’exécution du marché et nonobstant l’intangibilité du marché. Il s’agit notamment (mais non exclusivement) de la notion « d’imprévision ».

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2. Qu’est-ce que l’intangibilité des prix ?

Le prix, en tant qu’élément constitutif du marché public, est fixé par les parties dans le contrat.

Article L. 2112-6 du Code de la commande publique (CCP)

« Le prix ou ses modalités de fixation et, le cas échéant, ses modalités d'évolution sont définis par le marché dans les conditions prévues par voie réglementaire. »

Ce prix est, sauf exception, un prix définitif, c’est-à-dire qu’il ne peut être modifié unilatéralement par l’une ou l’autre partie au contrat. Même l’administration, qui, dans les contrats publics, bénéficie d’un pouvoir de modification unilatérale, ne peut décider de modifier unilatéralement le prix [1]. 

Article R.2112-7 du CCP

« L'Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements concluent, sous réserve des dispositions de la sous-section 3 de la présente section, un marché à prix définitif.»

 Le principe d’un prix définitif, par nature intangible, rencontre une exception, il s’agit des prix provisoires.

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3. Existe-t-il des prix provisoires en marché public de travaux ?

Un prix provisoire est un prix qui n’est pas connu à la date de signature du contrat mais qui sera calculé en application de règles prévues par le contrat.

Article R. 2112-16 du CCP

« Les clauses des marchés conclus à prix provisoires précisent :

1° Les conditions dans lesquelles sera déterminé le prix définitif, dans la limite d'un plafond éventuellement révisé ;

2° L'échéance à laquelle le prix définitif devra être fixé ;

3° Les règles comptables auxquelles le titulaire devra se conformer ;

4° Les vérifications sur pièces et sur place que l'acheteur se réserve d'effectuer sur les éléments techniques et comptables du coût de revient. »

Il s’agit d’une exception, de sorte que le Code de la commande publique limite les cas autorisant la conclusion de prix provisoires.

Article R. 2112-17 du CCP

« L'Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, ne peuvent conclure un marché à prix provisoires que dans les cas suivants :

1° Lorsque, pour des prestations complexes ou faisant appel à une technique nouvelle et présentant soit un caractère d'urgence impérieuse, soit des aléas techniques importants, l'exécution du marché doit commencer alors que la détermination d'un prix initial définitif n'est pas encore possible ;

2° Lorsque les résultats d'une enquête de coût de revient portant sur des prestations comparables commandées au titulaire d'un marché antérieur ne sont pas encore connus ;

3° Lorsque les prix des dernières tranches d'un marché à tranches sont fixés au vu des résultats, non encore connus, d'une enquête de coût de revient portant sur les premières tranches, conclues à prix définitifs ;

4° Lorsque les prix définitifs de prestations comparables ayant fait l'objet de marchés antérieurs sont remis en cause par le candidat pressenti ou par l'acheteur, sous réserve que ce dernier ne dispose pas des éléments techniques ou comptables lui permettant de négocier de nouveaux prix définitifs ;

5° Lorsque les prestations font l'objet d'un partenariat d'innovation ou font appel principalement à des technologies innovantes ou évolutives ne permettant pas de conclure le marché à prix définitif.»

Il existe dans les marchés publics de travaux un mécanisme de prix provisoire qui se rattache au 1° de l’article R. 2112-17 précité : il résulte de l’article 13 du CCAG travaux 2021 relatif aux prestations supplémentaires ou modificatives.

En effet, dans un marché de travaux, il est usuel que des prestations modificatives ou supplémentaires, c’est-à-dire non prévues par les parties, soient commandées à l’entreprise par le maître d’ouvrage. Deux mécanismes étaient théoriquement possibles pour le règlement de ces prestations supplémentaires ou modificatives. Le premier, qui n’a pas été retenu par le pouvoir réglementaire, aurait consisté à rendre obligatoire un accord des parties sur le prix avant exécution de ces prestations. Pour éviter des situations de blocage préjudiciables au projet autant qu’aux parties au contrat, il est donc prévu un mécanisme contractuel de fixation d’un prix provisoire le temps que les parties se mettent d’accord sur un prix définitif ou saisissent le juge d’une réclamation pour trancher ce différend.

Il est à noter que dans le CCAG 2021, le prix provisoire est désormais fixé par le maître d’œuvre avec l’accord du maître d’ouvrage et après consultation du titulaire.

Article 13 du CCAG travaux 2021

« Modalités de fixation des prix des prestations supplémentaires ou modificatives

13.1. Le présent article concerne les prestations supplémentaires ou modificatives qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix.

13.2. Les prix nouveaux peuvent être soit des prix unitaires, soit des prix forfaitaires.

13.3. Dans le cas de travaux réglés sur prix forfaitaires, lorsque des changements sont ordonnés par le maître d'œuvre dans la consistance des travaux, le prix nouveau est réputé tenir compte des charges supplémentaires éventuellement supportées par le titulaire du fait de ces changements, à l'exclusion du préjudice indemnisé, s'il y a lieu, par application de l'article 14.3 ou de l'article 15.1.

S'il existe des décompositions de prix forfaitaires ou des sous-détails de prix unitaires, leurs éléments, notamment les prix d'unité contenus dans les décompositions, sont utilisés pour l'établissement des prix nouveaux.

13.4. L'ordre de service mentionné à l'article 13.1 fixe provisoirement les prix nouveaux retenus pour le règlement des travaux supplémentaires ou modificatifs.

