Les articles et du Code de la commande publique (CCP) imposent aux acheteurs et autorités concédantes de rendre accessibles, sous un format ouvert et librement réutilisable, les données essentielles des marchés et contrats de concession qu'ils ont conclus. Cette publication doit permettre une plus grande transparence de l'achat public, un renforcement de l'égal accès à la commande publique, une utilisation efficiente de l'argent public mais aussi servir d'outils de prévention et de lutte anticorruption. L'open data contribue ainsi à améliorer la connaissance et l'évaluation des contrats, apporte un éclairage sur les pratiques contractuelles des pouvoirs publics, mais également sur leurs besoins.
Le cadre juridique relatif à la collecte et à la déclaration des données essentielles de la commande publique (DECP) a été modifié par le , ainsi que par deux arrêtés du 22 décembre 2022 constituant les futures annexes 15 (marchés - NOR : ECOM2235715A) et 17 (concessions -NOR : ECOM2235716A) du CCP. La notice accompagnant ces arrêtés ainsi que la fiche technique « La publication des données essentielles de la commande publique » publiée en ligne par la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy en juillet 2023, précisent les modalités de mise en œuvre des nouvelles obligations.
Flou sur les contrats de concession concernés par les nouvelles obligations
Les arrêtés précités entreront en vigueur le 1er janvier 2024. S'agissant des marchés publics, le nouveau dispositif s'appliquera aux contrats d'un montant égal ou supérieur à 40 000 euros HT notifiés à compter de cette date. La date de notification est celle à laquelle l'attributaire reçoit le marché cosigné par l'acheteur. Pour les marchés d'un montant compris entre 25 000 et 40 000 euros HT, les acheteurs conservent le choix de se soumettre aux mêmes obligations ou de publier, au cours du premier trimestre de chaque année, la liste des marchés conclus l'année précédente mentionnant l'objet, le montant HT et la date de conclusion du marché, le nom de l'attributaire et son code postal ().
Pour les concessions, les nouvelles obligations concerneront les contrats « conclus » à compter du 1er janvier 2024. Or, la notion de date de conclusion n'est pas définie par le CCP. S'agit-il de la date à laquelle l'offre de l'opérateur est retenue (1), celle à laquelle le contrat est cosigné par l'autorité concédante ou celle de notification du contrat cosigné au concessionnaire ? Selon l', « le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ». L'article 1118 ajoute que « l'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre » et que « tant que l'acceptation n'est pas parvenue à l'offrant, elle peut être librement rétractée, pourvu que la rétractation parvienne à l'offrant avant l'acceptation ». Les concessions étant avant tout des contrats, il semble permis de considérer que ces dispositions du Code civil leur sont applicables, faute de dispositions dérogatoires du CCP sur ce point. La date de conclusion de la concession serait dès lors celle à laquelle l'entreprise prend connaissance de l'acceptation de son offre, c'est-à-dire la date de notification du contrat. A quelques semaines de l'entrée en vigueur de la réforme, une confirmation de la DAJ sur ce point pourrait être opportune.
Fusion des données du recensement économique et des données essentielles
La réforme de décembre 2022 consiste à intégrer les données du recensement économique des marchés publics au sein des DECP. Les acheteurs ne seront donc plus tenus de transmettre ces données à l'Observatoire économique de la commande publique (OECP) via, selon les acheteurs, les applications Chorus, Reap, les dispositifs de transmission PES Marché ou l'API AIFE. Rappelons que le CCP n'imposait pas ce recensement pour les contrats de concession.
Toutefois, le recensement économique des marchés publics ne disparaît pas pour autant. L'OECP reste investi de cette mission, qu'il accomplira désormais à partir des données essentielles (art. et du CCP). Dans la mesure où l'OECP accédera directement aux données des contrats de concession, il est probable que le recensement intègre désormais ces derniers, quand bien même le CCP ne l'impose toujours pas.
S'agissant des marchés publics, les données concerneront le contrat (27 données au lieu de 16 auparavant), sa modification (6 données), la déclaration de sous-traitance du marché (7 données) et la modification de l'acte spécial de sous-traitance (5 données). Les données relatives aux concessions porteront sur le contrat (14 données), sa modification (5 données) et son exécution (4 données). Certaines données soulèvent des observations.
