Ils n’y arrivent plus. Alors que le syndicat Symbiote alerte sur la destruction de 13 000 emplois dans la filière isolation suite à l’arrêt des « coups de pouce » et l’entrée en vigueur de la 5e période de certificats d’économie d’énergie (CEE), le Syndicat national de l'isolation (SNI) estime que « l’Etat a renié ses engagements en cours de route » en supprimant brutalement les coups de pouce en 2021. « La filière est à l’agonie, l’activité a baissé de 50 à 80% selon les secteurs géographiques », alerte Alain Blaclard, président de la section soufflage du SNI et P-DG de la société ABF (1 500 salariés, 110M€ de CA en 2021).
Fermetures d’agences
Suite à l’arrêt brutal de l’activité, Alain Blaclard a dû licencier près de 200 personnes. Le vice-président de la section soufflage du SNI, Brice Aloth, directeur général de BCI qui emploie 150 personnes, a de son côté été contraint de « supprimer 50 à 60 postes » en l’espace de 3 mois et demi. « Nous n’avons pas eu d’autres choix que de fermer des agences », déplore-t-il.
La raison de cette hémorragie ? Encore une fois la fin des coups de pouce et le recentrage des aides dédiées aux ménages précaires vers les foyers « très précaires », désormais désignés comme des « ménages très modestes » en situation « de grande précarité énergétique » éligibles aux CEE précarité, des CEE bonifiés par la puissance publique. « Le nombre de ménages éligibles aux aides bonifié a été divisé par deux », juge Alain Blaclard.
Travaux trop importants
Fixée par l’Etat sur la base des conditions de ressources, la différence entre un ménage modeste et très modeste n’est pourtant pas flagrante. Un ménage d’une personne modeste ne doit pas percevoir plus de 25 714€ de ressources annuelles. Une personne très modeste, 21 123€. Pour une famille avec un enfant, le plafond est fixé à 45 326€ pour les modestes, et 37 232€ pour les très modestes.
Ces revenus ne permettent pas d’assumer le reste à charge de si lourds travaux. Dans son rapport 2021 sur le mal-logement, la fondation Abbé Pierre l’écrit noir sur blanc : « Après mobilisation de toutes les aides (y compris MPR, CEE et aides locales), c’est en moyenne 39% du montant des travaux qu’il reste à payer pour les propriétaires très modestes et 56 % pour les ménages modestes, alors que les travaux peuvent facilement atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros ».
Investissements qui pèsent lourd
En plus d’avoir réduit le nombre de ménages éligibles aux CEE précarité, le montant de l’aide dédié aux travaux d’isolation a baissé en cours de route pour atteindre 10€ du m² pour les CEE classiques, et 12€ du m² pour les CEE précarité. « Pour une opération de soufflage, le reste à charge est de 6 à 10€ du m² », calcule Brice Aloth.
A cette diminution des aides, s’ajoute une autre déconvenue : la baisse du cours du CEE. « Les obligés (les énergéticiens, NDLR) ont pris de l’avance sur leurs objectifs en 4e période, sans dire à l’Etat ce qu’ils avaient en réserve, poursuit le vice-président du SNI. Les objectifs fixés n’étant pas assez élevés, le cours a chuté. » Il y a un an, un CEE se valorisait à 8€ environ. Selon la plateforme Emmy, il oscille actuellement autour des 6€. « Or, le prix de l’aide octroyée au ménage qui fait réaliser des travaux se calcule en fonction du prix du CEE, multipliée par le nombre de kWh cumac économisés par les travaux », rappelle Alain Blaclard.
Plus le cours baisse, plus l’aide octroyée au ménage se réduit, plus son reste à charge augmente… et plus les carnets de commandes se vident. « Aujourd’hui, nous recevons des camions et des machines commandés dans le cadre d’investissements réalisés en 2021. Ils restent au parking ! Ce sont des charges supplémentaires, regrette Alain Blaclard. L’administration prend des décisions pour lutter contre l’éco-délinquance mais sans concertation ni prise en compte de l’impact sur la filière. »
Les entreprises et les salariés, variables d’ajustement
Lorsque l’Etat fixe des objectifs pluriannuels aux obligés, il fait des entreprises la variable d’ajustement du système CEE. Et ce sont les ouvriers qui paient le prix fort. Les défenseurs du système actuel suggèrent que les entreprises pourraient anticiper en se diversifiant, afin de limiter leur dépendance aux CEE. Mais selon Brice Aloth, c’est plus facile à dire qu’à faire. « D’abord, se diversifier prend du temps. Par exemple, si l’on veut se diversifier dans l’installation de pompes à chaleur, on ne trouve actuellement plus de chauffagistes. Il est impossible de débaucher un salarié, sauf à lui proposer un salaire bien au-dessus du prix du marché. »
Le SNI propose donc une série de mesures pour améliorer le marché des CEE (lire encadré). Il y a fort à parier que le gouvernement ne modifiera pas les règles d’ici à l’élection présidentielle. Dans le cadre d’un échange avec la presse organisé courant février, le ministère de la transition écologique se disait conscient de la problématique. Mais refusait de s’engager. « Il est compliqué de se donner un agenda sur des mesures à prendre, sachant que nous sommes dans une période pré-électorale, assez complexe à gérer, expliquait l’équipe de la ministre Barbara Pompili. Nous avons le sentiment que tout cela va se résorber, nous regardons s’il y a nécessité de mener des actions ».
Interpellée sur l’état de la filière fin février, la ministre du Logement Emmanuelle Wargon allait dans le même sens. « Des discussions avec tous les acteurs de la filière se sont tenues avant la fin des coups de pouce, qui ne s’est pas faite du jour au lendemain », a-t-elle rappelé, soulignant que « l’activité globale de la rénovation est soutenue ». Et d’ajouter : « Les coups de pouce ont été utiles. Maintenant on a les CEE et MaPrimeRénov’. On va essayer de garder cette architecture. »
Les propositions du SNI
- Rehausser le volume CEE de la 5e période de 400 kWhc afin de renchérir la valorisation des CEE trop bas aujourd’hui, faute du stock accumulé sur la 4e période.
- Exiger de l’obligé qu’il honore ses obligations, non sur la période de 4 ans, mais annuellement. Ainsi le cours serait stabilisé et l’entreprise ne subirait plus ces fluctuations incessantes et très dangereuses à son égard. Les éco-délinquants ne referaient pas leur apparition car les cours du CEE ne remonteraient pas de façon excessive.
- Fin de la distinction des aides en fonction des zones. Les zones moins froides faisant appel à la climatisation l’été, les sociétés doivent être traitées avec parité, quelle que soit leur situation géographique
- Réitérer un coup de pouce (sur l’isolation, NDLR) à tarif très sage afin de garder l’éco-délinquance à distance : 13 € HT pour les ménages générique et 17 € HT pour les ménages modestes et très modestes.
- La BAR-EN-103 "Isolation des planchers bas" est dans une situation dramatique, son coup de pouce doit être a minima de 21/22 € HT le m2
- Elargir le bénéfice des coups de pouce au profit des ménages modestes et très modestes plutôt que des ménages précaires
- Prévoir une table ronde chaque trimestre ou chaque semestre entre l’administration et les entreprises pour, si nécessaire, adapter les éléments ci-dessus en fonction de la situation (qualité, contrôles, cours, harmonisation, tarification, volumes, lutte contre l'éco-délinquance…).