Ces prix provisoires, permettant une juste rémunération du titulaire, sont arrêtés par le maître d'œuvre avec l'accord du maître d'ouvrage, après consultation du titulaire. Ils sont obligatoirement assortis d'un sous-détail, s'il s'agit de prix unitaires, ou d'une décomposition, s'il s'agit de prix forfaitaires, cette décomposition ne comprenant aucun prix d'unité nouveau dans le cas d'un prix forfaitaire pour lequel les changements présents ne portent que sur les quantités de natures d'ouvrage ou d'éléments d'ouvrage.

Commentaires :

L'expression nature d'ouvrage est entendue au sens défini à l'article 16.1 ci-après.

Ces prix sont des prix d'attente qui sont appliqués pour l'établissement des décomptes.

13.5. Pour l'établissement des décomptes concernés, le titulaire est réputé avoir accepté les prix qui ont été fixés par l'ordre de service prévu à l'article 13.1, si, dans le délai de trente jours suivant l'ordre de service qui lui a notifié ces prix, il n'a pas présenté d'observation au maître d'œuvre en indiquant, avec toutes justifications utiles, les prix qu'il propose. En cas de désaccord, le maître d'ouvrage règle provisoirement les sommes qu'il admet.

Lorsque le maître d'ouvrage et le titulaire sont d'accord pour arrêter les prix définitifs, ceux-ci font l'objet d'un avenant, sauf si les prix sont devenus définitifs dans le silence du titulaire en application de l'alinéa précédent.

13.6. Le titulaire n'est pas tenu de se conformer à un ordre de service mentionné à l'article 13.1 lorsque cet ordre de service n'a fait l'objet d'aucune valorisation financière.

Un tel refus d'exécuter opposé par le titulaire n'est toutefois recevable que s'il est notifié par écrit, avec les justifications nécessaires, au maître d'œuvre, dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'ordre de service prescrivant les prestations. Une copie de la lettre de refus est adressée au maître d'ouvrage.»

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4. Qu’est-ce qu’un prix ferme actualisable ?

L'actualisation est une méthode de calcul permettant de revaloriser globalement les prix d'un marché, lorsqu’un délai significatif s'écoule entre l’estimation de prix et le commencement des travaux. Aussi cette revalorisation est définitive, c’est-à-dire qu’elle est appliquée une fois pour toute la durée du marché.

 Article R. 2112-9 du CCP

« Un prix ferme est un prix invariable pendant la durée du marché.

Un marché est conclu à prix ferme, lorsque cette forme de prix n’est pas de nature à exposer les parties à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations.

Le prix ferme est actualisable dans les conditions définies au présent paragraphe. Le prix ainsi actualisé reste ferme pendant toute la période d’exécution des prestations et constitue le prix de règlement.»

Article R. 2112-11 du CCP

« Lorsqu’un marché est conclu à prix ferme en application de l’article R. 2112-10, ses clauses précisent :

1° Que ce prix sera actualisé si un délai supérieur à trois mois s’écoule entre la date à laquelle le soumissionnaire a fixé son prix dans l’offre et la date de début d’exécution des prestations ;

2° Que l’actualisation se fera aux conditions économiques correspondant à une date antérieure de trois mois à la date de début d’exécution des prestations.» 

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5. L'actualisation des marchés de travaux est-elle obligatoire ?

Les prix sont définitifs, et par principe, les prix d’un marché de travaux sont fermes, c’est-à-dire invariables pendant toute la durée du marché. Aussi le Code de la commande publique prévoit que ces marchés doivent être a minima actualisés. Ce n'est que par exception qu'ils sont obligatoirement révisables (même si nous le verrons dans la partie 8 relative aux prix révisables, les exceptions prévues par les articles R. 2112-13 et R. 2112-14 du CCP peuvent être communément invoquées et  l'acheteur peut choisir de se soumettre aux prix révisables).

Article R. 2112-10 du CCP

«Lorsqu’un marché est conclu à prix ferme pour des fournitures ou services autres que courants ou pour des travaux, ses clauses doivent prévoir les modalités d’actualisation de son prix

Le CCAG travaux 2021 apporte une précision importante sur la date de fixation du prix par le soumissionnaire à prendre en compte pour computer le délai de trois mois déclenchant l’actualisation. Dans un appel d’offres ouvert ou restreint, il s’agit de la date de remise des offres. Dans un marché négocié ou passé via un dialogue compétitif, voire un Mapa négocié, la date à prendre en compte est la date de remise de l’offre finale.

Article 9.4.2. du CCAG travaux

« Lorsque les prix sont fermes, ils sont actualisés dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur à la date à laquelle le candidat a fixé son prix dans l’offre. Cette date correspond à la date de remise de l’offre par le titulaire. Lorsque la procédure de passation a donné lieu à une négociation ou un dialogue compétitif, la date à prendre en compte est la date de remise de l’offre finale par le titulaire.

Les prix de chaque tranche optionnelle sont actualisés dans les mêmes conditions.

Le cas des marchés à bons  de commande 

Pour les marchés de travaux à bons de commande, le prix ferme doit obligatoirement être actualisable. Il est à noter que le Guide sur les prix de Bercy de 2023 recommande de prévoir des prix révisables pour les marchés répondant à des besoins continus ou réguliers et conclus pour une ou plusieurs années tels que les accords-cadres à bons de commandes ou à marchés subséquents.

Le cas des  marchés à tranches

 Dans les marchés à tranches, une actualisation est effectuée pour chaque tranche affermie.