Numéro d'identification. Le numéro d'identification, qui devait déjà être publié pour les marchés et les concessions, devient aussi obligatoire lorsque des modifications sont apportées à ces contrats. L'obligation de numérotation touche également l'acte spécial de sous-traitance (formulaire DC4) dont les données font leur entrée au sein des DECP. Actuellement, bon nombre d'acheteurs n'attribuent pas de numéro d'identification à cet acte. La fiche technique de la DAJ précise que « ce numéro consiste en un nombre entier attribué en ordre croissant et suivant l'ordre de notification de l'acte spécial de sous-traitance ». Par ailleurs, l'identification des opérateurs titulaires des contrats et de leurs sous-traitants sera réduite à la publication de leur numéro Siret ou équivalent. Leur nom ne sera plus publié.
Sous-traitance. Les données du marché devront inclure l'éventuelle déclaration de sous-traitance au stade de la passation du marché. Certaines informations contenues dans le formulaire DC4 devront aussi être publiées (montant HT sous-traité, modalités de variation des prix convenues dans le contrat de sous-traitance).
La durée dudit contrat (qui est de droit privé) fait également partie des nouvelles données essentielles à publier s'agissant de l'acte spécial et sa modification éventuelle. Cela n'est pas sans poser de difficulté car, à ce jour, cette donnée n'est pas incluse dans le formulaire DC4. Les acheteurs devront donc solliciter cette information auprès des titulaires de marchés, voire exiger la communication systématique du sous-traité. Or, une telle exigence, bien qu'admise par l', n'est pas une pratique répandue. La fiche technique de la DAJ n'incite d'ailleurs pas vraiment les acheteurs à obtenir cette donnée. Elle précise en effet que « si l'acheteur ne possède pas cette information [relative à la durée du contrat de sous-traitance], il renseigne la durée du marché ». Il est dès lors permis de s'interroger sur l'utilité de cet élément. Comme suggéré par l'Association des acheteurs publics en janvier dernier, la DAJ de Bercy a annoncé qu'elle procéderait à une modification du formulaire DC4 afin d'y ajouter la mention de la durée du sous-traité. Dans l'intervalle, le document actuel pourrait être complété directement en ce sens par le titulaire du marché.
Date de signature des concessions. La donnée essentielle relative à la date de signature du contrat de concession n'est pas nouvelle. Mais elle soulève toujours la question de sa pertinence. En effet, la cosignature d'un contrat par l'autorité concédante ne présume pas qu'il sera nécessairement notifié à l'opérateur retenu et exécuté. L' dispose en effet que « lorsque l'autorité concédante décide […] de recommencer la procédure, elle informe, dans les plus brefs délais, les candidats ou soumissionnaires des motifs de sa décision ». Or, selon l', tant que l'acceptation de l'offre par l'autorité concédante n'est pas notifiée à l'opérateur, le contrat ne saurait être regardé comme étant conclu. Le concédant peut donc déclarer sans suite la procédure tant que le contrat n'a pas été notifié. Si cette décision devait intervenir après la cosignature du contrat, il s'agirait d'une rétractation du concédant au sens du Code civil. La question se pose dès lors de l'obligation de publier ou non les données essentielles d'un contrat de concession signé mais non notifié. Il aurait semblé davantage pertinent de publier la date de notification du contrat. La réforme aurait pu conduire à cet ajustement.
Considérations environnementales et sociales. Les DECP s'enrichissent des données qui concernent la prise en compte du développement durable. Les données du recensement économique portaient déjà sur l'inclusion éventuelle d'une clause contractuelle sociale et/ou environnementale dans le marché. On retrouve ainsi logiquement ces informations dans les DECP augmentées. Celles-ci comportent une donnée nouvelle portant sur l'existence d'un critère social et/ou environnemental pour l'attribution du contrat. La DAJ attend de ces données qu'elles permettent de suivre les objectifs fixés par le Plan national pour des achats durables (PNAD). La collecte de cette information offrira aussi le moyen de vérifier si les acheteurs s'acquittent de l'obligation posée par la loi Climat et résilience du 22 août 2021, pour tout marché public au plus tard à compter du 22 août2026 (2), de retenir au moins un critère d'attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l'offre.