Article R. 2112-12 du CCP

«Dans les marchés à tranches, le prix de chaque tranche est actualisable dans les conditions déterminées aux articles R. 2112-10 et R. 2112-11.

Cette actualisation est opérée aux conditions économiques observées à une date antérieure de trois mois au début d’exécution des prestations de la tranche.»

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6. Comment procéder à l’actualisation du prix d’un marché ?

Comme le rappelle le CCAG travaux à l’article 9.4.3., l’actualisation se fait en appliquant des coefficients établis à partir d’un index, d’un indice ou d’une combinaison d’entre eux correspondant à l’objet du marché.

Ils sont définis dans les documents particuliers du marché ou par avenant (voir infra).

La formule mise en œuvre est la suivante :

Prix actualisé = prix initial x (indice ou index à la date de début d’exécution des prestations – 3 mois) / (indice[2] ou index[3] de la date de fixation du prix dans l’offre).

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7. Qu’est-ce qu’un prix révisable ?

Au contraire de l’actualisation, qui ne tient compte des variations économiques qu’une fois au début de l’exécution des prestations, la révision, elle, en tient compte tout au long de l’exécution du marché par l’application périodique d'une formule de révision de prix.

Les parties peuvent choisir de se soumettre volontairement à une clause de révision des prix. En réalité, il s’agit plus d’un souhait du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice auquel le titulaire va adhérer par la remise d’une offre dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence. Les soumissionnaires (ou leurs fédérations) peuvent solliciter en phase de consultation l’insertion d’une clause de révision des prix.

Par ailleurs, le Code de la commande publique prévoit que le marché est conclu à prix révisable lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations.

Article R. 2112-13 du CCP[4]

« Un prix révisable est un prix qui peut être modifié, dans des conditions fixées au présent article, pour tenir compte des variations économiques.

Un marché est conclu à prix révisable dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des prestations. Tel est notamment le cas des marchés ayant pour objet l'achat de matières premières agricoles et alimentaires.

Lorsque le prix est révisable, les clauses du marché fixent la date d'établissement du prix initial, les modalités de calcul de la révision ainsi que la périodicité de sa mise en œuvre. Les modalités de calcul de la révision du prix sont fixées :

1° Soit en fonction d'une référence à partir de laquelle on procède à l'ajustement du prix de la prestation ;

2° Soit par application d'une formule représentative de l'évolution du coût de la prestation. Dans ce cas, la formule de révision ne prend en compte que les différents éléments du coût de la prestation et peut inclure un terme fixe ;

3° Soit en combinant les modalités mentionnées aux 1° et 2°.»

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8. La révision des marchés de travaux est-elle obligatoire ?

L’article R. 2112-13 précité, qui rend obligatoire, dans son alinéa 2, la révision, dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d'exécution des prestations, peut s’appliquer à un marché de travaux.

En outre, les parties sont contraintes de se soumettre à une formule de révision des prix pour les marchés de plus de trois mois mettant en œuvre une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux.

Article R. 2112-14 du CCP

 « Les marchés d'une durée d'exécution supérieure à trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours, conformément aux dispositions de l'article R. 2112-13.

Toutefois, les marchés de fourniture de gaz ou d'électricité peuvent être conclus à prix ferme conformément aux usages de la profession. »

La circulaire « Borne » n° 6374/SG du 29 septembre 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières  précise d’ailleurs que l’obligation de prévoir des prix révisables concerne de nombreux marchés et notamment les marchés de travaux :

« L’article R. 2112-14 précise en outre que, pour les marchés de plus de trois mois qui nécessitent une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, la clause de révision des prix inclut au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. C’est le cas notamment de nombreux marchés de travaux, ainsi que des marchés de transports.»

Reste à apprécier la notion de «part importante de fournitures». La jurisprudence a pu préciser que, lorsque la part de fourniture représente 14 % du montant du marché, on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’une part importante au regard de l’ensemble des travaux incombant au titulaire (CAA Marseille, 16 février 2015, «Société Cometra», n° 13MA01558 ). 

Plus généralement, les recommandations de la Direction des affaires juridiques tirées du Guide sur les prix dans les marchés publics incitent les acheteurs publics à insérer une clause de révision de prix même dans le cadre de marchés publics pour lesquels une clause de révision des prix n’est pas obligatoire.

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9. Quelles sont les modalités de la révision des prix ?

Les modalités de révision des prix sont fixées par principe par les pièces du marché, et notamment dans le cahier des clauses administratives particulières du marché (CCAP) ou l’acte d’engagement.

C’est d’ailleurs la première condition d’application d’une clause de révision des prix. Il est nécessaire que le contrat prévoie cette clause. Généralement, la clause est rédigée par l’acheteur, en vue de préserver l’équilibre économique du marché.

Plus encore, l’article R. 2112-13 du CCP dispose que pour que la révision du prix soit régulière, il faut que « les clauses du marché fixent la date d’établissement du prix initial, les modalités de calcul de la révision, ainsi que la périodicité de sa mise en œuvre ».

La périodicité de révision doit idéalement suivre les prévisions de fluctuations des prix de l’activité concernée.

Différentes hypothèses peuvent alors être envisagées, selon que le CCAP comporte ou non une clause de révision.

A/ Première hypothèse, la plus classique : le CCAP prévoit une formule de révision de prix et les conditions de sa mise en œuvre. Il s’agit alors d’une disposition contractuelle qui doit être appliquée même lorsqu’elle est défavorable au titulaire.

La révision des prix sera déterminée :

i. Soit en fonction d'un paramètre (index, indice, barème du titulaire du marché ou liste de prix dite mercuriale de prix) à partir duquel on procède à l'ajustement du prix de la prestation ou des fournitures.

 Cette modalité de révision des prix est par exemple utilisée lorsque l’objet du marché ne requiert pas plusieurs spécialités.

Usuellement, le CCAP définira la clause de révision des prix ainsi :

Pn = Po x (0,15 + 0,85 x In/Io)

Pn = prix révisé qui sera à régler

Po = prix initial

I = index ou indice qui se définit comme le paramètre permettant la révision du prix

In = paramètre à la date prévue pour le calcul de révision

Io= paramètre à la date de l’établissement du prix initial

Dans cette formule usuelle, il existe une part fixe du prix (0,15) qui neutralise la variation des prix. Cette manière de procéder est un héritage réglementaire qui, bien que disparu du Code des marchés publics, puis du Code de la commande publique, survit dans la pratique par l’effet des « copier-coller ».

La circulaire « Borne » précitée n° 6374/SG du 29 septembre 2022, adressée aux ministres et aux préfets, exhorte les services de l’Etat (et encourage les collectivités) à supprimer une telle neutralisation partielle de la révision des prix :

« Par ailleurs, afin que les clauses de révision des prix puissent refléter fidèlement les variations des coûts réellement subis, à la hausse comme à la baisse, je vous demande de veiller à ce que les contrats conclus par vos services ne prévoient pas, sauf exception, de terme fixe au sein de la formule de révision des prix et ne contiennent pas de clause butoir ».

Ce n’est pas la seule préconisation de cette circulaire : « Il faut en particulier veiller à retenir des fréquences et des références ou formules de révision des prix qui soient suffisamment représentatives des conditions économiques de variation des coûts des secteurs objets des prestations, notamment dans le cas des marchés de travaux allotis par corps de métier » . 

Enfin, il est à noter que sont interdites les indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, le niveau général des prix ou des salaires et sur les prix des biens produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du marché public par application de l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier.

ii. Soit en combinant index et indice

Prenons un exemple. Un maître d’ouvrage conclut un marché d’entretien de chaussée. Il envisage d’utiliser un index de révision des prix adapté au marché, soit le TP 08. Il estime toutefois que la part de bitume dans le marché est sous-représentée par l’index TP 08 par rapport à son marché en particulier.

En effet, l’index TP 08 est représentatif des principaux matériaux suivants :

- Sables et granulats

- Bitume

- Béton prêt à l'emploi

- Tubes, tuyaux en matière plastique

- Produits de voierie en béton

- Électricité vendue aux entreprises consommatrices finales

- Fioul lourd TBTS hors TVA (teneur en soufre < 1 %)

- Mortiers et bétons secs

- Travaux de fonderie de fonte

Il décide alors de mettre au point une formule de révision des prix composée de l’index TP 08 et de l’indice bitume (Indice 010534598 - Bitume)  pour augmenter la part de bitume.

Pn = P0 x [0,2 (Indice Bitumes n/ Indice Bitumes no) + 0,8 (TP 08n/TP08o)]

Cette méthode de révision est parfaitement légale, elle est même encouragée lorsque l’index de révision des prix n’est pas strictement adapté à l’objet du marché.

Communiqué BOCCRF n°10 du 3 juin 1999

 « A l’occasion du présent communiqué, l’attention des acheteurs publics est attirée sur les principes et les règles d’utilisation des index d’actualisation et de révision des prix, tout particulièrement sur la nécessité de vérifier consciencieusement que la structure de l’index retenu pour la variation des prix d’un marché correspond bien à la structure des coûts de l’ouvrage à construire. [….] Pour certains travaux, il est possible également qu’aucun index ne convienne. Ceci peut se produire si aucune structure d’index n’est adaptée à l’ouvrage à construire ou si l’index de référence ne comporte pas l’indice correspondant au matériel utilisé. Il convient alors que le maître de l’ouvrage retienne une formule paramétrique d’actualisation ou de révision qu’il lui appartient de préciser dès le lancement de la consultation. Cette formule paramétrique peut aisément résulter d’une adaptation de l’index de référence au problème particulier, par exemple en substituant dans l’index type l’indice du matériau utilisé à celui prévu dans la grille…»

iii. Soit en combinant plusieurs index

En cas de marché regroupant plusieurs spécialités, il convient d'actualiser ou de réviser avec des index différents les parties d'ouvrages relevant de techniques différentes. Par exemple, pour la construction d’un pont, les index peuvent être :

- Travaux de terrassement : TP 03a

- Partie béton du pont : TP 02

- Partie métallique du pont : TP13.

Il pourrait alors être prévu plusieurs listes de prix, chacune faisant l’objet d’une révision en fonction de l’index qui lui correspond. Ou alors, une formule générale de révision des prix combinant les différents index, par exemple :

Pn = P0 x [X% (TP 02n/TP 02o) + X% (TP 13n/TP 13o) + X% ( TP 03an/TP 03ao]

B/ Deuxième hypothèse : le CCAP ne prévoit pas de formule de révision des prix mais le CCAG travaux est visé comme pièce contractuelle.

Dans ce cas, le CCAG travaux devrait selon nous permettre de fonder l’application d’une clause de révision des prix par avenant.

Deux arguments fondent cette analyse.