Part des produits français. Parmi les nouvelles données figurent aussi celles portant sur la part de produits issus de l'Union européenne, dont la part des produits français, avec laquelle les marchés de fournitures de denrées alimentaires, de véhicules, de produits de santé et d'habillement seront exécutés. La fiche de la DAJ préconise de demander cette information au titulaire « à l'attribution du marché pour l'obtenir dans le premier mois d'exécution du contrat » et propose une clause en ce sens. S'agissant de la comptabilisation du pourcentage des produits de l'UE et hexagonaux, il est recommandé de prendre en considération « un panier type estimé », lequel peut résulter du devis quantitatif estimatif que l'acheteur a pris en compte pour le jugement des offres. L'identification de l'origine des produits peut s'avérer davantage fastidieuse pour les titulaires, qui sont invités à se référer aux règles définies par le Code des douanes de l'UE, à l'affichage obligatoire de l'origine de certains produits, aux labels géographiques publics ou privés.
Avances. Les données relatives à l'attribution d'une avance et son taux devront désormais être publiées pour tous les acheteurs. Ces informations, collectées dans le cadre du recensement économique, ne concernaient en effet que les acheteurs utilisant les applications Chorus pour l'échange d'informations avec leur comptable public. L'ensemble des acheteurs devra ainsi préciser si le marché prévoit le versement d'une avance. Les données sur ce point auraient également pu porter sur le versement effectif de l'avance au titulaire, ce dernier pouvant en effet y renoncer lorsque le marché lui octroie pourtant ce droit.
Publication centralisée des données
La réforme modifie aussi les modalités de publication des données essentielles. Si, actuellement, le CCP impose seulement aux acheteurs la mise à disposition des DECP sur leur profil d'acheteur, à compter du 1er janvier 2024 les données essentielles seront publiées par l'acheteur sur le portail national des données ouvertes, par l'intermédiaire notamment du profil d'acheteur. Le site data. gouv.fr devient ainsi juridiquement la plateforme centralisant la publication des DECP. Selon la fiche technique de Bercy, les personnes soumises au CCP pourront continuer à renseigner les données sur leur plateforme de dématérialisation (saisies en ligne ou importées depuis leurs applications métiers), laquelle devra alors les publier sur le portail national.
Dès lors, les fonctionnalités du profil d'acheteur paraissent évoluer par rapport à celles que l'arrêté du 22 mars 2019 lui assigne, dans la mesure où les données saisies ou importées sur ce site n'auront plus vocation à être publiées sur ce dernier (ce qui ne sera toutefois pas interdit) mais sur data.gouv.fr. Les arrêtés disposent toutefois que l'acheteur peut publier les DECP par l'intermédiaire de dispositifs alternatifs offrant une fonctionnalité de publication de celles-ci. La fiche technique de la DAJ ajoute que la publication des données peut être prise en charge par l'intermédiaire du PES Marché auquel le logiciel financier ou achat de l'acheteur serait connecté. La publication des données par l'acheteur directement sur data. gouv.fr est par ailleurs envisageable. Le délai de publication reste fixé à deux mois.
Accessibilité et compréhension des données par le public. Une condition de réussite de l'open data en général et des DECP en particulier consiste à ce que chaque citoyen puisse accéder aisément aux données et les comprendre. Il importe que l'interface du portail national soit intelligible, simple d'utilisation et intuitive. En centralisant la publication des données sur data.gouv.fr, la réforme semble satisfaire partiellement cette condition.
Toutefois, ce site offre un accès à une multitude de données émanant de différentes organisations (3). Par ailleurs, la distinction opérée par les arrêtés entre l'accès aux DECP sur data.gouv.fr et leur consultation sur data. economie.gouv.fr peut interpeller quant à la bonne compréhension de ce dispositif par le public, voire les praticiens de l'achat public. Le site data.economie.gouv.fr pourrait utilement s'enrichir d'un outil qui exploite et explore les données, à l'image de Focus Marchés, afin que l'open data des DECP atteigne pleinement les objectifs de transparence, d'accessibilité et de simplification.

(1) Notamment, s'agissant des collectivités territoriales, la date à laquelle l'assemblée délibérante approuve le choix de l'entreprise attributaire du contrat de délégation de service public. (2) Cette échéance peut être avancée pour certains segments d'achats, à l'instar des marchés portant sur des installations de production ou de stockage d'énergies renouvelables, pour lesquels la loi EnR du 10 mars 2023 impose un critère d'attribution vert à compter du 1er juillet 2024. (3) Au 6 novembre, la requête « données essentielles de la commande publique » sur le moteur de recherche de data. gouv. fr donne 91 résultats.