En premier lieu, l’article 9.4.1 du CCAG 2021 rappelle, et c’est bien normal, que le contrat ne peut pas déroger aux règles d’ordre public du Code de la commande publique : « Les prix sont réputés fermes, sauf dans les cas où la réglementation prévoit des prix révisables ou si les documents particuliers du marché prévoient de tels prix et qu'ils comportent une formule de révision des prix. »

En second lieu, si le CCAG prévoit expressément, à l’article 9.4.3, une actualisation de droit, il ne peut en être autrement pour la révision de l’article 9.4.4 :

« 9.4.3. L'actualisation se fait en appliquant des coefficients établis à partir d'un index, d'un indice ou d'une combinaison d'entre eux correspondant à l'objet du marché. Ils sont définis dans les documents particuliers du marché.

A défaut, le coefficient d'actualisation est fixé par avenant à partir de l'index BT ou TP, diffusé par l'Insee, correspondant à la nature des travaux qui font l'objet du marché.

La formule mise en œuvre est la suivante : Prix actualisé = prix initial x (indices ou index à la date de début d'exécution des prestations - 3 mois) / (indices ou index de la date de fixation du prix dans l'offre).

En cas de disparition de l'indice ou index de référence, celui-ci peut être remplacé par un autre indice ou index équivalent par voie d'avenant.

9.4.4. Lorsque les prix sont révisables, ils sont révisés selon la formule et les coefficients fixés par les documents particuliers du marché.

La valeur initiale du ou des indices ou index à prendre en compte est celle correspondant à la date de remise de l'offre par le titulaire. Lorsque la procédure de passation a donné lieu à une négociation ou un dialogue compétitif, la date à prendre en compte est la date de remise de l'offre finale par le titulaire. »

C/ Troisième hypothèse : le CCAP et le CCAG sont contradictoires sur l’application d’une clause de révision des prix.

Il faut, dans ce cas, retenir la disposition contractuelle qui est conforme au Code de la commande publique. C’est ce que préconise la DAJ dans son guide d’utilisation des CCAG (Fiche 1 relative aux dérogations).

« Certaines clauses des CCAG ne sont pas purement contractuelles, mais traduisent, dans le contrat, des obligations législatives ou réglementaires ou des principes jurisprudentiels. Tel est le cas notamment des clauses rappelant les hypothèses dans lesquelles le marché doit être conclu à prix révisables […]

Dans la mesure où ces règles, rappelées dans les CCAG, s’imposent aux marchés concernés, il n’est pas possible de faire obstacle à leur application en y dérogeant ».

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10. Comment mettre en œuvre la clause de révision des prix en pratique ?

Cette mise en œuvre est dépendante de la fixation des indices de révision de prix qui nécessite une analyse statistique et leur publication. A cet égard, il faut préciser que les index bâtiments et travaux publics étaient publiés le troisième mois suivant le mois sous revue jusqu’aux index de février 2022. Puis, à partir des index de mars 2022, ils sont publiés au plus tard le 15e jour du deuxième mois suivant le mois sous revue.

Il en résulte que malgré une augmentation du rythme de publication des index, il existe toujours un décalage entre la période d'exécution des travaux, qui fait l'objet d’un acompte mensuel, et la date de publication de l'index ou des indices qui permettront de calculer la variation des prix du mois considéré pour le calcul du décompte mensuel.

Trois articles du Code de la commande publique régissent la mise en œuvre de la clause de révision des prix, en prenant en compte ce décalage de publication.

Le premier fixe la date d’appréciation de la valeur finale des références (c’est-à-dire la valeur de l’indice, index, ou prix de référence).

Article R.2191-27 du CCP

« Lorsque le marché comporte une clause de variation de prix, la valeur finale des références utilisées pour l'application de cette clause est appréciée au plus tard à la date de réalisation des prestations telle que prévue par le marché, ou à la date de leur réalisation réelle si celle-ci est antérieure. »

Le deuxième et le troisième fixent les modalités de paiement de l’acompte, notamment lorsque la valeur finale des références n’est pas connue à la date de cet acompte.

Article R.2191-28 du CCP

« Le paiement calculé sur la base des valeurs finales de référence utilisées pour l'application de la clause de variation de prix intervient au plus tard trois mois après la date à laquelle sont publiées ces valeurs.

 Lorsque la valeur finale des références n'est pas connue à la date où doit intervenir un acompte ou un paiement partiel définitif, l'acheteur procède à un règlement provisoire sur la base des dernières références connues. »

Article R. 2191-29 du CCP

« Lorsque les avances sont remboursées par précompte sur les sommes dues à titre d'acompte ou de solde, le précompte est effectué après application de la clause de variation de prix sur le montant initial de l'acompte ou du solde. »

Le CCAG travaux prévoit qu'il appartient au titulaire de calculer les coefficients d'actualisation ou de révision (article 12.1.8) et au maître d'œuvre de procéder au calcul de révision des prix. Dans la pratique, c'est rarement le maître d'œuvre qui réalise ce calcul mais bien le titulaire qui effectue ce travail dans la continuité de son calcul de coefficients d'actualisation ou de révision. 

L’article 12 du CCAG travaux de 2021 définit ainsi la marche à suivre.

Le projet de décompte mensuel établi par le titulaire constitue la demande de paiement. Cette demande est datée et mentionne les références du marché.

Le titulaire doit notamment joindre au projet de décompte mensuel le calcul, avec justifications à l'appui, des coefficients d'actualisation ou de révision des prix.

Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte mensuel établi par le titulaire, qui devient alors le décompte mensuel. Puis, à partir du décompte mensuel, le maître d’œuvre détermine le montant de l'acompte mensuel à régler au titulaire. Il dresse pour cela un état d'acompte mensuel faisant ressortir notamment l'effet de l'actualisation ou de la révision des prix ; les parties de l'acompte actualisables ou révisables sont majorées ou minorées en appliquant les coefficients prévus.

Si, lors de l'établissement de l'état d'acompte, les index de référence ne sont pas tous connus, cet effet est déterminé provisoirement à l'aide des derniers coefficients calculés et cette circonstance est mentionnée dans l'état d'acompte.

L’acompte étant lui-même provisoire, le paiement calculé sur la base des valeurs finales de référence interviendra plus tard, une fois l’indice utile connu.

De même, si, lors de l'établissement du décompte général, les valeurs finales des indices ou index ne sont pas connues, le maître d'ouvrage mentionne la dernière valeur connue et notifie au titulaire la révision de prix afférente au solde dans les dix jours qui suivent leur publication. La date de cette notification constitue le point de départ du délai de paiement des sommes restant dues après révision définitive des prix.

Pour éviter ce calcul complexe, certains maîtres d’ouvrage conviennent que la clause de révision des prix sera fixée en fonction du dernier indice connu (l’indice provisoire étant alors définitif).

Nous doutons de la légalité de la méthode de révision des prix par le dernier indice connu qui ne nous paraît pas conforme au Code de la commande publique et à la circulaire Borne. Dans un contexte haussier, il conduit à une neutralisation de la clause de révision des prix préjudiciable au titulaire.

« Il faut en particulier veiller à retenir des fréquences et des références ou formules de révision des prix qui soient suffisamment représentatives des conditions économiques de variation des coûts des secteurs objets des prestations, notamment dans le cas des marchés de travaux allotis par corps de métier », précise en effet la circulaire Borne.

En tout état de cause, la Direction des affaires juridiques recommande un rythme de révision des prix adapté et rapide pour tenir compte des évolutions des prix afin de garantir l’équilibre financier du marché et sa bonne exécution.

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11. Est-il possible de modifier la clause de révision des prix ou la clause d’actualisation parce qu’inadaptée ou non conforme au Code de la commande publique ?

Le Conseil d’Etat, dans son avis du 15 septembre 2022 n°405540, confirme qu’une modification sèche du prix (c’est-à-dire en l’absence de modification du contenu même du contrat ou de ses conditions d’exécution) reste juridiquement possible nonobstant les dispositions du CCP relatives au prix « ferme et définitif ». Rien n’empêche donc que les modifications des marchés portent uniquement, en vue de compenser les surcoûts que le titulaire subit du fait de circonstances imprévisibles, sur les prix ainsi que sur les modalités de leur détermination ou de leur évolution.

Le Conseil d’Etat a ainsi mis fin à l’impossibilité de modifier les clauses de révision des prix défendue jusque-là avec fermeté par la doctrine administrative (réponse ministérielle à la question n° 40503, JOAN du 26 octobre 2021) :« En raison du caractère en principe intangible du prix contractualisé, une clause de révision ne peut être ni modifiée ni introduite en cours d'exécution du marché (CE, 15 février 1957, “Etablissement Dickson”) si le contrat n'en a pas expressément prévu la possibilité et les modalités par une clause de réexamen (article R. 2194-1 et 1° de l'article R. 2194-6 du Code de la commande publique), même si cette clause était obligatoire en application de l'article R. 2112-13 du Code de la commande publique. La seule exception admise concerne l'hypothèse dans laquelle l'exécution du contrat approche de son terme et la modification par avenant du prix ou de son mécanisme de fixation intervient dans un sens désavantageux pour le titulaire (CE 20 décembre 2017, "Société Area Impianti", n° 408562). »

En conséquence, la clause de révision des prix peut être modifiée, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son avis, en cas de circonstances imprévues, c’est-à-dire si « l’augmentation des dépenses exposées par l’opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances nouvelles ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagée par les parties lors de la passation du contrat ». Cela devrait également être le cas, s’il s’agit pour l’administration de corriger une clause irrégulière par rapport aux règles de la commande publique voire d’imposer une clause de révision inexistante.[5]

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12. Que faire en cas de refus de l’administration de modifier une clause de révision des prix non conforme au Code la commande publique ou d’en ajouter une lorsque le code l’imposait ?

Trois actions paraissent possibles :

A/ L’action en référé précontractuel,ou l’action en contestation de la validité du contrat

Dans sa fiche technique sur les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières, la Direction des affaires juridiques rappelle avec force que :

« L’article R. 2112-13 du Code de la commande publique prévoit que les marchés publics doivent être conclus à prix révisables lorsque les prestations sur lesquelles ils portent sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des contrats. La méconnaissance de cette obligation constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entraîner l’annulation de la procédure de passation (CE, 9 décembre 2009, "Département de l’Eure", n° 328803). »

Il n’en demeure pas moins que le juge des référés précontractuels apprécie toujours la requête avec beaucoup de sévérité. Voir par exemple TA Rennes, 14 avril 2023, n° 2301645 :

« Il résulte de l’instruction que la durée d’exécution du marché litigieux est supérieure à trois mois. Il n’est pas sérieusement contesté que sa réalisation nécessite le recours à une part importante de fournitures dont le prix est directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux. Ce marché doit, dès lors, comporter une clause de révision de prix incluant une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. Il est constant que ce marché ne comporte aucune clause de révision de prix.Compte tenu de l’incidence des clauses du contrat relatives aux prix et à leur révision sur la formation des offres des candidats, notamment en fonction des capacités financières respectives de ces derniers, cette méconnaissance des dispositions de l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique constitue un manquement [du pouvoir adjudicateur] à ses obligations de mise en concurrence. Toutefois,il ne résulte pas de l’instruction que ce manquement, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, aurait lésé ou serait susceptible d’avoir lésé le groupement des sociétés [...], qui a pu présenter utilement une offre et ne précise pas en quoi le chiffrage de son offre, notamment financière, en aurait été rendu particulièrement difficile. »

B/ L’imprévision

Une clause de révision des prix n’exclut nullement la possibilité de solliciter l’application de l’imprévision en cas de bouleversement de l’économie du marché (voir en ce sens CE, 29 mai 1991, «Etablissement public d’aménagement de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines», n° 92551).

Le Conseil d’Etat, dans son avis précité, se veut particulièrement didactique sur la possibilité de solliciter une indemnisation d’imprévision lorsque la clause de révision des prix n’a pas pu jouer tout son office :

« Le Conseil d’Etat rappelle, par ailleurs, que les clauses de variations des prix s’appliquent sans préjudice de l’indemnisation de l’imprévision si les conditions en sont réunies. Ainsi, lorsqu’il apparaît que la clause de variation n’a pas joué en fait dans des conditions normales conformément aux prévisions des parties, le juge administratif admet que, pour suppléer à la clause insuffisante, le cocontractant puisse invoquer la théorie de l’imprévision. A cet égard, une jurisprudence constante distingue les clauses de variation des prix ou les avenants qui permettent d’éviter le bouleversement de l’économie du contrat et qui, à ce titre, excluent le droit à indemnité d’imprévision (CE, 13 mai 1987, “Société Citra-France et autres”, n° 35374), de celles qui, en raison de leur insuffisance à y remédier entièrement, justifient un tel droit (CE, 19 février 1992, “S.A. Dragages et Travaux Publics et autres”, n° 47265 . »

Encore faut-il qu’il en soit résulté un bouleversement de l’équilibre du contrat. Selon le Conseil d’Etat, « l’indemnisation de l’entrepreneur au titre de l’imprévision est toujours soumise à l’exigence du bouleversement de l’économie du marché, qu’il soit conclu à prix global et forfaitaire ou à prix unitaire ».

Mais l’avis du 15 septembre 2022 ne précise pas de seuil permettant de caractériser un bouleversement, au contraire de la circulaire Castex du 30 mars 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières que la circulaire Borne a abrogée, et surtout de la circulaire du 20 novembre 1974 relative à l’indemnisation des titulaires de marchés en cas d’accroissement imprévisible de leurs charges économiques, laquelle précisait :

« 4.1.2.2. - Cette condition n'est, en principe, considérée comme remplie que lorsque les charges extracontractuelles ont atteint le quinzième du montant initial du marché ou, pour les marchés ne comportant pas de montant initial - cas en particulier des marchés à commandes et de clientèle - lorsque ces charges extracontractuelles ont atteint le quinzième des sommes réglées en application des clauses contractuelles. Toutes ces sommes doivent être calculées hors TVA.

Pour les marchés dont la durée d'exécution dépasse deux ans, l'appréciation ci-dessus est effectuée en prenant pour base le montant initial, soit de la tranche fonctionnelle du marché à laquelle se rattachent les charges extracontractuelles invoquées soit, à défaut, des prestations réalisées dans un intervalle de deux ans. »

Il en résultera une jurisprudence casuistique.

Ainsi, la cour administrative d’appel de Marseille a pu juger « qu’il résulte de l’instruction qu’au cours de l’année 2000, le prix du carburant a subi une forte augmentation, que cette augmentation due à des circonstances extérieures aux parties, et imprévisible dans son ampleur, a généré unsurcoût qui, supérieur à 7 %, a bouleversé l’équilibre financier dudit contrat et est susceptible, en conséquence, d’ouvrir droit à indemnisation, alors même que le montant de celui-ci a été réévalué, conformément à la clause de révision des prix » (CAA Marseille, 19 février 1992, n° 05MA00492).

Au contraire, dans une décision du 26 avril 2022, la cour administrative d’appel de Douai (n° 20DA01405) a écarté l’imprévision au motif que « si la société requérante allègue que l'évolution de la pondération des indices composant l'index TP 09 a eu pour effet de générer une baisse importante des prix révisés, les montants qu'elle a calculés correspondant à la différence entre la révision des prix du marché qui aurait résulté de l'application de l'indice TP 09 dans sa structure en vigueur à la remise des offres et celle effectivement appliquée, ne sont pas de nature à eux seuls à établir que cette modification a entraîné un bouleversement de l'économie des marchés, alors qu'il résulte de l'instruction qu'ils ne représentent que 3,74 à 4,77 % du montant total des travaux exécutés. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la société [X] ne peuvent qu'être rejetées ».

C/ L’action en responsabilité pour faute

La possibilité d’engager une action contre la personne publique sur le fondement de l’imprévision n’est pas exclusive de la possibilité d’engager la responsabilité du pouvoir adjudicateur pour faute.

Bien qu’abrogée, il faut signaler que la circulaire Castex du 30 mars 2022 avait envisagé ce fondement juridique qui, à notre connaissance, n’est confirmé à ce jour par aucune jurisprudence :

« Enfin, je vous demande de vous assurer que les marchés conclus par vos services respectent les dispositions des articles R. 2112-13 et R. 2112-14 du Code de la commande publique qui prohibent le recours au prix ferme lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la durée d'exécution des prestations et imposent que les marchés d'une durée d'exécution de plus de trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux, comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours. Le non-respect de ces obligations est susceptible d'engager la responsabilité de l'acheteur.»

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13. En cas de changement de la structure de l’index, peut-on solliciter une indemnisation ?

Dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai précité, mais également dans une jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon « Société Eurovia Bourgogne Franche-Comté » du 23 septembre 2021 (n° 21LY00975), une demande d’indemnisation d’un préjudice résultant de la différence entre la révision des prix des marchés telle qu’elle aurait dû résulter de l’application de l’index avant sa modification et la révision des prix réellement appliquée après modification de la structure de l’index a été rejetée :

« Par un avis publié le 15 janvier 2015 sur son site internet, l’Insee a modifié la composition de l’index national des travaux publics TP 09 “fabrication et mise en œuvre d’enrobés” dont les indices ont changé de référence en passant en base 2010. La part de l’indice bitume dans le poste de coût matériaux de l’index TP 09 base 2010 a été portée de 26 à 35 %. La société […] soutient que la chute brutale du prix du bitume a, eu égard à cette nouvelle répartition, conduit à une dégradation de l’index TP 09 de 16,37 % entre octobre 2014 et le 2 juin 2016 et qu’il en résulte pour elle un préjudice correspondant à la différence entre, d’une part, l’évaluation des prix des marchés en cause telle qu’elle aurait résulté de l’application de l’index TP 09 intégrant une proportion de bitume de 26 % et, d’autre part, la facturation réelle après application d’un index TP 09 avec une proportion de bitume de 35 %. En l’absence de référence à l’index TP 09 base 1975 dans les stipulations précitées du CCAP, la commune intention des parties n’a pas été d’exclure l’application d’un nouvel index TP 09 en cas de modification des pondérations de ses composantes en cours de contrat. Par suite, la société […] n’est pas fondée à soutenir que l’Etat, en tenant compte pour le calcul de la révision des prix appliquée aux travaux effectués, de l’index TP 09 base 2010, a modifié unilatéralement les contrats en cours d’exécution, au mépris des principes d’intangibilité des prix, de la commune intention des parties et de sécurité juridique. »

En d’autres termes, il faut s’accommoder des modifications des structures des index par l’Insee.

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14. Quid de la révision des prix dans les marchés de travaux privés ?

Dans les marchés de travaux privés, c’est la liberté contractuelle qui prévaut. Les parties sont libres de convenir d’une clause d’actualisation ou de révision des prix. Il peut être fait référence aux clauses générales telles que les normes Afnor NF P 03-001 (travaux de bâtiment) et NF P 03-002 (travaux de génie civil) qui prévoient des mécanismes contractuels d’actualisation/révision des prix (article 9.4).

En tout état de cause, les parties peuvent également avoir recours à la théorie de l’imprévision codifiée à l’article 1195 du Code civil :

« Si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du coût à son cocontractant. Elle continue à exercer ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Mais ce texte n’est pas d’ordre public de sorte qu’il peut y être dérogé par les parties.

De même, l’article 1195 ne semble pas pouvoir prévaloir sur les règles du forfait légal (article 1793 du Code civil), même lorsque la norme Afnor NF P 03-001 est visée comme pièce contractuelle. [6]

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[1] CE, 7 août 1891, Morelli, D.1893,3,18.

[2] Selon l’Insee, l'indice d'une grandeur est le rapport entre la valeur de cette grandeur au cours d'une période courante et sa valeur au cours d'une période de base. Il mesure la variation relative de la valeur entre la période de base et la période courante. Souvent, on multiplie le rapport par 100 ; on dit alors « indice base 100 à telle période ». Les indices permettent de calculer et de comparer facilement les évolutions de plusieurs grandeurs entre deux périodes données.

[3] Selon l’Insee, les index travaux publics (TP) sont des indices de coût de différentes activités du secteur de la construction : division « 42 - Génie civil » et premières branches de la division « 43- Travaux de construction spécialisés », principalement utilisés aux fins d'indexation de contrats.

[4] Sur la question de l’application de l’article R. 2112-13 du Code de la commande publique aux « autres acheteurs » (SEM, Société privés d’HLM, OPH, etcetc.), lire « “Prendre en compte l’évolution des prix dans les marchés des autres acheteurs »”, Solène Penisson et François Frassati, « “Le Moniteur »” du 2 décembre 2022.

[5] Pour des avis similaires,voir F. Tenailleau, « Commande publique - Révision des conditions financières : la marche à suivre » “« Le Moniteur”  » du 14 octobre 2022  et Hélène Hoepffner, « Contrats et marchés publics », n° 11, novembre 2022, commentaire 284. Voir également le point 19 de l’avis du Conseil d’Etat : « Les contrats peuvent aussi être modifiés afin d’y introduire une clause de variation des prix ou de réexamen si le contrat n’en contient pas, ou de faire évoluer une clause existante qui se serait révélée insuffisante. »

[6] Voir sur ce point « Marchés publics et privés : l’imprévision dans tous ses états », par Xavier Mouriesse, « Le Moniteur » du 3 novembre 2023.

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